Livre et conférence : Les Outre-mer, entre pluralité et identité

© Florence Faberon

Livre et conférence : Les Outre-mer, entre pluralité et identité

Florence Faberon professeur de droit public à l'Université de Guyane et porteuse du programme Sociétés Cultures et Politiques, nous propose une analyse de l'ouvrage de l'universitaire Jean Christophe Gay, «La France d’outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes» paru aux  éditions Armand Colin. Ce dernier interviendra comme intervenant dans la conférence intitulée «Sociétés et pouvoirs Outre-mer » sur la thématique « La France d'Outre-mer : entre identité et altérité»  le 28 octobre en Guyane.

 

Il est une France que l’on connaît peu et même pour laquelle longtemps nous avons connu une sorte de quasi amnésie historiographique. Ce n’est que récemment, avec des recherches post-coloniales, que les outre-mers sont placés dans le champ de ces études. Il est ici une France pourtant d’une richesse remarquable par le pluralisme de ses populations, ses cultures, sa géographie, sa biodiversité, son histoire, son droit, ses droits… C’est une France forte d’une ambition affirmée et en proie à de multiples défis entre « éloge et contre-éloge ». Il est une France qui s’est bâtie avec le leg colonial et qui s’est construite entre diversité et altérité en aspirant à plus d’égalité et à rompre avec toute forme de domination, toute forme d’arbitraire colonial politique, culturel, linguistique, social... Les colonies de la France d’outre-mer, après « leurs ombres et leurs lumières » ont laissé place au développement des outre-mer français entre « terres éparses » et « sociétés vivantes » pour reprendre les mots du titre du bel ouvrage de Jean-Christophe Gay, professeur de géographie à l’Université Côte d’Azur.

© DR


Il est des ouvrages pour lesquels on sait d’emblée qu’ils vont nous apprendre et nous permettre de mieux saisir les complexités du monde et pour lesquels chaque page confirme cette impression première. C’est de cette trempe qu’est l’ouvrage du professeur Jean-Christophe Gay publié, en 2021 chez Armand Colin. Cet ouvrage, on peut le lire d’une traite sans vouloir s’en départir ou aller y rechercher des informations diverses en retenant plutôt telle ou telle thématique. Quelle que soit notre méthode, il nous enseigne et il nous donne à comprendre. Il nous pousse aussi singulièrement à réfléchir au vocabulaire, aux identités, aux aspirations, aux réalités vécues, aux inégalités en France et aux relations complexes entre la France métropolitaine (que les Guyanais préfèrent qualifier d’hexagonale), et ses outre-mers. C’est un ouvrage à confier et à recommander à tous ceux qui veulent comprendre les diversités des outre-mers pour lesquels Jean-Christophe Gay préfère retenir l’expression de France d’outre-mer. Les questions de vocabulaire sont essentielles pour Jean-Christophe Gay et il y consacre d’ailleurs son premier chapitre. Les mots sont toujours importants en ce qu’ils révèlent notre regard et notre pensée sur les choses et les êtres mais aussi en raison de leur capacité à accompagner des changements de prismes. Le vocabulaire peut être dénoncé en ce qu’il serait daté ou empreint d’une histoire dépassée et révolue. Son renouvellement peut être promu tant pour affirmer un leg que pour marquer une rupture.

 

La force de cet ouvrage est d’appréhender, de manière concise et pluridisciplinaire (droit, histoire, sociologie, économie, géologie, océanologie…), la grande diversité des outre-mers (qui sont pluriels), sans faire l’impasse sur l’histoire de l’Empire colonial, le leg de l’entreprise coloniale et ses conséquences humaines et économiques toujours bien actuelles, les réalités statutaires, les révisions constitutionnelles et la recherche du sur-mesure. Cette entreprise ancienne en est arrivée à vouloir promouvoir au-delà des mers les valeurs de la République française et parvient aujourd’hui au dépassement voire à la fin des frontières classiques comme celles posées par les articles 73 et 74 de la Constitution distinguant identités et spécialités. Le temps est venu de l’appréhension de la situation juridique de chacune des collectivités, du positionnement de l’Union européenne et ses diff érentes structures des pays et territoires d’outre-mer et des régions ultrapériphériques, de la prise en compte des réalités ethniques, des faits urbains, des enjeux de pouvoirs et des défis auxquels on doit résolument et concrètement faire face. La France d’outre-mer est habitée même si elle n’accueille pas partout des populations permanentes. Ses populations plurielles se voient justement
consacrer un chapitre entre terre inhabitées, peuplement précoloniaux, populations allochtones, l’esclavage, l’immigration, les sociétés créoles et les mondes sociopolitiques… 

L’auteur se fait aussi le pédagogue des questions nuancées soulevées par les religions, l’histoire de la christianisation outre-mer et évidemment par les interférences du religieux et du politique. S’il est une question qui ne pouvait être omise c’est celle de l’autochtonie et des autochtones de la République voire des « oubliés » de la République, des autochtonies explicites et implicites que développe l’auteur et auxquelles l’auteure des lignes présentes va consacrer un colloque, à L’Université de Guyane, en octobre 2022 sur le thème : Le régime des autochtones et populations locales des outre-mers français. Droit et politiques comparés.

