Alors que l’année 2024 s’achève, le groupe Abchée, acteur incontournable de la transformation des produits de la mer en Guyane tire un bilan chargé d’enseignements et de défis. Avec 90 % des produits halieutiques transformés localement et des exportations qui représentent 80 % de son activité, le groupe s’impose comme un acteur clé du développement économique et industriel du territoire. Pour Outremers360 dans une interview exclusive, Gaby Abchée, président du groupe, revient sur les enjeux stratégiques : le rachat de l’usine Cogumer, le rôle des politiques publiques, les défis environnementaux et la modernisation nécessaire pour bâtir une filière durable.
Outremers360 : Avant d’aller plus loin, pouvez-vous nous retracer l’histoire et l’évolution du groupe Abchée ?
Gaby Abchée : Le groupe Abchée est un acteur historique de la Guyane, avec près de 60 ans d’existence. À nos débuts, nous étions armateurs avec une flotte dédiée à la pêche, principalement orientée vers la crevette. Puis, nous avons recentré nos activités sur la transformation et l’exportation des produits de la mer. Aujourd’hui, grâce à nos deux usines, nous traitons 90 % des produits halieutiques transformés localement et employons une centaine de salariés répartis sur plusieurs sites. Ce positionnement nous permet de jouer un rôle central dans la filière, en valorisant à la fois les produits locaux et les marchés d’export.
Vous avez mentionné que l’exportation représente une part majeure de votre activité. Quels sont vos principaux marchés ?
Nous exportons principalement vers les Antilles, où le vivaneau rouge est particulièrement apprécié, et vers les États-Unis, un marché en pleine croissance pour ce produit. Ces exportations représentent environ 80 % de notre chiffre d’affaires. Cette année, nous avons d’ailleurs participé à plusieurs salons internationaux pour renforcer notre présence sur ces marchés et explorer de nouvelles opportunités.
Quels sont les principaux défis pour la filière halieutique en Guyane ?
La pêche illégale est sans doute le défi le plus urgent. Elle limite les zones de pêche disponibles pour les armateurs locaux, réduit les stocks de poissons et affecte directement la quantité et la qualité des produits que nous pouvons transformer. Par ailleurs, la filière manque de structures suffisantes pour répondre à la demande croissante, notamment en termes de modernisation des équipements. Enfin, il y a l’enjeu de préserver une pêche locale forte, car sans elle, nos usines ne pourraient pas fonctionner.
Comment les politiques publiques soutiennent-elles le développement de la filière ?
Ces dernières années, l’État a pris des décisions qui ont un impact positif pour notre filière. Par exemple, la suppression de la taxe sur le vivaneau a corrigé une anomalie qui nous empêchait d’être compétitifs sur le marché régional. Un autre moment clé a été l’annonce du Président Emmanuel Macron concernant le renouvellement de la flotte de pêche en Guyane. C’est une décision stratégique qui répond à une demande ancienne de notre filière et qui s’inscrit dans une dynamique de modernisation. Cela nous permettra de disposer de navires plus performants, moins polluants et adaptés à nos besoins pour atteindre notre objectif de souveraineté alimentaire.
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Quels investissements réalisez-vous pour relancer la filière ?
En 2024, nous avons lancé plusieurs projets structurants. Le rachat de l’usine Cogumer est un exemple marquant, avec un investissement de près de deux millions d’euros pour sa réhabilitation et sa relance prévue en 2025. Nous avons également entrepris la rénovation de nos chalutiers, avec un budget d’environ 500 000 € par navire, pour moderniser notre flotte tout en intégrant des innovations décarbonées, notamment.
Le rachat de l’usine Cogumer a marqué 2024. Pourquoi était-ce une priorité pour vous ?
Ce rachat était une décision stratégique. D’un côté, Cogumer est une usine jumelle à notre site principal, la SAF, avec des capacités complémentaires dans la seconde transformation. De l’autre, il était crucial de préserver cet outil industriel au bénéfice de la Guyane. Certains investisseurs étrangers étaient intéressés par son acquisition mais nous avons réussi à conserver cette infrastructure dans le giron local. C’était une question de patrimoine et de souveraineté industrielle.
Quelles sont vos priorités pour les prochaines années ?
D’ici 2030, notre objectif est de renforcer chaque maillon de la filière. Cela passe par la modernisation de nos infrastructures, la diversification de nos ressources, et le développement de produits transformés pour répondre aux besoins des cantines et de la restauration collective. Nous voulons aussi explorer de nouveaux marchés, notamment aux États-Unis, tout en continuant à valoriser les produits guyanais. Enfin, nous travaillons avec nos partenaires pour consolider une pêche locale durable, essentielle pour l’avenir économique et alimentaire de la Guyane.
Quels grands événements marqueront 2025 ?
La relance de l’usine Cogumer sera un moment clé, symbolisant notre capacité à investir dans le tissu économique local. Nous poursuivrons aussi les campagnes expérimentales de pêche au grand pélagique, soutenues par l’État, qui ouvrent de nouvelles perspectives économiques. C’est une première pour le territoire. Enfin, nous espérons inaugurer plusieurs projets liés à la modernisation de nos chalutiers et à la mise en place de nouveaux partenariats commerciaux dans le courant de l’année.
Propos recueillis par Abby Saïd Adinani