INTERVIEW. La Gendarmerie, « seul service public de l'État dans la profondeur des territoires » confie le Général Descoux, Commandant de la Gendarmerie Outre-mer

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INTERVIEW. La Gendarmerie, « seul service public de l'État dans la profondeur des territoires » confie le Général Descoux, Commandant de la Gendarmerie Outre-mer

Nommé Commandant de la Gendarmerie Outre-mer à la mi-2019, le Général Descoux a accordé une interview exclusive à la rédaction d’Outremers360. Il revient sur le rôle de la Gendarmerie dans les territoires ultramarins, le recrutement et la formation des gendarmes ou encore, explique les spécificités du métier dans les Outre-mer. Il tire également un bilan de ces quatre années essentiellement marquées par la crise sanitaire, alors qu’il quittera ses fonctions dans quelques semaines.

Général Descoux, vous avez été nommé en 2019 au poste de Commandant de la Gendarmerie des Outre-mer. Quelles sont vos missions et quel est le rôle de ce service ?

Le Commandement de la Gendarmerie d'Outre-mer a sous sa responsabilité le dispositif de la gendarmerie déployé sur les neuf départements, régions et collectivités d'Outre-mer. C'est un peu plus de 4 000 personnels affectés aujourd'hui dans les Outre-mer. C'est aussi près de 1 500 gendarmes mobiles qui sont en permanence déployés en renfort des unités territoriales. Et c'est encore 1 500 réservistes de la gendarmerie qui viennent quotidiennement renforcer les services de la gendarmerie dans nos territoires, dans le Pacifique, dans l'Atlantique, dans l'océan Indien, dans le canal du Mozambique, partout.

Nos missions sont d’assurer à la fois le commandement de l'ensemble du dispositif, de fournir à ce dispositif les moyens de travailler de la façon la plus efficace possible, de valoriser le travail qui est fait dans les Outre-mer auprès d'un certain nombre de structures, qu'elles soient gouvernementales ou au sein de la direction générale de la gendarmerie, mais aussi la direction générale des Outre-mer. En clair, expliquer quels sont aujourd'hui les enjeux de sécurité et les sujets que l'on traite Outre-mer. 

Valoriser l'action des gendarmes, c'est aussi gérer l'ensemble des personnels qui attendent de nous qu'on déroule des carrières de la façon la plus la plus objective possible, qu'on assure un roulement pour que les gens qui sont volontaires pour servir Outre-mer, et je pense notamment à nos gendarmes ultramarins qui veulent revenir chez eux, puissent le faire dans des conditions dans les meilleures conditions possibles. Et puis, c'est aussi gérer le budget qui permet de renouveler le véhicule, d'assurer le soutien immobilier de nos personnels, d'avoir les moyens de travailler comme nos gendarmes en métropole. Les citoyens Ultramarins ont le droit à la même sécurité que les citoyens de la province française ou de la région parisienne.

Le Commandement de la Gendarmerie Outre-mer est un peu un service d’État unique en son genre. Mis à part la Direction générale Outre-mer, il n’y a pas d’autre organisme d’État qui gère en particulier les Outre-mer, que ce soit en termes de santé, de finances, de fonction publique, de culture, … 

Je sais qu'il existe d'autres directions, personnes qui sont plus particulièrement tournées vers les Outre-mer. Mais la structure de Commandement dédiée à l'Outre-mer, je crois, est unique et cette singularité, elle trouve tout son intérêt dans le fait qu’il n'y a pas un Outre-Mer mais des Outre-mer. Et il faut pour bien comprendre les enjeux, pour apporter une réponse de sécurité à la hauteur des attentes, une structure dédiée. L'Outre-mer, c'est du temps complet. Voilà pourquoi nous, on a un état-major qui ne fait que de la gestion dédiée à l'Outre-mer.

Vous vous doutez bien, par exemple, qu'on n’envoie pas le même gendarme à Camopi en Guyane, qu’à en Polynésie. D'abord, il faut que ça corresponde à ses vœux. Et puis il faut que ça corresponde à des profils particuliers. Il faut qu'on ait des gens qui, au cours de leur carrière, aient envie de se rendre dans des environnements qui sont singuliers et tous très différents. Et l'enjeu pour nous, c'est de muter des gendarmes, souvent avec leur famille, dans les meilleures conditions possibles. Et que le lendemain de son arrivée, il puisse produire un service public de sécurité à la hauteur des attentes de la population.

