Chantal Loïal : « L’objectif du festival Mois Kreyol est d’offrir aux cultures créoles un espace d'expression à la mesure de la place qu'elles occupent dans le patrimoine culturel français et francophone »

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Chantal Loïal : « L’objectif du festival Mois Kreyol est d’offrir aux cultures créoles un espace d'expression à la mesure de la place qu'elles occupent dans le patrimoine culturel français et francophone »

La 7ème édition du Festival « Mois Kréyol », le festival des langues et cultures créoles porté par la Compagnie Difé Kako est en préparation et aura lieu dans l’Hexagone du 8 octobre au 25 novembre 2023 avec des escales à Paris, en Ile-de-France et dans de nombreuses villes de France, avant de poser ses valises en Guyane, Martinique et Guadeloupe dès janvier 2024. Pour cette 7ème édition, le festival mettra à l’honneur la langue créole et proposera dans ce cadre une programmation éclectique et pluridisciplinaire. A cette occasion, nous avons rencontré sa fondatrice et actuelle directrice la chorégraphe et danseuse Chantal Loïal qui a bien voulu nous éclairer sur les fondements et les ambitions de ce festival et plus prosaïquement des temps forts de cette nouvelle édition.

 

Tout d’abord, pouvez-vous nous dresser un bilan de la 6ème édition du festival « Mois Kréyol » organisé par la Compagnie Difé Kako, dont vous êtes la fondatrice et aujourd’hui la directrice artistique, en termes quantitatif et qualitatif ? Comment a été reçu cette édition lors de vos différentes escales dans l’Hexagone, mais aussi en outre-mer ?

Chantal Loïal : Un an après la fin de la pandémie du Covid, cette 6ème édition fut à la hauteur de nos ambitions. En effet, un public de 12 000 personnes s’est retrouvé autour de nos propositions artistiques et culturelles qui avaient comme thématique le « Carnaval des saveurs » dont 2 500 aux Antilles/Guyane. Cet engouement démontre l’intérêt du public métropolitain et ultramarin de se nourrir de la vitalité de toutes les cultures créoles que nous offre la multitude d’artistes ultramarins.

Le programme invitait à la (re) découverte des terres ultramarines. Petits et grands ont pu se délecter devant de nombreux spectacles (concerts, danse, théâtre), se nourrir de rencontres (littéraires, culinaires ou autour de conférences thématiques) mais aussi savourer des moments féconds et profitables en participant à des ateliers de danse, de musique ou encore de cuisine mais aussi se régaler lors des parcours mémoriels et profiter de moments conviviaux autour de l’histoire des créoles.

Cette dernière édition a permis de toucher des publics en Hexagone mais aussi aux Antilles/Guyane. Ainsi, les étapes du festival se sont arrêtées à Paris et l’Ilede France, dans le Grand-Est, en Loire Atlantique et en Nouvelle Aquitaine mais aussi en Guadeloupe, Martinique et Guyane. Au total, 9 territoires et 67 lieux partenaires ont accueilli ce 6ème festival.

La clôture s’est faite en Hexagone par un colloque organisé par l’Onda et les Ministères de la culture et des outre-mer qui a induit dans le cadre du pacte de visibilité, nombre de rencontres et permis la réflexion sur la place des outre-mer dans les politiques publiques.

Pour l’édition 2022, vous aviez choisi pour thème principal le « Carnaval des saveurs » en forme de voyage à travers les sens et les héritages des peuples créolophones d’origine, que vouliez - vous exprimer ? Quel message vouliez-vous faire passer ? 

C L : En effet, nous invitions le public à voyager à travers les sens, mais aussi les héritages de nos peuples d’origine, nos mémoires africaines et indiennes.

Les saveurs sont liées au goût mais aussi aux sensations et aux charmes qui sont produits par la musique, les danses, les histoires, les traditions. C’est tout un répertoire de saveurs que nous avons proposé.

Le message ? Révéler le riche patrimoine matériel et immatériel des outre-mer, ses traditions, la mémoire des cultures créoles ainsi que d’autres trésors spécifiques propres aux artistes et intervenants invités. Les multiples facettes de la culture créole passent par la langue, la musique …chaque territoire ultramarina ses propres identités.

Plus généralement, depuis le début en 2017, vous souhaitez faire de ce  festival des langues et des cultures créoles un rendez-vous porteur de la vitalité des cultures créoles et ambitionnez qu’il œuvre à la créolisation du monde. Est–ce encore le cas aujourd’hui ? Avez-vous d’autres ambitions ? Qu’est-ce qui vous motive encore aujourd’hui ?

C L : C’est à partir du constat du manque de visibilité des artistes créoles qu’est née, en 2017, l’idée d’organiser un festival itinérant qui se veut être un pont entre nos territoires ultramarins et la France hexagonale pour défendre la création, la diffusion, mais également être un espace de réflexion.

