Après « Libertés sans expression » paru en 2022 où elle tirait la sonnette d’alarme sur les menaces qui pèsent sur la liberté d’expression, la journaliste et autrice guadeloupéenne Christine Kelly s’est attelée à brosser le bilan des femmes politiques à travers une trentaine de portraits dans « Femmes en politique : Premier bilan » paru aux éditions Le Cherche Midi. Une façon de savoir si, malgré les nombreux textes sur la parité, les choses ont évolué. A cette occasion, nous en avons profité pour l’interroger sur ce bilan, sur Christiane Taubira, l’une des personnalités qui figurent dans sa galerie de portraits, mais aussi sur son métier de journaliste, la représentation des femmes issues des outre-mer dans vie politique française, la liberté d’expression et sur son engagement associatif. –Entretien-
Vous venez de publier « Femmes en politique : Premier bilan » où vous brossez le portrait d’une trentaine de femmes politiques. Dans quel but ? Que voulez-vous prouver ? Quel est ce bilan ?
De nombreux textes ont été rédigés sur la parité, en particulier la loi de juin 2000. De nombreux articles de presse ont également traité de l'arrivée des femmes en politique et des attentes placées en elles. Des documentaires ont également été réalisés sur la conquête du pouvoir par les femmes et les obstacles qu'elles ont dû surmonter. Cependant, aucun bilan de l'exercice du pouvoir par les femmes n'a été dressé, alors qu'elles ont finalement obtenu leur place à tous les niveaux de la structure politique du pays.
Quel est ce bilan ? Il s'agit de prendre le temps de réaliser que les femmes politiques agissent de la même manière que les hommes politiques. Malgré les attentes annoncées dans toute la presse, d’empathie, d'écoute, d'éthique, de transparence, d'écologie et de dialogue placées en elles, elles exercent le pouvoir de la même manière que les hommes. Personne n'a jamais pris le temps de le remarquer, de l’écrire et de le vérifier. Je pense que cela est crucial pour faire avancer la parité dans l'histoire française.
Pour réaliser cet ouvrage, avez-vous rencontré ou interrogé les personnalités qui font partie de votre galerie de portraits ? Sur quels critères les avez-vous choisies ?
Ce livre n'est pas une simple série d'interviews, mais une collection de 30 portraits que j'ai sélectionnés pour offrir une diversité de profils de femmes politiques de tous âges et de toutes origines politiques, de la droite nationale à l'extrême gauche, en passant par le centre. Il présente des femmes ayant exercé le pouvoir, celles qui ne le font plus, ainsi que celles qui viennent tout juste d'y accéder. Dans ma carrière professionnelle et associative, j’ai rencontré Anne Hidalgo, Christiane Taubira, Marine Le Pen, Najat Vallaud-Belkacem, Marlène Schiappa, Aurore Bergé.
La femme politique guyanaise Christiane Taubira figure parmi les personnalités politiques choisies. Pourquoi ? Est-ce parce qu’elle a compté dans la vie politique française ou parce que, comme vous, elle est issue des outre-mer ?
J'ai sélectionné Christiane Taubira pour sa place importante dans la vie politique française. Elle a été Garde des Sceaux sous le mandat de François Hollande et est à l'origine de la loi reconnaissant l'esclavage comme crime contre l'humanité. Candidate à la dernière élection présidentielle, j'ai fait ce choix sans prendre en compte ses origines, qu'elles soient bretonnes, basques ou ultramarines… L'essentiel est de juger les femmes sur la base de leur bilan et non de leur apparence. C'est en tout cas l'objectif de mon livre.
Selon vous, qu’a apporté Christiane Taubira à la politique française ? Comment jugez-vous son passage au ministère de la Justice ?
Je raconte que c’est une femme politique brillante, qui sait manier le verbe de façon incroyable et je suis très admirative de cette force chez elle. Je décris aussi qu’elle aime le pouvoir, comme d’ailleurs tous les hommes politiques et qu’elle a préparé le terrain du wokisme.