L’interlocuteur privilégié de la Gendarmerie, son administration de référence, c’est à la fois le Ministère des Armées, mais aussi le Ministère de l’Intérieur. J’imagine que, votre particularité ici, c’est que le Ministère des Outre-mer est aussi un interlocuteur essentiel ?

Bien sûr. Et c'est même avant tout le Ministère des Outre-mer. Mais c'est aussi le ministère de l'Intérieur, le Ministère des Armées, la Direction générale de la Gendarmerie, puisque moi, je dépends directement du directeur général de la Gendarmerie nationale.

Vous avez évoqué le recrutement. Comment se passe le recrutement des Gendarmes en Outre-mer ?

D'abord en étant très vertueux. Pour qu'un jeune polynésien, calédonien ou antillais, ai envie de devenir gendarme, il faut que la Gendarmerie soit un modèle pour lui. Il faut qu'on lui donne envie de devenir gendarme par notre exemplarité, par notre organisation, par notre rigueur, par l'épanouissement des jeunes qu'il côtoie au quotidien. En fait, pour devenir gendarme, il faut qu'il y ait une référence à la brigade de gendarmerie. Il faut qu'il voie des gendarmes qui font un boulot utile, qui sont près de la population et qui sont épanouis.

Et nos jeunes ultramarins aujourd'hui ont envie parce qu'il y a un cadre, parce qu'il y a de la rigueur, parce que c'est un métier qui a du sens. Aujourd'hui, en Polynésie par exemple, on a des taux de recrutement extrêmement élevés. On le retrouve aux Antilles, en Nouvelle-Calédonie. Partout, on a des jeunes qui rentrent souvent par la réserve opérationnelle et qui nous connaissent simplement parce qu'ils nous voient dans nos missions, mais aussi parce que d'autres jeunes y sont.

Une fois qu'ils sont rentrés chez nous, ils découvrent un monde qui leur convient et donc ils font la démarche de passer le concours de la Gendarmerie. C'est un concours national. Les jeunes ultramarins passent le même concours que tous les personnels qui portent aujourd'hui l'uniforme de la gendarmerie. On les forme dans les écoles de sous-officiers ou d'officiers et ils sont affectés en fonction de leur classement.

Ils sont d’abord affectés en métropole. La singularité de notre corps, c'est que nous sommes capables de déployer un jeune gendarme ultramarin chez lui quatre à cinq ans après son intégration à la Gendarmerie, s'il en fait la demande et si, évidemment, son profil correspond à l'emploi qui se libèrent au moment où il est, il est volontaire. Ça veut dire qu’aujourd'hui, on est l'une des seules administrations de l'État -même si le terme d’administration s'agissant de la gendarmerie n'est pas très correct- à ramener dans les Outre-mer des jeunes ultramarins entre quatre et cinq ans après leur intégration.

Pourquoi ce besoin de quatre à cinq ans de service d’abord dans l’Hexagone ?

Parce qu'on a une politique de mobilité. Les gendarmes affectés en Outre-mer vont faire, selon qu'ils sont Métropolitains ou Ultramarins, des séjours entre quatre et neuf ans, voire onze ans. Ces militaires de la Gendarmerie connaissent les règles et donc on mute à peu près tous les ans. Chaque année, ce sont près de 800 personnels qui viennent Outre-mer et donc près de 800 personnels qui reviennent en métropole. Cette gestion de flux nous permet de faire revenir partout dans les Outre-mer, des jeunes ultramarins qu'on a recrutés. Leur présence va leur permettre une vraie proximité avec la population parce qu'ils arrivent avec leur famille. Un jeune réunionnais qu'on affecte à La Réunion alors qu'il a une trentaine d'années, il arrive avec des enfants scolarisés, il arrive avec une vie sociale, avec un environnement familial et il a une vraie souplesse de gestion.

Vous avez beaucoup parlé des singularités des Outre-mer. Justement, est ce que dans les missions d'un gendarme en Outre-mer, il y a des spécificités, des particularités qui sont liées tout simplement au terrain ? J'imagine qu'on n'est pas gendarme de la même façon dans l’Hexagone qu’en Outre-mer ?

Il y a le tronc commun. Notre métier, c'est la sécurité au profit des Français et ensuite il y a l'adaptation à un environnement. Et si vous voulez, c'est évident qu'on n'a pas la même approche par rapport à l'environnement dans lequel on se trouve. Tout est là, là aussi. Toute la singularité du gendarme, tout son savoir-faire. Le gendarme, c'est un peu le régulateur sur un territoire, il doit mesurer ce qui perturbe l'équilibre d'une vie sociale.