L’objectif du festival Mois Kreyol est d’offrir aux cultures créoles un espace d'expression à la mesure de la place qu'elles occupent dans le patrimoine culturel français et francophone. C’est aussi d’ouvrir le chemin vers de nouveaux événements et pratiques de la créolité en rassemblant, en démocratisant les corps et les pigments. Nous privilégions le lien intergénérationnel ainsi que la transmission auprès du plus grand nombre.

Je souhaite mettre en friction notre patrimoine matériel et immatériel avec tous types de possibles. Cela constitue mon engagement continu et combatif.

Le festival, c’est aussi le combat pour la légitimité culturelle de nos territoires d’outremer de manière plurielle, singulière et en lien et en synergie avec l’hexagone.

Le festival Mois Kreyol n’est pas un festival parmi tant d’autres, car sa spécificité et son principe de fonctionnement le distinguent clairement. Il s’appuie sur des liens de fraternité, d’altérité et sur des composantes d’une histoire commune.

Après 6 années d’existence, nous avons tissé des liens avec de nombreux partenaires, des publics qui nous sont fidèles ont à cœur les valeurs qui sont portées dans cet événement fédérateur.

Ce festival perdure et doit perdurer tant que nous devons plus que jamais affirmer notre légitimité et conduire vers le chemin qui mène vers une meilleure compréhension de ce qui fait la spécificité des artistes originaires des outremers, de ce qui nous anime, et de ce qui peut être développé et mis en place…

Il est primordial de permettre à tous les acteurs de la culture d’ici et de là-bas de tisser les maillons nécessaires pour construire nos récits transatlantiques.

On ne doit pas oublier que nos imaginaires convoquent une histoire triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et les îles, les archipels. C’est une histoire très riche, qui fait partie intégrante du patrimoine et de la diversité culturelle de notre pays.

Pourquoi avoir choisi de faire du « Mois Kréyol » un festival pluridisciplinaire et itinérant ?

C L : L’itinérance s’est imposée car un des piliers du festival est ce maillage territorial, associatif et partenarial que nous avons mis en œuvre à travers tout un réseau de lieux culturels, d’institutions et d’associations partenaires, impliqués dans le projet et qui sont forces d’initiatives.

Notre itinérance s’est construite également au travers de multiples lieux, villes,de ces ports chargés de l’histoire des afro-descendants

Il est pluridisciplinaire car les artistes ultra-marins sont multiples : musiciens, chanteurs, chorégraphes, cinéastes, auteur(e)s, conteurs… qu’ils soient amateurs, émergents ou confirmés.

La culture, on le sait, est souvent le parent pauvre des politiques publiques. Avez-vous le soutien des pouvoirs publics et dans quelles proportions ?  

C L : Avec le temps, nous avons su convaincre et persuader les collectivités publiques qui nous accompagnent de la nécessité de nous soutenir afin de permettre la bonne gestion du festival en termes organisationnels et artistiques.

Ainsi, le ministère de la culture et celui des outre-mer sont nos plus importants soutiens. Mais, les soutiens viennent également des lieux partenaires et des publics.

Vous êtes en train de préparer la 7ème édition du festival « Mois Kréyol » prévue dans l’Hexagone du 8 octobre au 25 novembre. Y aura - t-il des nouveautés ? En quoi celui-ci sera-t-il différent des autres éditions ? Quel en sera le thème principal ?  

C L : Cette 7ème édition est marquée par l’arrivée de nouveaux territoires et partenaires : nous aurons pour la première fois des escales dans les Hauts de France, à Armentières, en Normandie à Honfleur et Le Havre, à Lyon, Reims, mais aussi les Bouches du Rhône à Martigues.

Elle a pour thématique « An ka palé kreyol » (je parle créole). Nous souhaitons en effet, (re)mettre la langue créole en avant par des représentations immersives, nous invitons le public à entendre toutes les voix des Caraïbes et de l’Océan indien qui résonneront de manière hybride au rythme des mots, de la musique, des cultures urbaines et du langage des corps en mouvement.

Comprendre les identités multiples du créole suggère de regarder vers son histoire. C’est pourquoi, le festival célèbre cette année des moments-clés et des personnalités qui ont marqué les Caraïbes en permettant l’inclusion de la langue et la culture créole au sein de population.

Cette édition mettra en lumière le 220ème anniversaire de la mémoire de Toussaint Louverture (ancien esclave qui proclama en 1801 l’indépendance d’Haïti), le 170ème anniversaire de l’immigration des Indiens aux Antilles, qui ont contribué à la richesse culturelle actuelle et le 40ème anniversaire de la «journée internationale de la culture et des langues créoles ». Trois anniversaires chargés d’histoire qui nous permettent de comprendre la complexité de la langue créole, mais aussi sa migration, ses tonalités, son sens.

Le festival dédiera également cette édition à Sylviane Telchid (1941-2023) qui a consacré sa vie à l’enseignement et à la promotion de la langue créole.

Autour de ces temps forts, le festival présentera une programmation éclectique. Des spectacles (concert, danse, théâtre) et des moments de partage, des ateliers immersifs (écriture, danse, musique…) et des parcours dans les villes au son du boulagèl.

Propos recueillis par E. Boulard