Regards sur les Outre-mer avec Aïssata Seck, directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage : un engagement au delà de la préservation de la mémoire, pour une société plus inclusive

Regards sur les Outre-mer avec Aïssata Seck, directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage : un engagement au delà de la préservation de la mémoire, pour une société plus inclusive

Cette semaine, Outremers 360 a rencontré Aïssata Seck, directrice de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, dont le parcours, marqué par l’engagement et la ténacité, reflète une volonté de construire une mémoire partagée. Comment ? En contribuant à un récit national plus inclusif grâce à la reconnaissance des figures oubliées de l’histoire. Son engagement va au-delà de la préservation de la mémoire : il combat les discriminations et vise à renforcer la cohésion sociale. À la tête de la Fondation, Aïssata Seck concrétise cet idéal par des actions concrètes, mobilisant tous les acteurs et touchant toutes les générations.

 

Aissata Seck ©FME
 

De la prise de conscience à l’engagement

Il fait encore nuit ce matin-là lorsque plusieurs hommes armés en uniforme font irruption dans l’appartement des parents d’Aïssata Seck. Ils fouillent, retournent, éparpillent, bousculent et bouleversent profondément l’existence de leurs occupants. Cette perquisition, brutale et injustifiée – il s’est finalement avéré que la police avait ciblé le mauvais logement - , reste gravée comme une blessure, et marque le début d’une prise de conscience. Ce jour-là, Aïssata comprend que les injustices subies par sa famille ne sont pas isolées : elles sont le reflet d’un système, d’un héritage historique qui pèse encore sur les minorités :  « Ce traumatisme a renforcé ma détermination à lutter contre les injustices et les discriminations que subissent les minorités, notamment les personnes issues de l'immigration. »

De cette épreuve naît un besoin de comprendre, de s’engager, de ne plus rester spectatrice. Guidée par ses origines africaines et son attachement aux outre-mer, elle s’intéresse à l’histoire de l’esclavage ainsi qu’à celle, plus intime, des tirailleurs sénégalais, liée à son héritage familial. Elle réalise que pour combattre les discriminations systémiques, il faut d’abord reconnaître et valoriser ces mémoires partagées, trop longtemps reléguées aux marges du récit national. Les émeutes de 2005, à la suite des décès de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois viennent renforcer sa détermination : elle veut agir pour un avenir plus inclusif, en construisant des ponts entre les histoires et les communautés : « Mes origines africaines ont fortement influencé mon engagement pour la mémoire de l'esclavage. Ayant moi-même subi des discriminations, j'ai ressenti le besoin de mieux comprendre notre histoire commune. Mon parcours personnel m'a amené à réaliser l'importance de reconnaître les mémoires partagées, notamment celles des tirailleurs sénégalais. J'ai toujours eu un lien fort avec les Outre-mer, que ce soit par mes origines familiales ou par mes rencontres amicales. Je considère que nous avons tous une histoire commune, marquée par l'esclavage, et que nous devons travailler ensemble pour construire un avenir plus juste et inclusif. »

©DR Légende : Cérémonie du 11 novembre 2022, Arc de Triomphe, Paris, en présence de Mme Aïssata TALL SALL, Ministre sénégalaise des affaires étrangères, de l'ambassadeur du Sénégal en France SEM El Hadji Magatte Seye, de la secrétaire d'état chargée de la francophonie Chrysoula Zacharopoulou et de l'ambassadeur itinérant du Sénégal auprès de la présidence de la République du Sénégal SEM Fode Sylla. Étaient présents également diplomates, élus, présidents d'associations et citoyens.

Un parcours gravé dans la ténacité

Aïssata Seck avance avec la détermination de celle qui considère l’apprentissage comme une clé universelle. Après un BTS de secrétaire de direction, elle occupe le poste de responsable marketing au sein du magazine Alternatives Économiques. En 2010, elle reprend ses études et obtient un master en communication politique et publique. Après son engagement dans le militantisme associatif, elle se lance en politique en rejoignant le Parti socialiste. En 2014, elle devient adjointe au maire de Bondy, en charge des anciens combattants et des politiques mémorielles. En 2018, elle intègre la Mission de la mémoire de l’esclavage, des traites et de leurs abolitions, prémices de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage. Affirmant toujours plus son engagement politique, elle est élue conseillère régionale d’Île-de-France en 2021. Depuis décembre 2023, elle occupe le poste de directrice générale de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. « J'ai rejoint la Fondation pour la mémoire de l'esclavage en novembre 2019, peu après sa création. D’abord en tant que responsable du programme Citoyenneté, Jeunesse et Territoires, j'ai conçu et mis en œuvre l'intégralité de ce programme de 2019 à 2023. »

Le programme Jeunesse et Territoires s’inscrit dans une volonté de faire vivre la mémoire de l’esclavage à travers le prisme de la jeunesse, avec l’ambition affichée de sortir des sentiers battus. Porté par une approche territorialisée, ce dispositif entend soutenir des initiatives locales portées par les collectivités en proposant des appels à projets, des kits pédagogiques, et un accompagnement des collectivités : « Nous organisons des cérémonies commémoratives adaptées, en conseillant sur les lieux et les formats appropriés. Par exemple, nous déconseillons d’organiser ces cérémonies devant des monuments aux morts qui ne reflètent pas l’histoire de l’esclavage. En l’absence de lieux dédiés (plaques, monuments), nous recommandons des espaces neutres, comme une place publique, et suggérons d’impliquer les jeunes, notamment à travers les écoles et les associations. Nous fournissons également des outils pratiques, comme des éléments de langage pour les discours. Si ces commémorations sont bien ancrées en Outre-mer, elles restent moins présentes en Hexagone, où notre objectif est de renforcer leur reconnaissance et leur impact. »