Quand on est dans un environnement, quand on est dans la forêt amazonienne, quand on est sur une île, dans le Pacifique, quand on est en périphérie d'une grande ville ultramarine, on n'a pas les mêmes éléments de perturbation. Le gendarme, c'est aussi celui qui va apaiser. C'est celui qui va, par sa présence, dissuader les comportements.

Pour d'évidentes raisons, je ne vais pas demander au gendarme qui sort dans la forêt amazonienne quels sont leurs résultats en matière de sécurité routière ? Ça n'a pas de sens. Ce n'est pas ce qu'on attend d'eux. En revanche, moi, j'attends d'eux qu'ils soient des vigies sur la lutte contre l'orpaillage illégal, qu’ils soient aussi des éléments d'accompagnement de la population des populations amérindiennes. C'est-à-dire qu'ils soient des vigies, des relais vers l'autorité administrative, vers le préfet en Guyane. Ça peut aussi être le Haut-commissaire en Polynésie sur une situation de crise sanitaire ou sociale.

On est le seul service public de l'État dans la profondeur des territoires et donc le gendarme doit aussi être celui qui conseille, qui apaise, qui est un peu une référence sur un territoire, vers lequel on se tourne pour avoir des relations sociales apaisées. Le gendarme est aussi celui qui apporte l’apaisement par la parole, dans des territoires de tradition orale où justement la parole est importante.

Pour prendre un exemple plus spécifique : pendant le confinement, on a fait du soutien scolaire, c'est-à-dire qu'on a aidé l'éducation nationale en amenant au plus profond du territoire les cours vers les jeunes, et en les accompagnant. En Nouvelle-Calédonie, s’il y a quelqu'un qui est malade au milieu de la chaîne montagneuse, que nous sommes présents avec l'hélicoptère de la gendarmerie, qui est là pour une mission judiciaire, on va le détourner et faire une mission de secours. C'est l'aide à la personne qui compte le plus. On est un service public.

Comment cela se passe dans les îles comme Rapa ou Maiao en Polynésie, des îles qui sont très fermées, avec un modèle de société très particulier ? Est-ce qu’il y a des gendarmes sur place ?

Alors il y a un dispositif de gendarmerie pour ces îles. Mais on n'a pas de gendarme en permanence sur chaque île atoll de Polynésie, on ne peut pas le faire. Ça n'aurait pas de sens. En revanche, chaque atoll ou chaque île polynésienne est rattaché à la gendarmerie. Par exemple, on a une brigade mobile composée de gendarmes dont la mission est de se rendre régulièrement sur chaque île. Cette brigade s'appuie aussi sur la Collectivité Polynésie, sur les « muto’i », c'est-à-dire la police municipale. Le policier municipal avec lequel on a des contacts ou le maire font remonter les problèmes. S'il n'y a pas de sujet qui nécessite une mobilisation d'urgence, il n'y est pas. Il n'y a pas de nécessité d'avoir des gendarmes en permanence partout. En revanche, s'il y a un sujet qui nécessite d’apporter une réponse, on y va.

Concernant la Nouvelle-Calédonie, vous avez été en poste pour deux référendums, en 2020 et 2021. Vous vous êtes d’ailleurs rendus sur place pour celui de 2021, le dernier ? Comment s'est passée l'organisation de ces consultations ? D'un point de vue uniquement Gendarmerie.

On est dans une mission comparable à la mission principale : assurer la liberté de circulation, la sécurité, permettre qu’il y ait des bureaux de vote partout, et donc, faire en sorte que tous les citoyens calédoniens qui souhaitent aller voter puissent le faire sans aucune difficulté. Que les gens puissent voter librement, comme dans une grande démocratie. Donc on a décidé de mettre en place un dispositif qui permet juste d'accompagner cet objectif. Le vote s'est bien passé. Il n'y a pas eu d'exactions. Les gens qui ont voulu aller voter ont pu aller voter. Il n'y a pas eu le moindre problème d'ordre. Ça, c'est ce qu'on appelle l'état final recherché, l’objectif.  