Dans le chapitre sur elle donc, je mets en lumière son parcours politique et ses prises de position, notamment en ce qui concerne les questions de justice et de sécurité. Christiane Taubira est présentée comme une figure forte et indépendante, n'hésitant pas à défendre ses convictions avec fermeté. Ses désaccords avec d'autres membres du gouvernement, tels que Manuel Valls, soulignent les tensions au sein de la gauche et préfigurent les débats actuels autour du gauchisme culturel et de la radicalisation politique. Cette analyse met en avant l'importance des choix politiques et des conflits d'idées dans la construction des orientations politiques d'un pays.
Page 122 « Il est clair pour moi que le gauchisme culturel de Christiane Taubira annonce non seulement le wokisme mais aussi l'actuelle radicalisation de LFI sur des positions indigénistes ».
Regrettez-vous qu’il y ait si peu de femmes issues des outre-mer dans la vie politique française ?
Je ne juge pas les femmes en fonction de leurs origines ou de leur couleur de peau. Cependant, votre question me rappelle une réflexion qui m'a été souvent soumise : les observateurs de la vie politique soulignent la rareté des ministres issus de l’outre-mer, qui semblent être oubliés et marginalisés dans la représentation gouvernementale. En ce qui concerne les femmes, de nombreux articles ont déjà été rédigés sur leur place en politique. Actuellement, nous comptons 37 % de femmes à l'Assemblée nationale, 36 % au Sénat et seulement 20 % de femmes maires. Malgré les nombreux textes sur la parité, il est légitime de se demander si les choses ont réellement évolué. Lorsque l'on aborde à la fois le genre féminin en politique et des figures ultramarines, chacun est libre de tirer ses propres conclusions. Les ultramarins sont trop souvent délaissés alors qu’ils aiment la France, ils aiment leur pays en général.
En tant que femme issue des outre-mer, est-ce évident de se réaliser dans son métier de journaliste à la télévision française ou avez-vous le sentiment que c’est plus difficile ?
Je suis très heureuse et fière d’être à la tête d’une émission qui est première chaîne info de France depuis 5 ans, contre toute attente, au créneau le plus difficile de la télévision française, et avec un nombre de followers record sur X. J’ai appris à bien faire et laisser dire.
Dans ma carrière professionnelle, j'ai créé et adopté ma devise : "Je ne fais pas de ma couleur de peau un fardeau ni un drapeau." Cela m'encourage à adopter une perspective positive malgré les difficultés, les obstacles, les humiliations, les mises à l'écart et les injustices que je peux observer. Je reste focalisée sur cette devise pour avancer sans tomber dans le piège de la victimisation, de l'inaction, de la stagnation ou de l'anesthésie. Plutôt que de s'appesantir sur les obstacles et les difficultés, il est essentiel de continuer à avancer avec détermination.
Certains voient en votre couleur de peau un obstacle, d'autres ne perçoivent que votre potentiel, votre compétence. Je suis profondément reconnaissante envers le directeur de Cnews Serge Nedjar, le directeur général de Canal Plus, Gérald-Brice Viret, ainsi que Maxime Saada le grand patron de Canal Plus, pour avoir su reconnaître en moi mes compétences et non mon apparence.
Certains estiment que vous êtes une sorte de caution ou l’arbre qui cache la forêt de la liberté d’expression de la chaîne Cnews. Que leur répondez-vous ?
Lorsque les gens ne peuvent rien reprocher à votre compétence, ils cherchent d'autres excuses pour souligner des failles. Est-ce que Laurence Ferrari est la blonde de service ? Sonia Mabrouk, la musulmane de service ? Pascal Praud, le catholique de service ? Ou peut-être Pascal Praud, l'homme de plus de 50 ans de service ? On pourrait continuer ainsi indéfiniment. Ce qui est remarquable, c'est que Cnews offre la parole à tous, ouvre ses portes à une diversité de voix. Dans l'émission de Jean-Marc Morandini, on retrouve tous les partis politiques, toutes les couleurs de peau, toutes les opinions. Ce n'est pas le cas de nombreux autres médias. En tant que journaliste, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel et animatrice de l'émission "Face à l'info", diffusée à 19h, malgré les défis, je m'efforce de mener des enquêtes qui pèsent sur les épaules sans jamais les laisser m’abattre.
Avec mon expérience à la tête de cette émission, « Face à l’info » que personne ne voyait continuer après même le premier numéro, une émission au créneau horaire le plus difficile de la télévision française à 19h, je pense que le téléspectateur qui me connaît, sait que je peux porter toutes les étiquettes que l’on veut me faire porter, mais elles n’atteignent et n’adhèrent jamais à mes épaules.
