Locaux cadenassés, salariés filmés et menacés sur les réseaux sociaux, insultes... Depuis plusieurs semaines, les associations humanitaires sont devenues la cible d'une partie des habitants en colère de Mayotte.
« Une partie des manifestants se sont acharnés contre les associations humanitaires. Ils estiment que l'État passe par ces structures pour aider les clandestins à Mayotte », souligne Abdou Badirou, porte-parole du collectif des Forces vives à l'initiative des barrages routiers qui paralysent l'île depuis le 22 janvier contre insécurité et immigration.
A l'origine de ce mouvement de contestation : une crispation autour d'un camp de réfugiés originaires d'Afrique des Grands Lacs, installés dans des abris de fortune à proximité du stade de foot de Cavani, à Mamoudzou. Leur nombre, en augmentation, a cristallisé les tensions depuis fin novembre. Depuis, une poignée de manifestants tiennent un piquet de grève devant les grilles du stade pour « surveiller les entrées et sorties et que personne d'autre ne s'installe », explique Ahmada, un habitant de Cavani.
« Insultes et crachats »
Des manifestants ont également installé des cadenas sur les portes des locaux de Solidarité Mayotte, situés à proximité du stade. L'association accompagne et héberge demandeurs d'asile et bénéficiaires de la protection internationale. « Ils estiment que c'est par cette voie que l'immigration continue encore à se développer à Mayotte », justifie Abdou Badirou, l'un des porte-parole des Forces vives. Pour Ahmada, sur le piquet de grève, face au stade de Cavani, « les associations favorisent l'arrivée des migrants en les aidant mais elles ne les logent pas et les laissent dans des conditions indignes ».
Solidarité Mayotte, qui dispose de 535 places d'hébergement sur l'île, ne parvient pas à loger tous les nouveaux arrivants. « On manque cruellement de places d'hébergement », concède Gilles Foucaud, directeur adjoint de Solidarité Mayotte. Selon lui, la situation devient insupportable. « Depuis le 6 février, nous n'avons plus accès à nos locaux, tout le monde est en télétravail. On nous a dit que si on osait décadenasser nos locaux, c'était une déclaration de guerre aux Mahorais ».
Conséquence : les 60 salariés de l'association sont « mal à l'aise ». L'ancienne directrice a d'ailleurs quitté ses fonctions fin janvier. « Elle a subi des insultes et des crachats en accompagnant des bénéficiaires dans un de nos logements », dénonce Gilles Foucaud.
Représailles
Pour une salariée de l'association qui souhaite rester anonyme, « les tensions autour du camp, avec le voisinage puis le quartier, ont commencé il y a six mois ». « Depuis c'est l'escalade : il y a eu des jets de cailloux sur les migrants au stade, des citernes à proximité du camp détruites en pleine crise de l'eau, des vidéos de bénévoles circulant sur les réseaux sociaux avec menaces anonymes, une intrusion au siège de Solidarité Mayotte avec un blocage de l'accès... ».
L'association Mlezi Maoré, principale actrice de l'insertion sur l'île qui compte 700 salariés, serait également limitée dans l'exercice de ses fonctions. Mais dans ce contexte tendu et par peur des représailles, la direction indique ne pas vouloir communiquer. Une peur partagée par certains salariés de l'association Coalia, qui propose des hébergements d'urgence et d'insertion pour les personnes en situation régulière sur le territoire et pour quelques réfugiés d'Afrique des Grands Lacs.
« Lors de la dernière opération de démantèlement du camp de Cavani, le 1er février, certains de nos salariés ont été suivis alors qu'ils amenaient des réfugiés dans leur nouveau logement. Ils ont été filmés et les vidéos ont été diffusées sur les réseaux sociaux accompagnés de commentaires menaçants », déplore Raphaël, le directeur de la structure qui préfère taire son nom. En bloquant les locaux des associations, les manifestants empêchent par ailleurs l'avancée des démarches pour les réfugiés.
« On ne peut pas procéder au relogement des personnes ni faire avancer les démarches pour les départs en métropole », regrette le directeur adjoint de Solidarité Mayotte. Des évacuations vers l’Hexagone pourtant demandées par les manifestants depuis le début du mouvement de contestation.
Avec AFP