Journalistes, écrivains, personnalités du monde audiovisuel, influenceurs, figures de la société civile, sportifs, médecins, bénévoles... Ils viennent de tous horizons et partagent un lien profond avec les Outre-mer. À travers la série Regards des Outre-mer avec..., Outremers 360 vous invite à explorer les parcours inspirants de ces personnalités, qui, par leur engagement et leur talent, incarnent la richesse et la diversité de nos territoires et contribuent à la compréhension de ce qu'est véritablement l'archipel France.
Cette semaine, Outremers 360 a rencontré France Zobda, une femme au parcours fascinant. Originaire de Martinique, elle est bien plus qu’une actrice de talent : productrice et militante passionnée, elle œuvre sans relâche pour que la culture ultramarine et la diversité trouvent leur juste place dans les médias. Forte d’une carrière riche au cinéma, à la télévision et au théâtre, France Zobda s’est illustrée dans des productions comme Sheena, Reine de la jungle et Les Caprices d’un fleuve. En 2005, elle fonde en Guyane le Festival Cinamazonia, célébrant les cinémas des mondes métissés, puis co-crée la société ELOA PROD pour proposer des productions telles que Toussaint Louverture, Le Rêve français et la série Meurtres à… dans les outre-mer. Engagée pour une représentation plus inclusive, elle co-écrit Noire n’est pas mon métier et s’implique dans l’association Pour les Femmes dans les Médias (PFDM). En ouvrant le concours ATOM, qui offre une formation complète à des scénaristes des territoires ultramarins, elle réaffirme son engagement pour un secteur audiovisuel plus équitable et diversifié. Un portrait à découvrir absolument !
Photo FILM MEURTRES A MARIE GALANTE- FRANCE ZOBDA et PASCAL LÉGITIMUS -© ELOA PROD
Photo FILM MEURTRES EN MARTINIQUE -FRANCE ZOBD et OLIVIER MARCHAL-© ELOA PROD
Eloa Prod au service de la diversité
Lorsqu'elle fonde Cinamazonia, le Festival de Cinéma des mondes métissés en 2002, France Zobda entend donner une place centrale aux films d'Amérique Latine, d'Asie, d'Afrique et des Caraïbes. Conçu en Guyane en partenariat avec Yasmina Ho-You-Fat, cet événement vise à rassembler les pays du Sud et à mettre en lumière une région souvent sous-représentée dans le paysage cinématographique. La première édition, qui attire près de 12 000 spectateurs, marque un succès immédiat, révélant la richesse et le mystère de la Guyane. Ce festival, organisé en 2002 puis en 2007, a permis aux professionnels ultramarins de se faire entendre auprès des diffuseurs et chaînes de télévision, renforçant la visibilité de ces talents sur la scène nationale.
La carrière de France Zobda prend un tournant décisif en 2005 lorsqu’elle rencontre Perrine Fontaine, alors directrice de la fiction chez France Télévisions. Cette rencontre conduit à une prise de conscience des obstacles rencontrés par les talents ultramarins dans l'audiovisuel français et aboutit à la rédaction d'une Charte pour la diversité, signée la même année. Cet accord représente une avancée majeure pour l'inclusion des voix ultramarines à la télévision française.
Toujours en 2005, aux côtés de son époux Jean-Louis Monthieux, France Zobda cofonde Eloa Prod, une société de production dédiée à promouvoir une représentation authentique de la diversité. « Avec mon mari, nous avons choisi de développer une production qui mette en avant les Outre-mer et la diversité », explique-t-elle. Le projet d'Eloa Prod reflète leur engagement pour une visibilité accrue des talents et récits ultramarins, contribuant ainsi à un paysage audiovisuel plus inclusif et représentatif.
Le couple doit lutter pour s'imposer dans le paysage de la télévision française. Au fil des années, ils réussissent à intégrer des récits de diversité et des histoires issues de l'Outre-mer dans la fiction télévisuelle, touchant ainsi un large public. La série Meurtres à..., tournée en Guadeloupe, Guyane, Martinique et plus récemment à Saint-Martin, permet de « présenter non seulement les légendes et les traditions locales, « mais aussi notre quotidien, notre culture. » Le succès d’audience confirme que le public est avide de ces récits diversifiés.
Avec des productions telles que Les Sandales blanches, qui raconte la vie d’une cantatrice algérienne interprétée par Amel Bent, et Le Rêve français, une série évoquant les années du Bumidom, Eloa Prod continue d'explorer des thématiques liées à l'immigration et à l'intégration, offrant ainsi une vision plus inclusive de la France contemporaine. Parallèlement, la société s'engage à renforcer la place des femmes dans une industrie historiquement dominée par les hommes, en particulier dans les domaines de la production, de la réalisation et des rôles principaux. « À la télévision, contrairement au cinéma, nous ne sommes pas obligés de nous limiter aux noms bankables ; nous pouvons donner une chance à des talents moins connus », souligne-t-elle, ouvrant la voie à de nouveaux visages.
