INTERVIEW. Économie : « Cette crise exceptionnelle va laisser des traces profondes » selon Marc Rochet dirigeant des compagnies Air Caraïbes et French bee

Marc Rochet en avril dernier, peu de temps avant le décollage d'un vol cargo en pleine crise sanitaire ©Groupe Dubreuil

INTERVIEW. Économie : « Cette crise exceptionnelle va laisser des traces profondes » selon Marc Rochet dirigeant des compagnies Air Caraïbes et French bee

Alors que le déconfinement va débuter dans l’Hexagone avec un retour des passagers étrangers le 9 juin, les Outre-mer devraient avoir plus de précisions sur la reprise des vols commerciaux à cette même date. Pour l’occasion, la rédaction d’Outremers360 a interrogé Marc Rochet, dirigeant des compagnies du groupe Dubreuil, Air Caraïbes et French bee, qui desservent les Antilles, la Guyane, La Réunion et la Polynésie via San Francisco. Il revient sur la situation économique de ces deux compagnies, leurs perspectives à court terme, les aides de l’État, le pass sanitaire et les leçons de cette crise majeure pour le secteur aérien. 

Outremers360 : En mars-avril 2020, vous assuriez que les deux compagnies du groupe Dubreuil avaient une trésorerie assez solide pour tenir quelques mois de confinement et de suspension des liaisons aériennes. Un an après, force est de constater que la crise a duré plus longtemps que prévu. Comment se portent aujourd’hui les finances d’Air Caraïbes et French bee ? 

Marc Rochet : Cette crise est en effet plus longue que tout ce que nous aurions pu imaginer ! 3 confinements, 3 déconfinements avec pour chacun des mesures restrictives… Air Caraïbes et French bee subissent toujours lourdement les impacts financiers dus à la crise. Notre actionnaire est solide, robuste mais nous devons réaliser un été 2021 correct.

Craignez-vous des répercussions graves pour vos compagnies ? Sont-elles aujourd’hui menacées ? 

A ce stade, et si nous réalisons un été correct dans un environnement concurrentiel loyal, nos compagnies ne sont pas menacées. Les personnels d’Air Caraïbes et French bee ont accepté une réduction de leurs masses salariales de plus de 10% dès juin 2020 via les Accords de performance collective (instauré par les ordonnances Macron en 2017), nous gérons au jour le jour le coût de notre exploitation : nous sommes prêts au redémarrage.

Est-ce qu’Air Caraïbes et French bee vont devoir tout de même passer par un plan social ? Une réduction ou suspension des commandes auprès d’Airbus ? Voire la suppression de certaines lignes ? 

Ce n’est pas à l’ordre du jour et au contraire nous avons donné des garanties sur ce sujet au travers les APC signés. Nous maintenons nos plans de flotte et Air Caraïbes et French bee prendront livraison chacune de 2 A350-1000 entre juin 2021 et courant 2022.

Il se dit que vous envisagez de supprimer la ligne Paris – San Francisco – Tahiti ? Le confirmez-vous ? 

Non, c'est totalement faux ! En pleine crise nous avons maintenu nos vols vers Papeete en passant par Vancouver puis par Pointe-à-Pitre. Dès que les Autorités américaines le permettront, nous opérerons de nouveau via San Francisco. French bee tient à cette desserte et nos clients aussi.

Un A350 French bee sur le tarmac d'Orly, peu avant son décollage pour un vol cargo vers Tahiti en mai 2020 ©Outremers360

Qu’en est-il de la ligne Paris – New York qui devait être inaugurée en juin 2020 ?

Nous sommes prêts à ouvrir la ligne Paris-New York dès que les Autorités le permettront. Nous espérons le faire cet été. 

Outre le chômage partiel, avez-vous pu obtenir des aides supplémentaires du gouvernement comme le PGE ou le dispositif « coût fixe » ?

Le Groupe Dubreuil a obtenu un PGE de 150 millions d’euros en 2020 ainsi que du dispositif coûts fixes limités en effet à 10 millions d’euros.

Vos concurrentes notamment sur les destinations Outre-mer ont reçu des aides non négligeables de l’État : une recapitalisation pour Air France, des PGE et une possible recapitalisation pour Air Tahiti Nui, des PGE pour AirCalin et Air Austral ou encore un plan de sauvegarde pour Corsair auquel l’État a contribué. Comment percevez-vous cela en tant que compagnie privée qui joue un rôle de compétitivité de l’offre aérienne en Outre-mer ? 

Nous plaidons pour une concurrence loyale, en particulier vers ces destinations où la concurrence est féroce. Nous nous battons pour une équité au niveau des aides d’Etat.

Sur l’entrée de l’État dans le capital d’Air France, la compagnie a dû en contrepartie se séparer de « slots », de créneaux horaires, à Orly : Air Caraïbes et French bee ont-elles pu en récupérer ? 

Ces slots représentent une part très minime des slots d’Orly, de plus les conditions de leur cession restent peu claires, mais oui nous suivons ce dossier-là, de près.

Le président de la République a dévoilé le calendrier du déconfinement, avec notamment le retour des touristes étrangers le 9 juin avec pass sanitaire : est-ce que cela veut dire concrètement la reprise des vols commerciaux et la levée de la fermeture des frontières y compris en Outre-mer ? 

Nous attendons les précisions du Gouvernement concernant les DOM qui sont encore soumis aux motifs impérieux. Quant à la Polynésie, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu a annoncé le 8 mai qu’il n’y aurait pas d’ouverture de l’archipel aux Français avant juillet : nous attendons un ajustement de ces calendriers (le ministre a annoncé une précision quant à la réouverture des Outre-mer le 9 juin, ndlr). 

Il y a toutefois parmi vos destinations, des destinations internationales soumises à une réglementation qui ne concerne pas l’État, je pense notamment à San Francisco. Est-ce qu’au 9 juin vous pensez pouvoir reprendre la desserte de San Francisco ? 

Nous pensons qu’il sera possible aux adultes vaccinés de voyager cet été vers et depuis les Etats-Unis.

©Outremers360 

Sur le pass sanitaire, êtes-vous logistiquement prêt à le mettre en place ? Ne craignez-vous pas que cela soit un frein au voyage ou au contraire, un gage de sécurité qui plaira aux voyageurs ?

Je suis résolument pour le pass sanitaire et nous sommes prêts à le mettre en place. Ce sera un gage de sécurité pour les voyageurs mais aussi pour les habitants des destinations où ils se rendront. 

Une dernière question. Nous le disions en début d’interview : cette crise a duré bien plus longtemps que l’on ne s’imaginait et force est de constater que, même avec un vaccin, les signes positifs laissant espérer une sortie sont fragiles. En tant que dirigeant de compagnie aérienne, avec une carrière riche en événements majeurs qui ont changé le visage de l’aéronautique (je pense au 11 septembre par exemple), que retenez-vous de cette crise ? Comment le secteur de l’aérien durement touché peut-il se réinventer pour un redémarrage pérenne et serein ? 

Cette crise exceptionnelle va laisser des traces profondes. Notre secteur, comme beaucoup d’autres, devra s’adapter, se transformer, et encore mieux servir nos clients, probablement avec des prix plus bas. Les perfusions massives mises en place par les États, ont en partie anesthésié ce besoin de transformation ; mais ceux qui en sont conscients, réussiront demain, tant les besoins et l’envie de voyager sont forts avec les libertés de déplacements que nous allons progressivement retrouver.