Jean-Christophe Gay s’ancre dans les situations concrètes et saisit la diversité des populations et des enjeux. L’auteur étudie tant les régimes juridiques, les cultures, les populations que les situations économiques et sociales d’une France, principalement, sans que ce soit uniquement, sous le signe de la « tropicalité » avec les conséquences afférentes, forte de 2,8 millions d’habitants et de 120 000 km 2 hors terre Adélie. Avec ses outre-mers, la France séculaire se fait grande et pas seulement géographiquement alors qu’elle est la puissance présente sur le plus grand nombre de fuseaux horaires. C’est aussi une France réticulaire de tous les horizons.
On peut à l’évidence généraliser ce que le président de la République Emmanuel Macron a dit de la Nouvelle-Calédonie : La France serait moins belle sans ses outre- mers. Il est même exact qu’elle ne serait plus elle-même. Sa richesse exceptionnelle ne concerne pas seulement sa biodiversité, son domaine maritime, sa forêt primaire, son capital coralien... Ce sont toutes ses populations et ses cultures vivantes. Ainsi est-elle particulièrement dynamique, jeune, riche et prometteuse. Elle révèle des espaces d’innovations en tout domaine notamment juridique et social mais aussi technologique comme à Kourou.

Pleine d’atouts, elle ne sait pas toujours les valoriser comme en témoigne le tourisme toujours très contrasté autant que la question cruciale des transports et de la continuité territoriale. Elle est aussi confrontée à une multitude de menaces, de tensions : insularité, « double insularité » handicaps de l’éloignement et de l’isolement ; des relations à la Métropole complexes ; des synergies limitées entre les collectivités ultramarines elles-mêmes ; des dynamiques démographiques fortement contrastées ; des espaces d’exclusion, de pauvreté, de précarité, de vie chère, de discriminations, d’insécurité accusées, de mouvements sociaux criant la souffrance des outre-mers avec parfois des trafics, de mouvements migratoires illégaux, des frontières poreuses, voire des contestations de souveraineté, des coopérations régionales souvent trop limitées, des habitats spontanés et insalubres, des réseaux routiers saturés, des situations de santé aggravées, des populations fragilisées et des femmes en proies à des vulnérabilités et des menaces exacerbées dont celles liées aux violences qu’elles subissent, des espaces aux écosystèmes fortement vulnérables, les mises en danger de la biodiversité (forêt amazonienne, corail… ; rôle dans ces menaces de l’orpaillage et de la mine ou encore d’espèces exotiques allochtones), les menaces climatiques, dont cycloniques et géophysiques, les menaces épidémiologiques et sanitaires… Un grand pays a forcément de très nombreux problèmes. Pour y faire face, pour réfléchir et comprendre, il faut lire le livre de Jean-Christophe Gay. Il expose brillamment les richesses et les duretés de la France d’outre-mer ainsi que les jeux de pouvoirs et de miroirs entre centre et périphéries, entre territoires de même zone régionale et entre les populations qui cohabitent sans savoir toujours former un tissu harmonieux. Il réussit à nous donner un éclairage complet des société et des cultures, des territoires et des développements des outre-mers de la France. Jean-Christophe Gay nous explique la grande France.

Jean-Christophe Gay interviendra, en présence à l’Université de Guyane et à distance via zoom, jeudi 28 octobre 2021, dans le cadre du cycle Sociétés, cultures et politiques sur « la France d’outre-mer : entre identité et altérité ». Ce même jour Didier Blanc interviendra sur « L’Union européenne et la Guyane ».


 

 Sociétés, cultures et politiques

Le programme Sociétés, cultures et politiques est un programme porté par l’Université de Guyane et son laboratoire Migrations, interculturalités et éducation en Amazonie. Il repose sur l’affirmation d’une université, lieu de savoirs et de culture. Il lui revient une responsabilité de diffusion de la recherche et d’animation scientifique, artistique et culturelle tant de sa propre communauté que des usagers de ses territoires d’implantation. Aussi, lui incombe-t-il de se saisir des sujets de société, de mailler les territoires et de coconstruire des projets avec entrées multimodales propres à développer un esprit d’engagement. Il prend la forme d’un cycle de conférences annuel, pluridisciplinaire et appliquées, et s’accompagne de temps artistiques, culturels et sportifs : expositions à l’instar d’une série d’expositions sur les différents outre-mers, théâtre, concours de performance oratoire, concours de dessins, peintures, photos, collages... 

Le projet s’organise en lien avec les programmes « Handicap et citoyenneté » et « Transmission, citoyenneté et engagement » que portent les universités Clermont Auvergne et de Saint-Boniface
(Manitoba, Canada) pour le premier et l’Université Clermont Auvergne pour le second et dont l’Université de Guyane est partenaire. Une revue, Sociétés, cultures et politiques. Les cahiers des débats de l’Université, publiée aux éditions Réseau de recherches de la cohésion sociale, permet chaque année la publication d’une sélection des conférences de l’année. 
Rejoindre l'une des conférences ou pour toute information : florence.faberon@univ-guyane.fr
Consulter au fur et à mesure les affiches et les programmes : https://drive.uca.fr/d/c7f95584fa6e446c9648/