Dans cette optique d’ouverture, France Zobda crée un book au sein de France Télévisions afin de promouvoir la diversité dans l’audiovisuel. Ce projet a pour objectif de recenser des talents issus de cultures variées, incluant non seulement ceux de l’Outre-mer, avec l'identification de près de 400 acteurs représentatifs de la diversité. Cet outil précieux permet aux scénaristes, producteurs et réalisateurs de dénicher des talents issus de la diversité pour leurs productions.
Eloa Prod promeut également la parité en réalisation et en écriture, une évolution soutenue par des initiatives comme le collectif 50/50, qui favorise des narrations plus nuancées sur des sujets cruciaux tels que les violences conjugales. Ce mouvement vers une plus grande parité et diversité constitue une avancée significative dans l’audiovisuel français : « Nous travaillons souvent en binôme, en veillant à intégrer à la fois les perspectives masculines et féminines. Les femmes prennent de plus en plus de place dans le paysage audiovisuel français. Il est essentiel que nous ayons une représentation diversifiée qui montre des réalités différentes. Les femmes ont beaucoup à partager, notamment sur des sujets tels que les violences conjugales et les agressions, et elles n’hésitent pas à livrer des récits qui traitent de ces thèmes. Cela est vraiment indispensable. Nous sommes à un tournant où les femmes occupent une position de plus en plus significative. Avec la parité instaurée entre réalisatrices et réalisateurs, nous assistons à un rééquilibrage nécessaire dans l'industrie. Tout le monde en tire profit. Cependant, il est crucial de continuer à multiplier les projets, car nous avons besoin de davantage de réalisatrices, d'actrices et d'acteurs. Je suis convaincue que cette évolution est en marche et qu'elle va se renforcer avec le temps. »
ATOM : un tremplin pour les jeunes scénaristes ultramarins
Lorsque France Zobda lance en janvier 2022, le projet ATOM pour Auteurs Talents Outre-mer, avec le Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle (CEEA), son objectif vise à donner une voix aux jeunes talents ultramarins dans le secteur audiovisuel. En donnant aux jeunes créateurs l’opportunité de participer activement au récit national, ATOM s'efforce de combler le déficit de représentation des territoires d'outre-mer dans les scénarios français, enrichissant le paysage médiatique d’une diversité de voix. Le dispositif de formation d’ATOM inclut une préparation complète aux métiers de l’écriture audiovisuelle, avec des ateliers de scénarisation, des séances de mentorat et des activités pédagogiques intensives. Pendant les deux ans de formation, les lauréats bénéficient d’un accompagnement continu, incluant des masterclass menées par des professionnels de l’industrie comme Netflix, afin de renforcer leurs compétences en écriture et d’intégrer progressivement le milieu audiovisuel. Ce parcours, axé sur le développement et la professionnalisation des scénaristes, vise à donner aux talents d’outre-mer une place durable dans la création audiovisuelle française.
« Il est essentiel de rechercher des financements là où ils se trouvent et de mobiliser les personnes prêtes à faire évoluer les choses. C’est dans cette dynamique que j’ai initié la bourse ATOM, destinée aux auteurs ultramarins. Ce projet inclut un concours qui a permis l’an dernier à quatre diplômés, une Martiniquaise, une Guyanaise, un Guadeloupéen et un Réunionnais, de suivre une formation de deux ans au conservatoire européen de l’écriture audiovisuelle, entièrement financée. J’ai réussi à rassembler 420 000 euros de fonds pour cette initiative, 450 000 euros pour les deux premières années, couvrant non seulement les frais de scolarité, mais aussi le billet d’avion aller-retour pour rentrer chez eux, ainsi qu’une bourse de 750 euros et un logement en résidence universitaire de qualité. Ces étudiants ont vécu une expérience inoubliable. Avant le concours, ils ont participé à un séminaire de 15 jours qui leur a fourni des outils essentiels pour comprendre l'écriture de scénarios. Le concours consistait d’abord à rédiger un court-métrage de 10 pages, suivi d’un synopsis de long-métrage de 6 pages pour le concours national. Tous les participants, qu'ils viennent de Métropole ou d’Outre-mer, ont travaillé sur le même sujet. J'ai également organisé des modules avec des personnalités, comme Lucien Jean-Baptiste, qui ont soutenu cette initiative. Cela a permis de lancer un appel à projets, incitant les talents d’Outre-mer à s’inscrire. À ma grande surprise, nous avons enregistré près de 200 candidatures. »
Seize candidats sont sélectionnés, dont quatre lauréats pour chaque territoire : Martinique, Guyane, La Réunion et Guadeloupe. Les retours des jeunes retenus sont enthousiastes. Tous manifestent un réel engouement, décrivant l’expérience comme une véritable opportunité privilégiée. Fidèle à sa vision de l'excellence et de la rigueur, France leur rappelle cependant que ce rêve repose avant tout sur un travail exigeant. Aujourd'hui, ils possèdent tous les outils nécessaires, et il leur appartient désormais de les utiliser pleinement : « J'ai toujours encouragé ces talents à se préparer à travailler dur, leur rappelant qu'ils possédaient les compétences nécessaires grâce à leur formation brillante. Mon rôle est de leur ouvrir des portes. »
France Zobda souligne à ces jeunes talents qu’ils portent au-dessus d’eux une sorte d’épée de Damoclès : l’obligation de viser l'excellence. Cela signifie que les marges d’erreur sont souvent minces, ce qui rend la formation et la maîtrise du métier essentielles. Elle leur rappelle que la compétence se développe par l’apprentissage rigoureux et qu’une fois engagés dans le secteur, ils doivent convaincre par leur rigueur et leur exigence envers eux-mêmes. La qualité du travail doit être sans faille.