Maintenant, qu'est-ce qu'il nous faut pour arriver à cet objectif ? Il faut mettre en place des gens partout sur les îles parce que c'est un archipel. Il faut aussi avoir des gens qui seront au plus près de toutes les populations, partout où il y a des bureaux de vote. Il faut s'assurer que les voies de communications sont accessibles pour se rendre aux bureaux de vote. Pour tout cela, il faut un certain nombre de moyens humains, de gendarmes, qui ne sont pas habituellement sur place, en Nouvelle-Calédonie. Et donc il faut identifier une ressource, la former, lui expliquer ce qu'elle va faire, quel est l'enjeu, quel est l'environnement dans lequel elle est mobilisée, quelle est la mission et quels sont les enjeux de cette mission. Et donc, on a fait des formations ici dans l’Hexagone, notamment pour les cadres.

Est-ce qu’il y a en Outre-mer un territoire où on constate un manque de personnel ou de moyens ?

Je verrais les choses autrement. Ce n'est pas la Gendarmerie, même si elle y participe, qui crée la cohésion d'un territoire. Il y a aussi les élus locaux, le monde associatif, la sphère familiale. La Gendarmerie intervient lorsqu’on a un trouble à la tranquillité ou à l'ordre public. Elle intervient sur la route quand les gens ne respectent pas le code de la route. Elle intervient dans les familles quand la sphère familiale n'arrive plus à gérer sa relation après les violences intrafamiliales, ...

Le gendarme ce n'est pas lui qui crée un environnement instable. Il vient essayer de l'apaiser. Il faut, pour que le système fonctionne, que les gens soient éduqués, mais aussi qu'ils comprennent que le monde ne tourne pas autour de chacun d'eux, qu'ils font partie de la société dont il faut accepter les règles de vie. Il faut qu'ils soient éduqués par leurs parents et par l'école. A partir du moment où ces sociétés sont apaisées, pas besoin d’intervention de la Gendarmerie. On l'avait souligné plus haut, il y a beaucoup d'endroits, d’îles où il n'y a pas de gendarme parce que la société s'autorégule.

Mais on entend souvent des élus, que ce soit à Mayotte ou en Guadeloupe, par exemple, qui demandent plus d’effectifs…

C’est-à-dire qu’il y a le temps normal et les temps forts, les temps de crises. Quand on fait face à une situation de crise, il est évident que le dispositif pré-positionné est très vite mis en tension. Il apporte une première réponse. Mais il faut assez vite venir le renforcer et c'est tout l'enjeu de la gendarmerie mobile. Soit on mobilise avant l'événement pour faire en sorte que l'événement se passe bien, parce qu’on anticipe, parce qu'on a une échéance bornée dans le temps comme le référendum en Nouvelle-Calédonie, soit on mobilise très vite, dès qu’un événement plus inattendu se produit. Et c'est le cas par exemple de la dernière crise aux Antilles où on a renforcé le dispositif de la gendarmerie en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Martin pour faire face à une situation de troubles graves à l'ordre public avec un panel large de capacité puisqu'on a envoyé des gendarmes mobiles, et des effectifs de la police judiciaire pour traiter le contentieux pénal en liaison avec les magistrats.

Aujourd'hui, on a près de 600 gendarmes à Mayotte, ce qui est un gros chiffre. On a un dispositif qui correspond aujourd'hui aux enjeux de l’île, avec trois escadrons de gendarmerie mobile, une antenne gérant un hélicoptère. Il y a aussi toute une section de recherche pour judiciariser le dispositif. 

Vous avez évoqué Saint-Martin et la Guadeloupe et ça tombe très bien. Vous vous êtes récemment rendu en Guadeloupe, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, quel était le but de cette visite ?

Quand on est patron de la gendarmerie Outre-mer, il est important d'y aller. Il est important de rencontrer les représentants de la population. J'ai rencontré notamment le nouveau président de la collectivité de Saint-Martin, le nouveau président de la collectivité de Saint-Barthélemy, pour créer du lien, mieux se connaître. On va apporter une réponse de sécurité mieux adaptée aux attentes de la population qui s'exprime par ses élus.

C'est aussi l'occasion pour moi de rencontrer les autorités administratives, le préfet, de rencontrer aussi les magistrats, le procureur général de Basse-Terre et le procureur de la République pour faire le point avec eux sur leurs attentes et aussi leur évaluation de la performance de notre dispositif. Moi, si je vous dis qu'on est bon, c'est une appréciation du chef, mais je préfère qu'elle soit confirmée par les représentants de la population. Confirmée ou infirmée d’ailleurs, et complétée par les représentants de la population ou les représentants de l'État, des représentants de la justice.

