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Paulette Nardal, la théoricienne oubliée de la négritude, figure dans la liste des 315 noms destinés à rendre visibles les figures issues de la diversité et de l’immigration. Un début de reconnaissance officielle mérité en ces temps de résurgence de la mémoire active. Hommage à une femme inspirante.

Comment répondre positivement aux profanations de lieux de mémoire et autre déboulonnage de statues ? Comment apaiser les tensions et crispations relatives aux problématiques liées à l’histoire et aux mémoires de l’esclavage et de la colonisation ? Comment surtout rendre visibles les figures méritantes issues de la diversité et de l’immigration ?

A défaut de remettre en cause un certain nombre de représentations douteuses et pour tenter d’étouffer dans l’oeuf les conséquences de ce « choc de représentation de l’histoire avec le présent », les pouvoirs publics, selon le souhait du président de la République lui-même, ont choisi d’honorer les figures issues de la diversité et de l’histoire coloniale française en encourageant les élus locaux à rebaptiser des rues ou ériger des statues à leurs noms. Dans cette liste de 315 noms, on retrouve de nombreuses personnalités ultramarines comme les Guadeloupéens Camille Mortenol et Marius Trésor ou encore le Guyanais Raoul Diane.

Pour ce faire, il a mis en place un comité scientifique présidé par l’historien Pascal Blanchard, spécialiste de la colonisation et des immigrations, dont la mission était de proposer des noms de héros issus de la diversité. Une première liste de 315 noms a été dressée et remise ces derniers jours au gouvernement afin de « redessiner le visage de la France ».

Première femme noire inscrite à la Sorbonne

Parmi ces noms figure quelques ultramarins, dont la Martiniquaise Paulette Nardal, la théoricienne oubliée de la négritude. Née le 12 octobre 1896 au François et morte le 16 février 1985, cette journaliste et femme de lettres a été la première femme noire inscrite à la Sorbonne et féministe qui a contribué à faire émerger une « conscience noire ». D’un père ingénieur et d’une mère institutrice et mélomane, elle est issue d’une famille de la haute bourgeoisie mulâtre martiniquaise. Après avoir été institutrice, elle décide rejoindre Paris pour y poursuivre des études d’anglais. Elle a 20 ans et nous sommes en 1920. Elle entre à la Sorbonne où elle consacre son mémoire à Harriet Beecher-Stowe et la Case de l’oncle Tom. Sa soeur Jane la suivra peu de temps après.

Elle écoute du Negro-Spirituals, apprécie Joséphine Baker. Avec sa soeur Jane, elle tient salon dans leur maison de Clamart, en région parisienne et y côtoie l’intelligentsia noire et de nombreux étudiants, militants en herbe des droits civiques de passage à Paris. De Césaire à Marcus Garvey, le célèbre militant panafricaniste, au politicien guyanais Félix Eboué, en passant par Senghor, Gontrand-Damas ou encore l’écrivain jamaïcain Claude Mc Kay, le Tout-Paris noir fréquente le salon des soeurs Nardal. Des influences qui contribueront à forger leur « conscience noire ».

La revue du monde noir

En 1931, fortes du bouillonnement des idées anti-racistes du Paris de l’entre-deux-guerres qui voient notamment le Martiniquais René Maran recevoir le Prix Goncourt en 1921 pour son roman « Batouala » qui dénonce les excès du colonialisme, les soeurs Nardal fondent la revue du monde noir, la première revue dédiée à l’art, la littérature et la pensée noire. Une revue où les deux soeurs tentent de déconstruire la pensée dominante blanche. Bien que visiteurs assidus de leur salon, ni Senghor, ni Gontrand-Damas, encore moins Césaire, les figures tutélaires de la négritude, ne consentent à écire dans ce journal. Ce qui n’empêche pas Paulette Nardal de devenir la figure de proue du « féminisme noir » et de la « conscience noire ». Cependant, son rôle dans le concept de la négritude sera complètement occultée et passée sous silence jusqu’à récemment où l’on a découvert qu’elle y avait, comme sa soeur, grandement contribué et ouvert la voie à la construction de ce mouvement littéraire et politique.

Une reconnaissance tardive

Outre la misogynie particulièrement importante à cette époque, on peut expliquer cette mise à l’écart par les positions férocement anti-communistes et anti-autonomistes de Paulette Nardal. Des positions très minoritaires dans le milieu intellectuel et estudiantin où prévalaient plutôt les idées progressistes et les théories de la libération des peuples opprimés. Peut-être également que son oeuvre cantonnée au registre du journalisme ait été considérée comme mineure, alors qu’au contraire Césaire, Senghor et Gontrand -Damas avaient écrit des ouvrages célèbres destinés à les faire passer à la postérité.

Toujours est-il que la reconnaissance de son rôle dans l’architecture du mouvement de la négritude a été tardive. Elle a débuté dans les années 90 dans notamment le milieu intellectuel noir américain qui y a trouvé une source d’inspiration. Senghor plus tard avait aussi cité son influence et l’intégrale de la revue du monde noir avait été rééditée en 1992.

Très récemment, en 2019, deux rues ont été baptisées aux noms de Paulette et Jane Nardal. Aujourd’hui que la République veuille rendre hommage à cette vie inspirante est un juste retour des choses.

EB