« Être des Français à part entière et pas entièrement à part »
La France éprouve encore des difficultés à valoriser pleinement certaines de ses diversités culturelles, un constat que France Zobda connaît bien. Elle-même a dû surmonter de nombreux obstacles pour arriver là où elle est aujourd'hui. C’est précisément pour cette raison qu’elle souhaite aider les jeunes talents à éviter ces écueils et à tracer un chemin plus accessible vers la réussite. Ce manque de visibilité révèle une difficulté à donner voix aux réalités et aux mémoires ultramarines, limitant ainsi la transmission de cette histoire à un large public.
Pour réussir dans ce métier, France souligne qu'il est crucial de se sentir accueilli et légitime dans sa place. Un sentiment de rejet, même subtil, peut inciter à abandonner. En revanche, un accueil authentique transforme toute l'expérience. Son message, c’est de leur dire : « Vous êtes ici chez vous, dans votre pays. En tant que citoyens, vous avez le droit et le devoir de vous battre pour vous faire une place. L’environnement est une jungle, particulièrement dans les métiers artistiques où tout est subjectif. Mais il est possible d’apporter sa pierre, de contribuer à une meilleure compréhension des Outre-mer, de vos cultures, de vos vécus. Et même si ces histoires ont une touche locale, elles doivent toucher à l’universel : l’amour, la douleur, la guerre, autant de thèmes qui résonnent avec tout le monde. C’est cela, écrire des histoires universelles tout en intégrant son identité. »
Au-delà de l’Outre-mer, France Zobda s’attache également à traiter d’autres sujets d'importance comme l’immigration et l’intégration des Antillais dans l'hexagone avec des œuvres comme Le Rêve français, qui revient sur le programme du Bumidom dans les années 60. Ce travail de mémoire permet d’informer les jeunes générations, qui ignorent souvent l’histoire et les trajectoires qui expliquent la diversité actuelle de la France.
En choisissant la télévision, un média de masse accessible, nous avons voulu rendre ces récits populaires, pour qu’ils touchent un large public et que chacun puisse comprendre les résonances contemporaines de notre passé commun : « On entendait souvent des remarques du genre : « Pourquoi y a-t-il autant d'Antillais à la Poste, à l'hôpital, aux douanes ? » Nous avons donc décidé de proposer une explication à l'équipe, pour comprendre pourquoi et comment cette situation s'était installée. Le projet, une fiction de deux épisodes de 90 minutes, a rencontré un réel succès et nous a aussi permis d’expliquer aux plus jeunes certaines réalités historiques. Beaucoup de jeunes ignorent des épisodes majeurs de notre histoire, comme les grands mouvements antiracistes des années passées. Il est important, parfois, de leur rafraîchir la mémoire avec des « piqûres de rappel ».
Dans Le Rêve français, le personnage principal, un avocat, conclut sa plaidoirie par une citation marquante d’Aimé Césaire sur le statut des Martiniquais et des Guadeloupéens : « Être des Français à part entière et pas entièrement à part. » Par ces mots, il réaffirme le besoin essentiel d’égalité et d’inclusion, rappelant l'importance de garantir une place juste aux citoyens ultramarins au sein de la société française.
France Zobda a donc conçu ce projet télévisuel de deux fois 90 minutes, pour le prime time, en se demandant chaque fois comment apporter un regard neuf sur l’actualité et relier les récits du passé aux réalités actuelles. Que le thème touche à l’identité, à la société ou à des événements marquants, il s’agit de faire ressortir les résonances contemporaines de ces histoires anciennes, en explorant des perspectives diverses, venues de métropole comme des Outre-mer. Cette approche s’est révélée efficace : le projet a réalisé des parts d’audience solides en prime-time, même pour des sujets sensibles ou moins médiatisés.