Chacun est libre de penser ce qu’il veut, je sais qui je suis.
A propos de liberté d’expression, dans votre dernier ouvrage « Libertés sans expression » paru en 2022 chez le même éditeur, à partir de votre vécu fait de critiques, pressions et menaces de mort, vous tiriez la sonnette d’alarme sur les menaces qui pèsent sur la liberté d’expression et par extension sur notre démocratie. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les choses ont elles évolué ?
Dans mon livre, j'aborde le sujet de la liberté d'expression en France et souligne à quel point elle est menacée. Combien ont voulu me faire quitter mon métier uniquement parce que j’étais Noire ? Personne ne demandait aux journalistes qui ont interrogé Eric Zemmour de quitter ses fonctions : ni Léa Salamé qui l’a interrogé pendant près de 9 ans sur I-télé, ni Yves Calvi pendant sans doute 10 ans sur RTL, ni ses collègues au Figaro et ni Anaïs Bouton qui l’interrogeait sur Paris Première lorsque j’avais mon émission avec Zemmour sur Cnews. Cette injonction, cette assignation à résidence uniquement parce que je suis noire, je ne l’ai pas acceptée. Au nom de la liberté d’expression, l’émission a continué, même sans lui en multipliant les records d’audience après son départ.
Nous voyons clairement des tentatives pour museler des chaînes comme Cnews ou C8 parmi les centaines de chaînes disponibles. Alors que chacun a le choix de zapper ou de ne pas regarder, des appels à manifester sont lancés devant TF1 et LCI simplement parce qu'ils ont choisi d'interroger le chef du gouvernement israélien. Des conférences universitaires sont annulées, des personnalités ou des étudiants se voient refuser l'accès à certaines universités. Il est évident que la liberté d'expression est de plus en plus attaquée. Les organismes comme l'Arcom, le CSA ont pour mission de garantir cette liberté de parole et d'écoute, même lorsque les propos peuvent choquer. Si la liberté d'expression est entravée, c'est la démocratie qui est menacée, et notre démocratie est déjà fragilisée.
Outre votre fonction de journaliste et votre activité d’autrice, vous êtes également très engagée sur le front associatif avec notamment l’association K d’urgence dédiée à l’aide aux familles monoparentales. Parlez-nous de cette association. Qu’est –ce qui vous motive dans cet engagement ?
D’abord, je remercie l’Etat d’avoir reconnu mon service aux autres, mon service à la patrie, en me faisant chevalier de l’ordre national du mérite, puis officier de l’ordre national du mérite pour cet engagement. Cela fait bientôt 15 ans que je mène ce combat pour les Familles monoparentales, qui sont pour moi, le symbole, même de la déchéance de la société et de la structure familiale.
J’ai toujours dit, et je le répète depuis 15 ans, que les familles monoparentales restent une bombe sociale à retardement tant qu’on ne prendra pas en compte le fait que la structure familiale a son importance et que la déstructure familiale a son importance, notre société sera en danger. Il est reconnu par tous les experts que la cellule familiale protège. Cela ne veut pas dire qu’il faut forcément rester en couple, même lorsque tout va extrêmement mal, mais nous avons perdu la notion de la famille, la notion de l’adaptation à l’autre, la notion de l’engagement. Le gouvernement remarque aujourd’hui que lors des émeutes il y a un an, 60 % des émeutiers étaient issus des familles monoparentales. Cela ne veut pas dire que dès qu’on est issu d’une famille monoparentale, on devient émeutier, mais il y a des questions à se poser. Combien de mères Solo ou de père Solo se battent pour que leurs enfants deviennent respectables et respectés ? Médecins, avocats, grands musiciens, grands comédiens, acteurs reconnus avec un parent solo qui aide son enfant à aller plus loin, aller de l’avant, sans les stigmatiser, tel est mon message.
Gabriel Attal, Premier ministre est enfant de maman solo. Sarah El Hairy, ministre de la famille également… il y en a tant d’autres. Tendons la main à ces familles, à ces enfants, et donc à la société.
Propos recueillis par Erick Boulard
« Femmes en politique : Premier bilan »
Christine Kelly
Editions Le Cherche Midi
277 pages