En Guyane, allier production d'électricité en quantité suffisante et respect des normes environnementales relève du casse-tête : un projet de décret sur le développement de centrales à biomasse est accusé par des associations écologistes de menacer la forêt amazonienne.
En préparation depuis deux ans, le texte doit permettre aux porteurs de projets de déroger à la législation européenne sur la protection des forêts primaires, et de continuer à bénéficier de subventions publiques. Il a franchi une étape clé avant sa promulgation, avec la fin vendredi de la phase de consultation obligatoire.
Défendu par le gouvernement comme un moyen d'encadrer strictement l'usage du bois de coupe, le futur décret risque d'avoir l'effet inverse, selon les associations Wild Legal et Maïouri Nature Guyane. « L'objectif du décret est de se donner un encadrement clair », explique à l'AFP le ministère de la Transition énergétique.
Le texte permet d'utiliser du bois de coupe mais exclusivement « issu du défrichement légal » et ce, « plutôt que de le laisser brûler de manière incontrôlable ce qui n'est pas souhaitable pour le climat et l'environnement », souligne-t-on de même source. Il permet aussi, dans le cadre d'un plafond limité à 15% de la surface agricole, d'utiliser les cultures exclusivement énergétiques pour alimenter la filière biomasse.
« Scandale », contestent Wild Legal et Maïouri Nature Guyane qui voient dans le texte un « appel d'air sans précédent pour encourager le remplacement de milliers d'hectares de forêts très riches en biodiversité par des plantations intensives d'arbres à vocation énergétique en percevant les aides d'État ».
« Ce décret prévoit la possibilité de déroger aux règles visant à assurer la durabilité et la régénération des forêts », analyse Marine Calmet, juriste des associations. Cela va permettre qu'« on brûle du bois issu de la forêt tropicale qui est un puits de carbone » et de « maintenir artificiellement une filière qui n'est pas durable », ajoute cette avocate spécialisée dans les droits de la Nature.
Un communiqué résume sans ambages : « La France veut raser la forêt amazonienne pour faire décoller des fusées ‘bio’ », en référence aux projets de centrales à biomasse destinées à servir les besoins du centre spatial guyanais de Kourou. Le port spatial consomme 18% de l'électricité produite dans un département qui en manque cruellement.
Un quart des Guyanais sans électricité
« La nouvelle législation européenne (en cours d'adoption, ndlr) mettait un terme au soutien public pour les porteurs de projet, notamment sur le tarif de rachat de l'électricité, plus chère à produire ici. Cela risquait de mettre un coup d'arrêt brutal à la filière biomasse, pourtant en plein développement en Guyane », rétorque Thibault Lechat-Vega, 3e vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane. « Ce que nous avons défendu en septembre à Bruxelles, c'est le maintien d'un régime dérogatoire déjà en place, pas une évolution de la législation », ajoute-t-il.
Depuis 2016, la biomasse monte en puissance en Guyane, qui dépend majoritairement du barrage de Petit-Saut pour son électricité alors que Cayenne et ses environs sont alimentés par une centrale au fioul. La biomasse représente aujourd'hui « 20% de l'électricité produite sur le territoire avec trois centrales en activité et deux en construction », selon Thibault Lechat-Vega. Un développement qui nécessite une filière d'approvisionnement stable.
Ce que le décret doit permettre en autorisant le prélèvement de bois directement pour produire du carburant de biomasse. « Aujourd'hui, 75% de notre mix énergétique est vert. Nous sommes le département français le plus en avance sur les objectifs d'énergies renouvelables. Quand est-ce que l'on va arrêter de nous mettre sous cloche alors qu'un quart des Guyanais n'a pas accès à l'électricité ? », s'emporte Thibault Lechat-Vega.
« Les contraintes européennes sont éloignées des nôtres. Ici, nous n'avons pas d'autres débouchés que la biomasse pour nos connexes d'exploitation car nous ne faisons pas de papier, pas de carton, pas de bois de chauffage », explique Thomas Caparros, le président de l'Interprobois Guyane, qui rassemble les acteurs de la filière.
On appelle « connexes » les petits arbres tombés lors de l'abattage des bois, cimes, branches etc. Ils représentent « 70% d'une grume », précise Thomas Caparros. « Seul 30% d'un arbre est utilisé pour le bois d'œuvre, le reste est notamment destiné à la filière biomasse qui fait entièrement partie de notre équilibre financier. Sans elle, 15 à 20% du chiffre d'affaires des scieries et des exploitants forestiers s'en va », indique-t-il.
Avec AFP