Les outils visent à répondre aux spécificités des territoires, notamment en outre-mer où l’héritage de l’esclavage demeure plus prégnant. L’accent mis sur la participation des jeunes et leur créativité se traduit par une panoplie de ressources pratiques, allant d’une exposition itinérante retraçant l’histoire de l’esclavage en France à des contenus numériques tels que des podcasts et des vidéos : « Pour enrichir ces démarches, la Fondation propose une exposition itinérante, la première dédiée à l’histoire française de l’esclavage. À travers 17 panneaux, elle met en lumière l'esclavage colonial, ses héritages, et les figures héroïques ayant contribué à son abolition, tout en insistant sur la spécificité de l’histoire française, souvent éclipsée par celle des États-Unis. Enfin, chaque année, une thématique particulière est proposée pour le Temps des Mémoires afin de donner une résonance nationale et locale aux commémorations. »

Pour y parvenir, la Fondation s'appuie sur un conseil scientifique composé de chercheurs renommés pour garantir la qualité de ses travaux : « La Fondation entretient des collaborations étroites avec un réseau de chercheurs et d'historiens de renom. Notre conseil scientifique, présidé par Audrey Célestine, joue un rôle essentiel dans l'orientation de nos travaux. Les échanges avec des personnalités comme Magalie Bessone, Myriam Cottias ou Françoise Vergès nous permettent d'enrichir nos connaissances et de développer des projets innovants. Ces collaborations sont indispensables pour garantir la rigueur scientifique de nos travaux et pour offrir au public une vision éclairée de l'histoire de l'esclavage. Personnellement, je suis particulièrement inspirée par le parcours de Christiane Taubira, dont les combats pour la justice et l'égalité sont une source de motivation constante. »

©FME légende : exposition « RESISTANT.ES. CONTRE L’ESCLAVAGE » dans 4 grandes gares SNCF (Paris Gare de Lyon, Lyon Part-Dieu, Marseille Saint-Charles et Toulouse Matabiau)

Construire un avenir plus inclusif

La Fondation multiplie les initiatives pour intégrer l'histoire de l'esclavage dans les cursus scolaires. Pour cela, elle s’adresse d’abord aux enseignants, en leur proposant des formations continues et collabore avec des institutions culturelles comme le Centre des monuments nationaux et le musée du Nouveau Monde à La Rochelle afin de créer des parcours pédagogiques dédiés. Avec la mise en place du réseau Patrimoine et Mémoire, elle favorise les échanges entre acteurs culturels et le développement de projets communs.

Pour impliquer directement les jeunes, la Fondation accueille régulièrement des stagiaires dans ses différents programmes éducatifs et citoyens. Elle organise également un concours d’éloquence à destination des jeunes de l’École de la deuxième chance, dont la finale se tient au Sénat, leur permettant de développer des compétences en communication tout en réfléchissant aux enjeux de mémoire. En partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, des actions de sensibilisation sont également menées dans les établissements scolaires avec l’ambitionne affichée de rendre les jeunes, acteurs d’une réflexion collective sur les héritages de l’esclavage et sur la construction d’un avenir plus inclusif.

©FME  Légende : Enregistrement décembre 2024, en direct et en public du podcast Le Paris Noir par Kévi Donat avec Solène Brun au sujet du « Mythe Métis » à la librairie Un livre et une tasse de thé

2025 : Labellisation des lieux de mémoire

L’année 2025 sera marquée par deux initiatives d’envergure : une grande exposition nationale sur l’histoire et les héritages de l’esclavage, prévue pour fin 2025 ou début 2026, et le lancement d’un label pour les lieux de mémoire en France hexagonale et en Outre-mer. Ces projets, annoncés par le Premier ministre Gabriel Attal le 10 mai dernier à l’occasion de la cérémonie de commémoration de l’abolition de l’esclavage à La Rochelle, témoignent de l’ambition de la Fondation de renforcer la visibilité et la portée de son action.

A l’occasion du cycle commémoratif, le Temps des mémoires, la Fondation annonce l'ouverture de son nouvel Appel à projets Citoyenneté 2025 qui vise à soutenir financièrement des initiatives innovantes en matière de politique mémorielle, tant au niveau national que local, portées par des associations.

Parallèlement, la Fondation renforce ses collaborations avec les collectivités territoriales et les institutions culturelles telles que le Louvre, le Panthéon, l’Hôtel de la Marine, le Mucem, ainsi que des musées d’outre-mer comme le MACTE en Guadeloupe ou le musée de Villèle à La Réunion : « Ces collaborations nous permettent de diffuser largement la mémoire de l'esclavage et de favoriser un dialogue intergénérationnel. À la jeunesse ultramarine, et en particulier à la jeunesse afro-descendante, je veux dire que notre histoire est marquée par des héritages difficiles et complexes, mais elle est aussi riche de diversité, une diversité magnifique dont nous pouvons être fiers. Lorsque je m’adresse aux élèves dans les écoles, je leur rappelle que nous avons une place pleine et entière dans la société française, et qu’il nous appartient de la prendre.»

Plus d’infos :

Fondation pour la mémoire de l’esclavage : https://memoire-esclavage.org/

Appel à projets citoyenneté 2025 : https://memoire-esclavage.org/ouverture-de-lappel-projets-citoyennete-2025#:~:text=Pour%20quels%20projets%20%3F,d%C3%A9cembre%20au%2021%20d%C3%A9cembre%202025.

EG