La Cour des comptes vient de publier ses observations définitives, et globalement négatives, sur les subventions à l’agriculture et à la pêche en Outre-mer. Elle déplore notamment des dispositifs de soutien complexes et coûteux, des subventions peu efficientes et peu adaptées à la diversité des territoires, une situation figée ainsi que des objectifs prioritaires non atteints.
« Historiquement tournée vers les cultures de rente destinées à l’export (canne à sucre et banane dessert) aux dépens des cultures vivrières, l’agriculture ultramarine est en déclin dans la plupart des territoires, compte tenu notamment d’une concurrence mondiale accrue et d’un renouvellement insuffisant des générations d’exploitants. Le secteur agricole emploie moins de 2% de la population active dans les trois principaux DROM (La Réunion et les Antilles), davantage en Guyane (6,5%) et à Mayotte », relève la Cour. Cette dernière constate également qu’un secteur informel et vivrier, en Guyane et à Mayotte principalement, sans subventions, permet l’amélioration de l’autonomie alimentaire, sans parvenir cependant à se structurer en filières.
En 2021, les soutiens publics versés à l’agriculture ultramarine se sont élevés à 803 millions d’euros, répartis entre 203 millions d’aides fiscales et sociales et de de 600 millions de subventions. En moyenne, entre 2015 et 2021, les subventions versées ont représenté 538,6 millions annuels, financés en majeure partie par l’Union européenne, à travers trois programmes de la Politique agricole commune (PAC) : le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), et l’Organisation commune des marchés (OCM, programme européen pour les productions végétales, mais seulement à hauteur de 1,1 million d’euro par an en moyenne). « À ces programmes européens, s’ajoutent des dispositifs nationaux de subventions spécifiques aux Outremer à hauteur de 126,5 millions d’euros par an entre 2015 et 2021, dont 109,9 millions par an en faveur de la filière canne-sucre-rhum », ajoute la Cour des comptes.
Mais les aides à l’agriculture sont inégalement réparties entre les territoires, car elles reposent sur une approche par filière, précise l’institution. Ainsi, « La Réunion reçoit 45% des subventions à l’agriculture aux Outre-mer entre 2015 et 2021 (et 64% des aides nationales), notamment du fait du poids important des aides à la filière canne-sucre-rhum. La Martinique et la Guadeloupe perçoivent chacune environ un quart des subventions compte tenu de l’importance des productions de bananes et de canne à sucre. Territoires peu spécialisés, la Guyane et Mayotte ne représentent respectivement que 3% et 1,5% des aides. »
En ce qui concerne la pêche et l’aquaculture, les soutiens publics sont moindres. Ils relèvent principalement du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), dont 22% de la programmation 2014-2020 sont destinés aux Outre-mer, soit potentiellement 128,8 millions d’euros sur sept ans. « Au 10 octobre 2022, 103 millions étaient engagés (80%) et 73,6 millions (57%) payés. La majeure partie des aides du FEAMP à l’Outremer passe par une mesure spécifique aux RUP, les plans de compensation de surcoûts (86,5 millions), financés à 100% par l’Union européenne », indique la Cour.
La Cour des comptes souligne un faible impact des soutiens sur la production. « Procédant d’une logique compensatoire, les soutiens publics aux filières canne et banane, sont désormais supérieurs à la valeur de ces productions et de plus en plus déconnectés de celles-ci », écrit-elle. Par exemple l’aide à la tonne de sucre représente entre deux et quatre fois la valeur réelle de la production sucrière ultramarine en fonction des cours mondiaux du sucre. « Le constat est donc paradoxal », poursuit la Cour : « les territoires et filières moins organisés qui bénéficient le moins d’aides, sont les plus dynamiques en termes de production agricole. Ainsi, la Guyane, qui ne bénéficie que de 3% du POSEI et quasiment d’aucune aide à la diversification végétale jusqu’en 2021, connaît le plus fort développement de sa production agricole, nécessaire compte tenu de la forte croissance de sa population. Mayotte est dans une situation similaire. »
Par ailleurs, l’institution regrette la permanence d’une situation figée en l’absence de stratégie territorialisée. Les soutiens publics versés à l’agriculture ultramarine seraient peu efficaces et manqueraient globalement de cohérence avec les principaux objectifs poursuivis, l’autonomie alimentaire et la transition agro-écologique. « Les territoires ultramarins présentent tous un déficit massif et structurel de leur balance agricole et agroalimentaire. Les exportations ne couvrent au mieux que 37% des importations en Martinique. Des causes structurelles expliquent cette insuffisante autonomie alimentaire, et en premier lieu, le recul des terres agricoles (sauf en Guyane). La forte densité de la population sur des territoires exigus, montagneux et insulaires, l’étalement peu maîtrisé de l’urbanisation ainsi que l’importance de l’indivision foncière stérilisant des terres cultivables réduisent ou limitent la surface agricole utile. »
La Cour note cependant qu’une partie des friches, en progression, pourraient être remises en culture pour dynamiser la production locale. Il faudrait également que l’agriculture retrouve de la main d’œuvre, d’autant que les taux de chômage sont élevés dans les Outremer. Ceux-ci « manquent également d’activités de transformation agroalimentaire du fait de la faible organisation des producteurs. Enfin, le dispositif de soutien public aide surtout les filières exportatrices et peu les productions destinées au marché local ». Les objectifs de transition écologique et d’alimentation saine demeurent quant à eux marginaux dans le schéma de soutien et les aides à l’agriculture biologique, bien que majorées dans les Outremer, restent très peu utilisées.
En conclusion, la Cour des comptes effectue deux recommandations : « Introduire une dégressivité des aides à l’agriculture ultramarine par exploitation et les conditionner à un effort de diversification et au respect d’une démarche agro-écologique », et « Favoriser l’organisation des producteurs engagés dans une démarche de diversification en vue d'accroître l’autonomie alimentaire ».
PM