Si le récit des abolitions de l’esclavage est bien connu et documenté pour les « quatre vieilles colonies » des Outre-mer français (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion), c’est moins le cas pour certains territoires. En ce jour de commémoration de l’abolition à Saint-Martin, Outremers 360 revient sur une période peu explorée de l’histoire de l’île.
Dans un traité signé en mars 1648, la France et les Pays-Bas se partagent définitivement la souveraineté du petit territoire (Saint-Martin et Sint Maarten, qui passeront toutefois à quelques reprises sous domination anglaise jusqu’en 1815), doté d’une frontière symbolique qui permet la libre circulation des personnes et des biens. À l’époque, l’île est surtout utilisée comme étape de mouillage et de ravitaillement par les navigateurs et les pirates européens. Mais l’implantation coloniale va changer les choses. Dans le sud, les Hollandais développent principalement l’exploitation lucrative du sel à Great Bay, qu’ils avaient commencé une quinzaine d’années auparavant.
Au nord, après avoir surtout cultivé du tabac, les Français entament la production d’indigo, puis de coton et de canne à sucre. Ces deux dernières filières s’étendent d’ailleurs à l’ensemble de l’île, ce qui nécessite l’acheminement de milliers d’esclaves africains pendant près de deux siècles. Tout va basculer en janvier 1838, année où le Royaume-Uni aboli définitivement le travail servile. La nuit tombée, les esclaves saint-martinois, qui ont appris la nouvelle, voient alors de leur rivage des brasiers allumés d’Anguilla qui les incitent à s’évader et à rejoindre le tout proche territoire britannique.
Appel reçu. Des centaines d’esclaves fuient alors Saint-Martin sur des embarcations de fortune pour rejoindre Anguilla, distante d’une vingtaine de kilomètres seulement. C’est un coup fatal pour l’industrie sucrière locale. Au point que, « dès 1841, des propriétaires d’esclaves de la partie française de Saint-Martin élaborent une pétition, adressée à la Chambre des députés, pétition réclamant l’émancipation immédiate des esclaves. Ce sont des considérations réalistes qui les guident », écrit l’historien Jacques Adélaïde-Merlande (Historial antillais, volume III, Dajani, Fort-de-France, 1981). Une demande rejetée par le gouverneur de la Guadeloupe à laquelle Saint-Martin était rattachée.

L’exode de la plupart des esclaves entraîne la ruine de l’économie de plantation, qui sera remplacée par l’exploitation de sel pour l’exportation (de Grand-Case notamment) à partir de 1842. Particularité, une partie de la main d’œuvre employée dans les salines était constituée de d’ouvriers libres venus de l’île dans son ensemble, l’autre partie étant formée des derniers esclaves restés sur place et loués par leur maîtres. Les Noirs libres recevaient un salaire similaire et les châtiments corporels étaient formellement interdits.
Mais dans les autres îles voisines dominées par la France, particulièrement en Guadeloupe et en Martinique, les insurrections se succèdent. Sous la pression des révoltes d’esclaves et du courant anti-esclavagiste, le décret d'abolition dans les territoires français est signé le 27 avril 1848 par le gouvernement provisoire de la deuxième République, puis appliqué le 27 mai de la même année en Guadeloupe, dont dépend alors Saint-Martin. Cependant des chercheurs ont découvert que l’acte d’émancipation avait été proclamé à Saint-Martin un jour plus tard, soit le 28 mai. Ainsi, depuis 2018, après validation par la collectivité territoriale et l’État, le 28 mai est officiellement devenue la date de commémoration de l’abolition de l’esclavage dans la partie française de l’île. À Sint-Maarten, l’esclavage ne fut aboli par les Pays-Bas que le 1er juillet 1863.
À la suite de l’émancipation, la plupart des colons de Saint-Martin quittèrent l’île avec des indemnités et les plantations furent divisées en lopins rachetés par d’anciens ouvriers et esclaves noirs. Ces derniers, en l’absence d’une administration coloniale permanente installée en Guadeloupe, parvinrent à instaurer une économie basée sur l’autosuffisance alimentaire – cultures vivrières, pêche, élevage – et à s’assurer des revenus grâce à leur travail dans les salines ou selon leurs compétences (forgerons, servants, commerçants, enseignants…). Beaucoup émigrèrent dans les îles anglophones, aux États-Unis, en République dominicaine ou au Panama, avant de revenir avec leurs familles pour certains, ce qui donne encore à Saint-Martin son caractère distinctement cosmopolite.
PM