Face à une criminalité "hors norme" portée par le narcotrafic et la prolifération des armes, les autorités de Guadeloupe et de Martinique tirent la sonnette d'alarme, réclamant des moyens renforcés et une réponse de l'État "à la hauteur de l'urgence".
En Guadeloupe, le premier président et le procureur général de la cour d'appel de Basse-Terre ont alerté mardi, au cours d'une conférence de presse commune, sur la montée spectaculaire des violences.
"Nous faisons face à une vague de criminalité extrêmement violente", a affirmé Michael Janas, premier président, évoquant 27 homicides, 111 tentatives de meurtre et 300 vols à main armée depuis janvier. "Tous les clignotants sont au rouge", a-t-il insisté, appelant à un "sursaut républicain" alors que la Guadeloupe occupe en proportion le 2e rang national pour les homicides, derrière la Guyane.
Et la violence touche de plus en plus de jeunes, avec des mineurs armés dès l'adolescence, dans un climat de tension sociale et de banalisation des armes, alertent les deux magistrats. Le procureur général Eric Maurel évoque des jeunes de "13, 14, 15 ans qui ont des pistolets 9 mm à la ceinture et qui (...) tirent très vite et tuent".
Il s'inquiète aussi d'une évolution des gangs qui dépassent le simple banditisme et "semblent évoluer vers des structurations mafieuses". Ces groupes sont "de plus en plus violents" et cherchent à infiltrer la société civile, voire la sphère politique, a-t-il prévenu, rappelant que la Guadeloupe est aussi "au premier rang des outre-mer pour la corruption".
En Martinique, le phénomène est moins étendu, mais tout aussi préoccupant. Avec 16 homicides depuis le début de l'année, dont 13 par arme à feu, l'île connaît une hausse brutale des violences.
Un triple homicide en plein centre-ville de Fort-de-France, le 11 mai, a marqué les esprits. "La fusillade a eu lieu un dimanche matin, à côté de la cathédrale, à l'heure de la messe", a rappelé à l'AFP le préfet Étienne Desplanques: "Ces trois éléments ont choqué tout le monde, y compris les services de l'État"
Transit inter-îles
Sur les deux territoires, les autorités s'alarment de la circulation massive des armes, sur fond de narcotrafic. Les Antilles françaises sont devenues un point de transit privilégié entre l'Amérique du Sud, les États-Unis et l'Europe.
En avril, le préfet de Martinique rappelait à l'AFP qu'en raison de sa proximité avec les pays producteurs de cocaïne, la Martinique est "en première ligne" du narcotrafic. Plus de la moitié des 54 tonnes de cocaïne saisies en France en 2023 l'ont été dans sa zone de compétence, ajoutait-il.
"Les armes circulent partout: elles sont extrêmement faciles à acheter, elles ne sont pas chères", a renchéri Eric Maurel, évoquant une "extraordinaire porosité" des frontières maritimes, aériennes et terrestres.
Trois modèles d'armes reviennent régulièrement, selon le préfet Desplanques: les pistolets Glock européens "qui transitent par les Etats-Unis", les Taurus brésiliens et l'AR-15, un fusil d'assaut "qui est une arme typiquement états-unienne".
Cela indique "qu'on a véritablement un transit inter-îles, avec deux origines probables: les Etats-Unis et l'Amérique du Sud", dit-il à l'AFP.
Pour tenter d'enrayer ce flux, les forces de l'ordre ont lancé en Martinique l'opération Scotopelia, ciblant les débarquements clandestins. Depuis février, une vingtaine de yoles livrant des munitions ont déjà été arraisonnées. Plus de 90 armes à feu ont été saisies lors d'opérations à terre depuis janvier, ajoute le préfet.
Mais ces actions restent insuffisantes aux yeux des élus. "Je suis horrifiée de ce qui est en train de se passer", confie la députée Béatrice Bellay (PS), dénonçant l'absence de réponse adaptée: "Quand on va en guerre contre les narcotrafics, il faut mettre les moyens qui vont avec".
Même ton du côté de Serge Letchimy, le président du conseil exécutif de Martinique. Dans un courrier adressé début juin à Emmanuel Macron, il fustige des réponses de l'État "trop souvent symboliques" ou "incantatoires", appelant à une action "à la hauteur de l'urgence".
Le narcotrafic "menace de faire s'effondrer les sociétés antillaises et de Guyane par une violence qu'on n'imagine pas", a reconnu début juin sur CNews le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, assurant que la lutte contre le narcotrafic est une priorité du gouvernement.
Sur le plan judiciaire, les chefs de cour de Guadeloupe demandent notamment le renfort de cinq magistrats supplémentaires et la création d'un pôle infra-JIRS (Juridiction interrégionale spécialisée dans la lutte contre la criminalité organisée) à Pointe-à-Pitre.
Avec AFP