La journée du 30 janvier a été l’occasion, lors de la 4ème édition de la conférence Les Outre-mer aux avant-postes, organisée par le Point, de parler de la question du logement, à la Maison de l’Océan. Comment les territoires ultramarins peuvent-ils s'adapter aux normes en matière de construction et de logement ? Telle était la question posée à Hervé Tonnaire, Directeur des Outre-Mer et Directeur régional Pacifique à la Banque des Territoires/CDC, et à Audrey Belim, sénatrice de La Réunion. Face au journaliste Nicolas Bastuck, les deux invités sont revenus sur les enjeux liés à l'adaptation des normes et sur les difficultés structurelles qui entravent le développement immobilier dans ces territoires.
Quelle place pour le logement et, plus particulièrement, pour le logement social dans les Outre-mer ? « Sur l'ensemble de l'Outre-mer, on considère que le logement aidé concerne près de 80 % de la population », répondait alors Hervé Tonnaire, directeur aux Outre-mer et directeur régional Pacifique de la Banque des territoires/CDC.
Pourtant, le parc existant reste largement insuffisant, avec seulement 160 000 logements sociaux pour une population de 2,7 millions d'habitants. « C'est un chiffre alarmant. On ne peut pas espérer assurer un équilibre social avec une telle disproportion entre l’offre et la demande. » Des propos appuyés par Audrey Belim, sénatrice de La Réunion : « Nous avons, dans certains territoires, des loyers qui atteignent des niveaux comparables à ceux de grandes métropoles hexagonales, alors que la majorité des ménages ultramarins ont des revenus bien inférieurs. »
Cette situation, qui s'explique notamment par un foncier limité, une démographie croissante et une précarité socio-économique accrue, est de plus en plus dénoncée. « Si vous ne pouvez pas vous loger dans des conditions décentes à un prix accessible, vous créez un facteur de crispation sociale et un goulet d'étranglement économique », alerte Hervé Tonnaire. « Le logement n'est pas qu'un besoin vital, c'est aussi un pilier fondamental de la stabilité sociale. Sans accès à un logement abordable, nous créons des fractures profondes dans nos sociétés ultramarines. »
Les conséquences sont également économiques. « Le logement est un facteur clé du développement. Quand on parle de logement social, on ne parle pas seulement d'abri, mais d’un outil économique qui permet à des populations fragiles de s’ancrer durablement sur leur territoire, d’accéder à l’emploi et de participer pleinement à la vie économique locale », poursuit le directeur aux Outre-mer de la Banque des territoires/: « Nous devons être lucides : si nous ne trouvons pas de solutions concrètes et durables, nous allons assister à une amplification des inégalités et des tensions sociales. L'État doit intensifier son soutien, et nous, en tant qu’institution financière, devons structurer des financements adaptés à ces réalités. »
Encadrer les loyers
Face à cette réalité, la sénatrice Audrey Belim propose d'encadrer les loyers dans les Outre-mer, sur le modèle d'expérimentations menées en Hexagone à Paris, Bordeaux ou Montpellier. « Ce dispositif permettrait aux maires ultramarins d'intervenir pour réguler l'offre et la demande sur leur territoire et protéger les locataires face à la spéculation foncière », explique-t-elle. Cependant, la mise en œuvre d'un tel encadrement se heurte à plusieurs difficultés. « Le dispositif d'encadrement actuel ne prend pas en compte les spécificités ultramarines, faute d'observatoires des loyers et d'une classification adaptée des communes tendues », regrette la sénatrice. « C’est une aberration, car nous avons des situations bien plus critiques que certaines grandes villes hexagonales où l’encadrement est déjà en place. »
Hervé Tonnaire appuie cette analyse : « Le logement est un bien essentiel, mais aujourd’hui, nous avons une situation où le marché est totalement déséquilibré. La spéculation foncière fait flamber les prix et rend l’accès au logement difficile pour les ménages les plus modestes. Nous avons vu des cas où le prix des loyers a augmenté de 31 % en seulement cinq ans à La Réunion, ce qui est insoutenable. »
Des normes inadaptées aux réalités ultramarines
L'autre grande difficulté évoquée concerne les normes de construction. « Pourquoi faire venir du bois d'Ukraine en Guyane alors que nous avons du bois local de qualité juste à côté ? », interroge Audrey Belim. Une aberration pour la femme politique, qui y voit le résultat d'une uniformisation des normes de construction conçues pour l'Hexagone, sans prise en compte des particularités climatiques et géographiques des territoires ultramarins.
« Les normes actuelles peuvent être un frein au développement, alors qu'elles devraient être un levier d'adaptation aux réalités locales », prévient Hervé Tonnaire, qui prend l'exemple de la Polynésie française, où le gouvernement travaille à développer un cadre réglementaire propre en concertation avec les acteurs du BTP. « Nous avons besoin d’un cadre normatif souple qui reconnaisse les spécificités ultramarines », insiste Hervé Tonnaire. « Quand on impose les mêmes normes que dans l’Hexagone, on se retrouve avec des bâtiments mal adaptés, plus coûteux et construits avec des matériaux importés, alors que des solutions locales existent. Le BTP en Outre-mer a ses propres spécificités. Il faut adapter les réglementations, mais aussi soutenir les entreprises locales pour qu’elles puissent répondre aux besoins de construction de manière autonome, sans dépendre de l’importation de matériaux et de main-d’œuvre extérieure. »
Le coût de la construction est un autre problème. « Les normes européennes sur les matériaux nous obligent à acheter des produits qui ne sont pas toujours adaptés aux conditions climatiques ultramarines. En allégeant certaines obligations et en reconnaissant des alternatives régionales, nous pourrions réduire les coûts de 20 à 30 %. »
La sénatrice Audrey Belim abonde dans ce sens : « Nous devons nous inspirer de la Nouvelle-Calédonie, qui a su imposer des normes adaptées, notamment en matière de résistance aux cyclones et de gestion des ressources locales. Ce modèle pourrait être répliqué dans d’autres territoires. »
Vers un modèle plus adapté
Le débat organisé lors de la conférence Les Outre-mer aux avant-postes a mis en évidence un élément essentiel : les Outre-mer ne peuvent pas être gérés comme l'Hexagone. Encadrement des loyers, adaptation des normes et reconstruction intelligente sont autant de pistes à explorer pour offrir aux populations ultramarines des logements dignes et abordables. « Nous devons absolument revoir notre approche en matière de logement ultramarin », affirme Hervé Tonnaire. « Il est temps d’adopter une vision plus pragmatique et contextualisée, qui ne repose plus uniquement sur des normes et des modèles importés de l’Hexagone. Nous avons besoin d'un plan stratégique à long terme qui prenne en compte l'évolution démographique, les particularités climatiques et le potentiel de développement local. On ne peut pas continuer à traiter les Outre-mer comme une simple extension de la France continentale. »
À Mayotte, où l’heure est à la reconstruction, la Caisse des Dépôts a annoncé une enveloppe exceptionnelle de prêts pour financer les reconstructions, avec « des conditions très particulières, car il faut prévoir à la fois l'urgence et le long terme », précise le directeur aux Outre-mer de la Banque des territoires. Ce dernier insiste sur la nécessité d'une coordination entre tous les acteurs : « Il ne faut pas qu'on en parle pendant deux ans et que tout retombe ensuite. Il faut une stratégie de reconstruction durable et inclusive. »
Abby Said Adinani