Député européen depuis 2012, Younous Omarjee, originaire de La Réunion, a été élu Président de la Commission du Développement Régional en juillet 2019. Dans le cadre de ces fonctions, le député européen milite pour une meilleure solidarité européenne envers les plus fragiles. Dans ce numéro de Regards d'actu, Younous Omarjee aborde son engagement en faveur des régions ultrapériphériques, sa vision stratégique au sein de l'Union Européenne, la politique de la pêche, et les futurs dossiers à traiter.
Présidence de la Commission REGI au sein de l’Union européenne
C'est extrêmement important parce que les régions ultrapériphériques françaises restent toujours les régions les plus pauvres de l'Union européenne. Ce sont celles qui ont le plus à bénéficier de cette grande politique de solidarité qu'on voit inscrite dans l'ensemble de nos territoires, vu qu'il n'y a quasiment pas un seul investissement structurant à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Saint Martin,ou à Mayotte, qui ne soit avec les fonds.
Suspension des fonds de cohésion à Mayotte
Au moment de la rupéisation de Mayotte, je me suis battu pour que Mayotte bénéficie d'une enveloppe pleine de fonds structurels. Il faut se souvenir que cela n'avait pas été le cas au départ, car une enveloppe forfaitaire avait été attribuée à Mayotte.
Mayotte a aujourd'hui une enveloppe pleine, mais elle a cette particularité, c'est l'État qui est autorité de gestion. En France, ce sont les Régions. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'État n'est pas au maximum de la performance dans l'utilisation des fonds européens, avec un certain nombre d'erreurs, si ce n'est de faute de gestion, qui ont conduit la Commission européenne à suspendre les paiements. La Commission européenne me l’avait confirmé en commission de développement régional.
Il y a un chemin pour que l'État retrouve la bonne gestion nécessaire, parce qu'il s'agit de l'argent du contribuable européen et on ne peut pas tolérer les dérives qui ont été pointées.
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Rebond du nationalisme en Europe
Je l'ai exprimé à LA Réunion comme je l'exprime partout en Europe dans mes déplacements. Le rebond du nationalisme est une affaire qui concerne le monde entier et une affaire qui concerne aussi l'Union européenne, pour une série de raisons. Mais il est vrai qu'aujourd'hui, le rebond du nationalisme en Europe menace directement le projet européen et les politiques européennes.
L'idée même de la politique régionale repose sur la solidarité entre les pays de l'Union. Il n'y a qu'en Europe où les pays se sont mis ensemble pour être solidaires et pour faire en sorte que d'un point à l'autre de l'Union, de l'ultrapériphérie, au nord, au Nord, au Sud, à l'Ouest, on épouse les mêmes conditions de vie. Un nationaliste, il a une vision qui est totalement différente puisqu'il considère que seuls les intérêts de la nation et des citoyens de son État doivent primer. Cette percée des nationalismes en Europe à terme menace évidemment les politiques régionales et les efforts de solidarité faits vis-à-vis des Outre-mer français, des régions ultrapériphériques portugaises et espagnoles.
Politique de pêche de l'Union européenne
Il faut tout de même rappeler qu'il y a une interdiction générale à l'échelle de l'Union pour la modernisation et le renouvellement des flottes de pêche depuis très longtemps. On n'aurait jamais évoqué la possibilité de pouvoir renouveler les flottes de pêche des RUP si le Parlement européen n'avait pas voté mon amendement en plénière du Parlement européen. Si je n'avais pas mené la bataille auprès de la Commission Juncker, il y a très longtemps où nous avons commencé ce combat depuis 2013. Il m’a fallu 5 ans pour obtenir du Président Juncker la décision annoncée à Cayenne lors de la Conférence des RUP mise en œuvre par le commissaire Vestager. Lorsqu'en 2018, la Commission européenne décide d'accorder cette exception pour l'Europe, elle pose évidemment un certain nombre de conditions acceptées par tout le monde en disant qu’il «nous faut un certain nombre de données sur la ressource halieutique dans les zones concernées». Il y a un manquement de l'État parce que les années se sont écoulées et la France n'a pas fourni des données à la Commission européenne. On voit bien que ces défaillances se paient de manière très chère parce que tout le travail que nous avons fait de conviction, tout ce travail extrêmement important, toute l'espérance levée, surtout auprès des pêcheurs, pour avoir le développement de leurs filières.
Nous avons commencé à travailler avec la Commission européenne sur une solution alternative, mais qui sera très en deçà de ce qui aurait dû être obtenu par les pêcheurs. Mais je dis qu'il n'est pas trop tard et rien n'empêche à la France de se mettre au travail enfin et de fournir à la Commission européenne des données.
