Géopolitique : les nouveaux enjeux stratégiques et maritimes des Outre-mer

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Géopolitique : les nouveaux enjeux stratégiques et maritimes des Outre-mer

La France est souvent présentée comme une grande puissance maritime en raison de l'immensité de sa zone économique exclusive (ZEE, près de 11 millions de km2). Cependant, cette vision est incomplète. Dans une récente étude, Thierry­ Duchesne, directeur du département maritime de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, explique que la puissance maritime française ne se limite pas à la possession d'un vaste espace. Elle se mesure surtout par la capacité de l’État à exercer une influence réelle et effective en mer, à travers la mobilité, l'activité économique, la protection et la défense.

Le monde devient de plus en plus maritime, ce qui offre à l’Hexagone et aux territoires ultramarins de multiples opportunités de développement, d’échanges et d’influence : 90% des Outre-mer français sont situés en Indopacifique, devenu une zone stratégique de premier plan. « La mauvaise nouvelle, c’est que de nouvelles puissances, dont la Chine surtout, développent des stratégies de conquête qui passent aussi par la dimension maritime. Nos Outre-mer sont en première ligne. L’isolement ne protège plus. La défense de ces territoires devient une ardente nécessité », écrit Thierry­ Duchesne.

« L’autre grande puissance maritime émergente est l’Inde. Inquiète de l’activisme maritime de la Chine dans l’océan Indien, l’Inde poursuit aussi une politique de développement de sa flotte et d’installation de bases navales. Mais, à la différence de la Chine, cette politique se fait en coopération avec les puissances occidentales », poursuit l’auteur. Concernant Pékin, il sait profiter de la défaillance de certaines îles du Pacifique, comme le Vanuatu ou les îles Salomon. Par ailleurs, la crise actuelle en Nouvelle-Calédonie pourrait représenter un dangereux facteur de déstabilisation en faveur de la Chine, au détriment de la France.

 Face aux menaces croissantes dans les eaux littorales de la mer Rouge, les flottes marchandes privilégient de plus en plus la haute mer, notamment en contournant le cap de Bonne-Espérance. Ce détour concerne désormais 7,6 millions de tonnes de marchandises, contre seulement 1,8 via le canal de Suez. Dans ce contexte, les bases navales de La Réunion et de Mayotte demeurent d’une importance stratégique, notamment si le passage par Suez devient trop risqué pour les transporteurs. Ces territoires jouent également un rôle clé dans la lutte contre la piraterie maritime, une menace persistante qui pourrait se renforcer avec l’arrivée de nouvelles technologies facilitant les attaques contre les navires.

 

 D’autres enjeux d’importance sont la grande dépendance aux importations, à l’énergie et au maintien des routes maritimes d’approvisionnement des territoires d’Outre-mer, souligne Thierry­ Duchesne. « Dans le contexte actuel de remise en cause généralisée de l’ordre mondial et de réarmement naval, la très forte dépendance de ces territoires aux approvisionnements extérieurs est une véritable fragilité ». Aussi plaide-t-il pour que les DROM-COM disposent de réserves stratégiques alimentaires qui pourraient soit s’appuyer sur le privé soit sur des stocks de crise dans les ports, et le maintien des liaisons logistiques grâce aux capacités des marines militaires, française et alliées, à protéger les trafics à destination des Outre-mer.

 En outre, « dans ses ZEE ultramarines, la France pourrait compter aussi d’importantes ressources minérales qui sont encore loin d’être toutes investiguées. Depuis le début des années 1970, la France, sous l’égide de l’IFREMER (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, ndlr), a maintenu une recherche en pointe dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation des fonds marins et dans leurs technologies d’accès », relève l’auteur. Mais face aux inquiétudes grandissantes concernant les conséquences environnementales de l'exploitation d'une ressource donnée dans un contexte de changement climatique, Paris a adopté une nouvelle position. En novembre 2022, le président de la République a annoncé un moratoire sur cette exploitation.

En conclusion, Thierry­ Duchesne note que l'avenir des Outre-mer français repose sur leur lien étroit avec la mer, tant pour son potentiel économique qu'environnemental. La France doit, à l'image de la Chine, adopter une stratégie maritime ambitieuse, en s'appuyant sur une marine solide et sur ses territoires ultramarins. « Ces territoires, il va falloir les protéger, mais aussi les valoriser comme points d’appui stratégique », dit-il, se félicitant que « la loi de programmation militaire 2024-2030 affiche un renforcement des moyens des forces armées Outre-mer ».

« Dans le monde qui vient », insiste l’auteur, « deux territoires devraient faire l’objet d’un effort particulier pour éviter toute velléité d’escalade. Il s’agit de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte/La Réunion, où les opérations de déstabilisation de la France ont commencé ». Toutefois, Paris n’accorde actuellement que 2% de son produit intérieur brut à la défense, loin des menaces qui se profilent. Si l’on n’y prend garde, la France pourrait subir le nouvel ordre mondial qui se profile et où les Outre-mer sont au centre du jeu.

 

PM