La gendarmerie en Guadeloupe, à Saint-Martin, est un élément très important du dispositif. Et aujourd'hui, je ne reviens pas avec un sentiment d’inquiétude sur le terrain. Je reviens simplement avec une vision actualisée de notre action en Guadeloupe, dans tous les domaines. Par exemple, est-ce que les véhicules dont disposent les gendarmes sont bien adaptés ? Est-ce que le véhicule qui leur permet de travailler au quotidien est bien assuré ? 

Depuis quelques années, on fait de l'achat local plutôt que d'envoyer le même véhicule de Gendarmerie que celui qui tourne aujourd'hui dans l'Aveyron, pas forcément très adapté au terrain et dont on ne dispose pas forcément de pièces localement. Donc on achète les véhicules localement, ce qui nous permet aussi d'être un acteur économique des territoires et d'avoir un meilleur soutien, une meilleure réponse, un meilleur taux de disponibilité, de visibilité, et donc une meilleure efficacité au profit de la population. 

Vous êtes aujourd’hui à quelques semaines de votre départ. Quel bilan tirez-vous de ces trois années passées à ce poste ? 

C'est présomptueux de tirer son propre bilan. Les Outre-mer n'ont pas besoin de moi pour vivre, exercer leur métier, … Comme tous les Ultramarins, et tous les Français, mon temps de commandement aura été impacté par la crise sanitaire, qui a impacté le moral de l'ensemble de la population et, donc de l'Outre-mer qui a été certainement encore plus isolé.

Les Ultramarins ont l'habitude de se déplacer, ce sont des voyageurs, des peuples de pêcheurs, des gens qui ont l'habitude d'avoir un lien avec la Métropole. À partir du moment ou pour des raisons sanitaires, on a contraint ces déplacements, cela a pesé sur le moral, sur le lien social. Mais l'acceptabilité à ces contraintes a malheureusement montré ses limites. Et on l'a vu, c'est la crise aux Antilles.

Toute cette période a créé de l'anxiété : sur le soutien sanitaire, sur le monde économique, sur l'éducation. On le ressent parce que nous sommes un des capteurs de ces anxiétés. Dans un certain nombre de cas, elles se sont transformées en violences. Une violence est apparue du reste dans des familles. Une violence parce que les gens sont tendus et sont impactés. Ça a impacté les gens qui viennent de métropole, arrivent en Outre-mer et sont soumis aux mêmes restrictions et anxiété. C’est le cas par exemple des gendarmes affectés en Outre-mer, dont la mobilité a été contrainte, et qui n'a pas pu recevoir sa famille, découvrir l'environnement, c'est-à-dire de créer du lien social, fréquenter les stades, assister à des concerts ou spectacles, … De mon point de vue, cette crise sanitaire a été un moment important, et compliqué à gérer.

Ensuite, on a d'autres éléments importants, plus opérationnels évidemment. On avait cité le troisième référendum. Je suis d'une génération qui a connu les événements de Nouvelle-Calédonie des années 80, notamment liée à des élections. Même si évidemment la Nouvelle-Calédonie a évolué et tous les acteurs de la Nouvelle-Calédonie ont évolué, commander la gendarmerie à ce moment-là, c'est prévoir des situations qui sont hors normes.

Maintenir l'ordre à Mayotte, maintenir l'ordre en Martinique et en Guadeloupe, à La Réunion, parce qu'on est confronté de plus en plus à des violences de type urbaine dans certains quartiers de l’île : c’est autant de temps forts de mes fonctions. Chaque Outre-mer a ses spécificités. Évidemment, il y a une vie paisible partout sur les Outre-mer, mais il y a aussi quelques éruptions. Et donc, il faut que la gendarmerie soit présente à ce moment-là. On est confronté à des situations qui sont quand même extrêmement compliquée, sensible.

Évidemment, on a quelques mises en remontées qu'on regarde attentivement avec la direction de la gendarmerie. Mais globalement, par rapport à ce que l'on fait au quotidien, j'observe qu'on a fait preuve d'un très grand professionnalisme. On a été confronté pendant deux mois, en Martinique et en Guadeloupe, à des émeutes urbaines qui, à un moment donné, sont rentrées dans la criminalité puisqu'on a tiré et blessé un gendarme par arme à feu. De notre côté, je n'ai aucune mise en cause des gendarmes, alors même que chaque action est disséquée, que chaque action est isolée et exploitée. Sur cette période qui a été une période de fortes tensions, je n'ai aucune mise en cause des gendarmes.