En racontant les histoires individuelles au sein de la grande Histoire, France Zobda a su rendre le sujet accessible au plus grand nombre. Si elle a choisi la télévision plutôt que le cinéma, c’est parce que la télévision permet de toucher un public bien plus large. Le cinéma, parfois perçu comme plus élitiste, demande un engagement au spectateur : « La télévision s’invite directement dans les foyers, répondant à une demande collective et populaire. Ce travail, exigeant mais essentiel, rassemble les gens autour d’un programme commun, créant un lien fort avec le public. »
Vivre ensemble : la difficulté d’affronter le passé
En France, certains sujets sont encore difficilement abordables. Cette difficulté à ouvrir un dialogue public se reflète dans le traitement réservé aux œuvres qui tentent de le faire. Récemment, le film Ni chaînes, ni maîtres, qui explore cette période douloureuse, a reçu très peu de soutien et une promotion quasi inexistante, malgré l’importance de son message. Ce manque de visibilité illustre la réticence française à examiner certaines parties de son histoire.
Contrairement à d'autres pays qui ont su intégrer leurs récits d'oppression dans leur culture populaire et éducative, la France peine encore à se confronter pleinement à ces épisodes de son passé, ce qui limite la compréhension et le « vivre ensemble » au sein de la société : « En France, dès qu'il s'agit de sujets qui remettent en question certains aspects de l'histoire nationale – comme la guerre d'Algérie ou la question de l'esclavage – il y a un malaise palpable. Contrairement aux États-Unis, où le cinéma aborde des thématiques historiques douloureuses comme l’esclavage, ici, nous n'avons pas eu de grande production qui explore ces réalités. Ce silence autour des pages sombres de notre histoire empêche une compréhension profonde du passé et de ses répercussions sur le présent. Si la France acceptait de se confronter à ces événements, de les décortiquer et de les expliquer, cela permettrait aux citoyens de mieux comprendre leur propre société et d'éviter de cristalliser des tensions. Mais trop souvent, ces débats sont évités, alors que ce sont précisément ces dialogues qui nous aideraient à construire un véritable vivre ensemble. Les films et les œuvres qui abordent ces sujets, même s'ils sont imparfaits, jouent un rôle essentiel pour éveiller les consciences et permettent à chacun de se faire sa propre opinion sur des questions historiques cruciales. »
Penser l’universalité
Soucieuse de permettre aux jeunes générations d’éviter les écueils qu’elle a elle-même dû affronter, France Zobda leur suggère de toujours penser avec une perspective d’universalité. Il s’agit de raconter des histoires qui relient la grande histoire à la petite, et qui peuvent résonner bien au-delà du cadre personnel ou culturel. Selon elle, la visibilité se gagne en touchant un large public, plutôt qu’en s’adressant uniquement à ceux qui partagent déjà le même vécu. Cela implique de se poser la question essentielle : comment raconter son histoire à quelqu’un qui ne la connaît pas ? C’est un exercice de clarté et d’inclusion.
Elle rappelle que l’autre n’a pas forcément les mêmes repères ou la même réalité, et qu’écrire pour le grand public signifie s’assurer que son récit trouve un écho et capte l’intérêt d’un public varié : « Il est essentiel de reconnaître la valeur des récits qui mettent en lumière des histoires souvent ignorées. Ce film a un véritable rôle d'utilité publique, car il permet de mieux comprendre notre histoire collective et d'appréhender les différentes cultures qui se croisent dans nos vies. Trop souvent, des sujets délicats, comme la colonisation, suscitent des tensions, alors qu'il est possible de les explorer sereinement, notamment à travers la littérature, qu'elle soit française ou étrangère. Il est décevant que notre histoire ne soit pas toujours représentée dans les livres d'histoire en France ; cela laisse des pages déchirées. En décryptant notre passé ensemble, nous avons l'opportunité de favoriser un véritable vivre-ensemble, en comprenant les parcours des autres et en explorant les raisons de leur présence ici. C'est un chemin essentiel vers la compréhension mutuelle et l'acceptation. »
En encourageant une narration inclusive et universelle, France Zobda montre la voie vers une meilleure compréhension des histoires individuelles comme collectives, permettant ainsi de surmonter les divisions. En « embarquant le public » dans des récits.
qui touchent à la fois à l’intime et à l’universel, elle aspire à créer un espace où chaque histoire peut contribuer à un vivre-ensemble fondé sur la compréhension et le respect mutuels.
Si vous souhaitez en savoir plus sur Eloa Prod : https://www.eloaprod.tv/
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