A Petit-Bourg ou Pointe-à-Pitre, l'escrime guadeloupéenne est rivée vers les Jeux olympiques de Paris, où les épéistes et fleurettistes du cru comptent imprimer la marque de l'excellence locale sur les podiums, malgré un manque de moyens criant et des difficultés liées à l'insularité.
Cette tradition de médaille en escrime, c'est Laura Flessel, surnommée « La Guêpe », qui l'a lancée dans les années 1990. Depuis ont suivi d'autres talents : Ysaora Thibus, Enzo Lefort, Yannick Borel, Anita Blaze, Coraline Vitalis, ou encore récemment, Luidgi Midelton, sacré champion d'Europe à Bâle, mi-juin. « Pour nombre d'entre nous, le modèle, ça été Laura Flessel », confirme Yannick Borel. Même si Enzo Lefort, qui concocte pour France Télévisions un documentaire sur le lien entre les Antilles et l'escrime, y voit un lien plus lointain.
« C'est un héritage lié à l'esclavage », disserte-t-il lors d'un point presse. « Les esclaves avaient développé un art martial qui s'appelle le mayolè, pratiqué avec des bâtons, pour se réapproprier leur condition d'hommes. Il y a aussi eu des figures comme le Chevalier de Saint-Georges, mulâtre parti de Guadeloupe pour faire son éducation classique à Paris, devenu professeur de piano de Marie-Antoinette et meilleur escrimeur d'Europe. »
Une histoire plus récente explique que, deux siècles plus tard, l'escrime antillaise excelle, uniquement en épée et fleuret. « Dans notre ligue, on se porte sur deux armes parce qu'on n'a pas vraiment les moyens de faire plus », raconte Steeve Pajaniandy, maître d'armes à Petit-Bourg, siège fédéral de l'île. « On repère assez vite un talent, note encore le maître d'arme. Bien sûr, il y a des qualités physiques mais surtout une intelligence de jeu, une capacité stratégique et un éveil de l'enfant qui montrent des prédispositions au sport, ancré dans le territoire depuis la fin des années 1960. »
A l'époque, c'est René Gros-Dubois qui cofonde un premier club d'escrime, aidé par le maire de l'époque de Pointe-à-Pitre, Henri Bangou, lui-même escrimeur dans une première jeunesse. « Il nous avait offert l'hospitalité dans les murs du Palais des Sports » de la ville, avait salué René Gros-Dubois lors du 25e anniversaire de la ligue d'escrime de Guadeloupe, en 2001.
Entre-temps, d'autres illustres maîtres d'armes ont eu leur part dans ce succès comme le découvreur de Laura Flessel, Robert Gara. Escrimeur renommé d'origine hongroise, il a été l'une des chevilles ouvrières de la ligue. Sans lui, « les résultats et la renommée obtenus depuis plusieurs années n'auraient pas été possibles », s'était alors félicité René Gros-Dubois.
Conditions d'entraînement « compliquées »
C'est aussi au pôle France du Creps Antilles-Guyane (Creps-Ag) que les champions s'entraînent. « Malgré tout, les conditions sont parfois compliquées », souligne Steve Pajaniandy, pointant un problème global sur l'archipel : faible disponibilité de salles mises à disposition, peu de salles dédiées et adaptées, concurrence de sports plus visibles, plus sponsorisés, ou d'événements culturels qui se tiennent dans les mêmes locaux communaux.
Pourtant, une salle d'escrime, conçue pour être un « équipement sportif adapté à la formation des athlètes de haut niveau », a été construite au Creps, sous maîtrise d'ouvrage de la Région, pour un investissement de plus de 3 millions d'euros, et inaugurée en grande pompe en 2023. Mais pour l'heure, personne n'a encore pu l'utiliser, confirme-t-on au Creps, faute de finalisation des installations.
« On rentre en sport-études, mais je dis toujours que c'est études-sport », souligne Marie-Claude Guillaume, présidente du comité régional d'escrime, rappelant que ce sport reste un sport d'amateur et que les carrières y sont aussi brève qu'intenses. « Heureusement, nos athlètes sont souvent d'excellents élèves. »
« Beaucoup de sacrifices »
« Quand j'ai connu Ysaora (Thibus, ndlr), elle avait toujours les meilleures notes et elle était pareille dans l'escrime », confirme Barbara Paulin, maître d'armes en Guadeloupe, pour qui un parcours d'athlète ultramarin, « c'est beaucoup de sacrifices depuis l'enfance ». « Pour se qualifier et participer à un championnat de France, c'est quatre compétitions, quatre départs en France, quatre billets d'avion, et tout ce qui suit, le logement, la restauration... », reprend la maître d'armes.
Tout le monde le sait : si on part c'est pour gagner, comme un dû aux familles et à la ligue qui absorbent les coûts énormes de ces déplacements, relevant autant de l'investissement que de la passion. Et que les subventions publiques, distribuées par les autorités régionales et départementales ne parviennent pas à éponger. D'après les maîtres d'armes, ces difficultés endurcissent les caractères et la persévérance des athlètes, qui à chaque retour dans l'archipel offrent aux jeunes licenciés une visite. Marie-Claude Guillaume espère que « les Jeux olympiques créeront une vague d'engouement et de nouveaux jeunes escrimeurs en Guadeloupe. »
Avec AFP