Base alimentaire de milliers d'habitants en Guyane, le manioc est décimé depuis deux ans par une maladie que les scientifiques viennent d'identifier : un champignon originaire d'Asie du Sud-Est décrit pour la première fois dans le sous-continent américain, a appris l'AFP.
Depuis fin 2022, le mystère était entier. Quelle est la cause de la maladie du manioc, qui touche l'ensemble de la Guyane, ses voisins du Brésil et du Suriname et est responsable de pertes de production allant de 30 à 100% des cultures ? Malgré plus de 200 analyses et une alerte phytosanitaire déclenchée en juin 2023, les scientifiques n'avaient pu jusqu'ici identifier le responsable de cette maladie.
Depuis mai dernier, avec le soutien de chercheurs du Centre international d'agronomie tropicale (CIAT), basé en Colombie, un nom a été mis sur le fautif : un pathogène généré par le champignon ceratobasidium. L'identification de cette souche a été confirmée au mois de juin par les laboratoires du ministère de l'Agriculture, installés à Nancy.
Désormais, le ministère de l'Agriculture « est en train de déclarer auprès de l'office européen de protection des végétaux la présence de cette maladie en Guyane, qui est une nouveauté pour le territoire et pour le sous-continent américain », explique à l'AFP Patrice Poncet, directeur de l'environnement à la Direction générale des territoires et de la mer (DGTM). L'officialisation de la présence du champignon en Guyane devrait intervenir dans les prochaines semaines.
Impossible à éradiquer
C'est la première fois que ce pathogène, déjà décrit en Asie du Sud-Est, est découvert en Amérique du Sud. La Guyane et ses voisins sont touchés par cette maladie qui peut potentiellement infecter d'autres végétaux « mais n'a pas d'incidence directe sur la santé humaine », selon Patrice Poncet. Si la provenance du champignon n'est pas encore établie, il viendrait probablement d'Asie du Sud, les souches découvertes en Guyane étant analogues aux souches asiatiques, selon une source proche du dossier.
« Maintenant que l'on a identifié ce parasite, le but est de développer un plan d'action sur tout le territoire avec l'Anses (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) dans les prochains mois, de manière à contenir ou à lutter contre ce nouveau parasite », poursuit Patrice Poncet. Ce plan devrait être prêt « pour novembre-décembre », ajoute-t-il.
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Mais d'ores et déjà, l'éradication du pathogène n'est pas envisageable. D'abord, parce que « l'épidémie est à un stade très avancé : toutes les zones où le manioc est une culture importante sont contaminées », explique à l'AFP Antoine Chourrot, ingénieur agronome à la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon). Ensuite, parce que la culture du manioc est largement informelle, souvent pratiquée familialement en abattis -petites parcelles agricoles en forêt-, rendant le contrôle de la maladie quasi-impossible.
À court terme, les autorités sanitaires vont donc « continuer à cartographier la maladie sur le territoire » explique Patrice Poncet. Une enquête sera également lancée en septembre pour étudier l'impact sur la production.
Aide alimentaire
Créé en Guyane au début de l'épidémie, le groupe de travail sur le manioc n'avait pas attendu l'identification de la maladie pour agir. « Mais la prophylaxie était très large car on ne savait pas ce qu'il fallait combattre », résume Antoine Chourrot. Début 2024, le Cirad, membre du groupe de travail, a lancé le projet « SaniManioc » qui consiste à installer des petites serres dans les bassins de production pour assainir des boutures (le manioc se duplique par bouturage, ndlr) afin de relancer, à moyen terme, la production du tubercule.
Mais les premières boutures saines ne seront pas prêtes avant janvier et il faudra attendre 10 mois avant de pouvoir récolter. En attendant, les services de l'État prévoient la livraison de colis alimentaires aux populations isolées de l'intérieur de la Guyane pour pallier la pénurie. « On fait actuellement le point sur les besoins (...) village par village », affirme à l'AFP Florence Ghilbert, secrétaire générale de la préfecture de Guyane.
Car les conséquences de l'épidémie sont réelles. Les populations les plus consommatrices de manioc, tubercule originaire d'Amazonie, sont les communautés bushinenges et amérindiennes de l'intérieur du territoire. L'aliment est pour eux une plante patrimoniale, consommée autant par tradition que parce qu'elles n'ont pas les moyens d'acheter autre chose. Sans manioc, le risque de paupérisation de ces populations isolées est fort.
Avec AFP