Philippe Bouba, 5ème Vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane : « Cela serait inconcevable que la Guyane, qui est en train de bâtir une évolution statutaire pour plus d'autonomie continue à être cramponnée aux Antilles avec le CROUS »

Philippe Bouba, 5ème Vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane : « Cela serait inconcevable que la Guyane, qui est en train de bâtir une évolution statutaire pour plus d'autonomie continue à être cramponnée aux Antilles avec le CROUS »

Cela fait des années maintenant que les acteurs du monde politique et éducatif de Guyane réclament un Centre régional des œuvres universitaires et scolaire (Crous) de pleine exercice sur leur territoire. Malgré une croissance exponentielle du nombre d’étudiants et un développement des offres des formations universitaires, la Guyane continue de dépendre des Antilles sur ce point. Une situation qui n’est pas sans entrainer son lot de difficultés pour les étudiants guyanais. C’est ce que dénonce Philippe Bouba, 5ème Vice-président de la Collectivité Territoriale de Guyane. Il a accordé un entretien à Outremers360.

Outremers360 : Pouvez-vous nous résumer la situation des étudiants de Guyane ?  

Philippe Bouba: Les étudiants, au total, sont plus de 5000. En 2015, ils étaient environ 2000. Nous sommes donc en réelle progression. La Licence STAPS ouvrira en septembre 2024 ainsi que la 3ème année de médecine. Ce qui signifie donc que le CROUS aura de plus en plus de dossiers à analyser, de situations à traiter, d'étudiants à accompagner. Et donc, en ce qui concerne cet accompagnement, tous les dossiers des jeunes de l'université de Guyane, de l'École de Gestion et Commerce, de BTS, de l'IUT, de l'INSPE, etc. se font en Guyane par le biais de notre CLOUS (le « L » signifie local) mais sont validés à plus de 2000 kilomètres, c'est-à-dire aux Antilles. C'est quand même assez incongru que les demandes de bourses, logements ou aides exceptionnelles ne soient pas traités en Guyane mais dans une autre région.

Quelles sont les principales difficultés que les étudiants vous remontent ?

Les étudiants sont souvent en attente. Ils se sentent esseulés... De plus, si on regarde la composition du conseil d'administration actuelle, il y a une réelle inégalité. L'exemple est parlant et ne mérite aucun développement de ma part : il y a 12 élus étudiants pour les Antilles et deux seulement pour la Guyane (titulaires et suppléants). De plus, les collectivités ne siègent qu'une fois tous les trois ans. Je ne peux donc pas savoir ce qu'il se passe au CA du CROUS Antilles-Guyane pendant deux ans. Étonnant, non ?

Pourquoi cette situation dure depuis si longtemps ?

À cause de l'inertie, la fatalité, l'habitude, je ne sais pas trop. Je pense que notre CROUS aurait dû devenir autonome dès la création de l'université de Guyane. C'est ce qui aurait été cohérent et politiquement désirable. Ce ne fut pas le cas. C'est ainsi... A nous alors de l'obtenir le plus tôt possible car en ce moment la communauté estudiantine n'est toujours pas satisfaite de ce rattachement aux Antilles. Elle a l'impression de toujours passer en dernier. A une époque, nos rectorat, INSPE et Université étaient rattachés aux Antilles. Je pense que c'est parce que l'état a toujours considéré que l'outremer se ressemble et peuvent être rassemblés alors que, même si l'histoire, la culture, le passé, le tragique sont sensiblement communs, les réalités sont bel et bien locales et distinctes. Pour moi, nous ne pouvons laisser perdurer cette situation. C'est pourquoi la CTG s'est positionnée dès 2021 pour un CROUS Guyane, autonome et de plein exercice.

Pourquoi le sujet est-il devenu si urgent à traiter ? Qu’est ce qui a changé ?

La gestion à distance n'est jamais la solution. En ce moment, par exemple, le directeur du CLOUS doit obtenir l'aval de sa direction qui siège donc à 2000 kilomètres. Il est donc certain que si les moyens se trouvaient ici et plus ailleurs, la gouvernance en serait meilleure, le temps d'attente serait considérable réduit et par conséquence plus bénéfique pour nos jeunes étudiants. Un CROUS de plein exercice en Guyane sera en adéquation avec nos réalités locales, notre environnement, notre vie universitaire.

Philippe Bouba avec les associations estudiantines de l'université de Guyane 

Dès ma nomination à l'enseignement supérieur et à la recherche par le Président de la CTG Gabriel Serville, j'ai plaidé pour un CROUS autonome notamment après avoir consulté l'ancien vice-président étudiant de l'université de Guyane et l'ancien vice-président étudiant du CROUS Antilles-Guyane. Par la suite, nous avons écrit en août 2022 à la première ministre pour indiquer le malaise social ressenti par les étudiants du territoire et que pour nous, une des réponses était un CROUS autonome. La CTG a permis par mes rencontres et réunions d'unir l'ensemble des élus de la Guyane. J'ai obtenu le soutien des 4 parlementaires, des 4 présidents des EPCI, du président de l'AMG et de Madame la maire de Cayenne. Et en même temps, les élus territoriaux (majorité et opposition) ont voté en septembre 2023 une délibération qui s'est prononcé pour le CROUS Guyane. De plus, en avril dernier, le Schéma Régional à l'ESRI - voté à l'unanimité à la CTG - demandait un CROUS autonome et de plein exercice. L'unité des politiques est à l'ordre du jour !

Combien cela va-t-il coûter ? Est-ce qu’il est prévu la construction de nouvelles infrastructures ?

Quoiqu'il arrive, voire quoiqu'il en coûte, il faudra construire pour accueillir les futurs étudiants de la Guyane. Même si la résidence universitaire de Kourou a encore des logements à la disposition de nos jeunes, les deux de Cayenne ne peuvent plus recueillir toutes les demandes. Ça signifie donc bien qu'il faudra monter des murs au lieu de les pousser. L'université de Guyane compte pour le bien du territoire se développer à l'Est et à l'Ouest de la Guyane, nous sommes d'accord car cela correspond à notre vision politique. Ainsi, comme il faudra être à la hauteur des enjeux et le financement devra correspondre à nos ambitions communes car nos jeunes étudiants d’aujourd’hui sont l'avenir du territoire de demain.

Où en sont les discussions ? Est-ce qu’il y a un échéancier de prévu avec des dates que l’on peut déjà communiquer ?

Les élus de Guyane ont été limpides. D'ailleurs nos deux sénateurs ont déjà interpellés le gouvernement à ce sujet. Ils souhaitent un CROUS en Guyane et non plus un CLOUS. La population est également sur cette position, la première fédération de parents d'élèves en Guyane la FAPEEG aussi, ainsi que le syndicat UTG de l'université. La balle est dans le camp du président de la République. Nous allons donc continuer à dire à la France hexagonale que notre CROUS Guyane est légitime. D'ailleurs, c'est aussi une volonté des actrices et acteurs de l'enseignement supérieur. En effet, lors des ateliers du SRESRI de la CTG, j'avais à ma gauche, le futur directeur de l'INSPE et à ma droite, le futur président de l'UG et tous les deux étaient d'accord avec moi, il fallait cette autonomie pour le bien des étudiants.

Propos recueillis par Abby Saïd Adinani