Développement de la stratégie insulaire au sein de l’Union européenne
Nous sommes des îles, nous sommes immenses. Nous sommes forts de l'immensité de l'océan qui ouvre nos pays, nos îles sur un monde de possibilités. Et cette nouvelle frontière pour le développement est tout à fait considérable. Nous devons, je crois que c'est très important, changer le regard sur nous même. Trop souvent, on considère qu' on est des petits, on est des petites îles, pauvres, misérables, etc. Non, nous sommes forts, nous sommes puissants, nous sommes beaucoup plus forts en réalité, beaucoup plus immenses que les pays enclavés de l'Europe centrale.
L'Union européenne elle-même doit regarder ces îles différemment, parce que vous avez aujourd'hui des stratégies impériales portées par un certain nombre de puissances qu’elles essaient de dominer les espaces autour des îles. Chaque île, depuis la convention de Montego Bay, ouvre sur un domaine maritime. Aujourd’hui, ils sortent des grands fonds océaniques. Les îles permettent le contrôle d'un certain nombre de routes également commerciales. En somme, elles ont une importance géo-économique, géostratégique qui est considérable et nous devons avoir conscience de notre force, y compris dans notre relation avec nos gouvernements respectifs.
L'Union européenne est un archipel qui s’ignore. Il n'y a pas que les îles françaises. Vous avez aussi des îles italiennes, vous avez des îles croates, vous avez des îles portugaises, vous avez des îles au Nord également, vous avez des îles grecques qui sont très nombreuses. Donc, il y a toute une stratégie, toute une ambition, toute une vision insulaire qui doit être aujourd'hui consolidée. Nous essayons de poser ici et là, quelques jalons. Lorsque vous pourrez exercer une responsabilité politique, vous êtes appelé par l'ordre du jour des travaux, où il faut faire face aux urgences, mais vous devez aussi essayer de frayer quelques chemins qui seront ensuite pris par d’autres. Ce chemin, j’espère l’ouvrir.
Lutte contre la corruption, Aide aux familles les plus vulnérables
Nous avons des dossiers extrêmement importants à venir. Nous avons une rencontre avec la procureure générale du Parquet européen, la Roumaine Codruta Kövesi, où nous allons parler de la corruption.
La corruption est un fléau dans toute l'Europe. Ce n’est pas un fléau seulement dans les pays désignés et connus, mais c'est un fléau dans tous les pays de l'Union européenne et parfois y compris même dans nos îles.
Je pense que les citoyens sont très attentifs et très désireux que le combat mené contre la corruption soit le plus exigeant possible. Je vais lui dire qu’elle a le plein soutien de la Commission REGI pour qu’il y ait zéro corruption sur des fonds structurels européens. car dans le même temps, les peuples font face à des difficultés considérables. Augmentation des aliments, l’inflation est partout.
Dans nos régions, les difficultés sont encore plus fortes avec beaucoup de problèmes de conditions de vie dans nos territoires. Le problème est que l’on parle toujours des milliards d’euros de l’Europe. Mais lorsqu'on rencontre les gens, ils nous interrogent sur : «Où va cet argent? Pendant ce temps, moi j’ai des coupures d’eau, je ne peux pas payer mes factures de gaz et d’électricité. Je suis obligé de compter pour mon caddie». Il faut donc pouvoir des réponses très concrètes.
Nous avons mis sur la table une proposition pour aider les familles les plus vulnérables qui font face à l'augmentation des prix, en particulier de l'énergie. Nous avons mis en place des aides pour les très petites entreprises. Peu de personnes savent que cela vient du Parlement européen, puisque les ministres des Etats-membres récupèrent le travail fait. Mais l’essentiel est que les aides arrivent au plus près des personnes. Nous veillons à ce que ce ne soit pas toujours les mêmes qui soient servis. Il s’agit de changer les choses pour que les fonds européens puissent aussi bénéficier aux plus petits porteurs de projets. Il y a des problèmes, par exemple, pour les avances. Les gens n'ont pas de trésorerie et ne peuvent pas faire l'avance. C’est le cas pour nos pêcheurs ou nos agriculteurs, mais globalement pour les citoyens. Cela oblige à des changements de règles. Un législateur est là pour ça, pour changer les règles. Nous travaillons sur le futur de notre politique. En ma qualité de président de la commission REGI, j’ai bien l’intention de changer un certain nombre de règles pour que les fonds européens soient répartis plus justement qu'ils ne le sont aujourd'hui.