Oscar Temaru, président et fondateur du parti indépendantiste Tavini Huira’atira, a voulu faire ce matin une « mise au point » en réaction aux propos de Gérald Darmanin sur l’indépendance. Il dénonce également le projet de « communauté d’archipel » des maires marquisiens qui est, selon lui, « instrumentalisés » par la France. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Le président du Tavini organisait ce vendredi matin avec Antony Géros, numéro 2 du parti et président de l’Assemblée territoriale, une conférence de presse pour une « mise au point », après les propos du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer sur le thème « l’économie d’abord, l’indépendance ensuite ».
La perche était trop belle pour ne pas la saisir, et la vieille garde du Tavini voulait faire entendre la voix du parti qui n’est pas nécessairement, on l’a déjà vu, celle du gouvernement polynésien, mené par Moetai Brotherson, lui aussi cadre du parti mais représentant d’une aile plus « modérée » du parti. « J’aimerais lui dire que si ses parents ou ses grands-parents avaient pensé comme lui, la France serait aujourd’hui allemande. Nos parents ont répondu présent pour libérer la France, et quand on parle nous, ou les Kanak, d’un droit sacré, la France devient sourde », a déclaré Oscar Temaru.
Ce dernier accuse la France de ne pas respecter le droit de la Polynésie d’accéder à sa propre souveraineté et au contrôle de ses ressources, et d’ignorer les résolutions de l’ONU, comme elle l’avait fait, dit-il, en embarquant la Nouvelle-Calédonie dans une série d’accords. « Ils veulent jouer le même jeu qu’avec Jean-Marie Tjibaou, je ne suis pas Jean-Marie Tjibaou, je sais ce qu’il s’est passé en 1986 ».
Communauté d’archipels : des maires marquisiens « instrumentalisés » par la France
Alors que Gérald Darmanin et Philippe Vigier sont pour deux jours aux îles Marquises, le Tavini s’interroge : « Quelle est leur réelle mission aux Marquises ? » et martèle son opposition au projet de communauté d’archipels que défendent les maires marquisiens : « une nouvelle collectivité territoriale directement rattachée à la République française, c’est ça qu’ils veulent », dit Antony Géros, qui attribue à l’influence de l’Église catholique, historiquement proche de la France, la tendance des hakaiki (maires en Marquisien) à se blottir dans le giron de l’Hexagone.
Le président de l’Assemblée locale craint de voir le pays divisé lorsque viendra le temps du référendum d’autodétermination. « Ils sont instrumentalisés ! … cette philosophie politique des colonisateurs, diviser pour régner… », soupire Oscar Temaru. Pour Oscar Temaru, il faut aussi voir dans l’intérêt du gouvernement central pour les Marquises une dimension économique, car c’est « la zone la plus poissonneuse » qui suscite la convoitise de plusieurs pays.
« L’exécutif est là pour exécuter les décisions de l’assemblée », dit Antony Géros
S’il souhaitait faire une petite piqure de rappel idéologique ce matin, Oscar Temaru ne jette pas la pierre à Moetai Brotherson, contraint, dit-il, par la courtoisie qui est attendue de lui dans sa fonction de président face au gouvernement central. « Il fait du bon boulot », dit le patriarche.
Antony Géros est plus sec : « On ne va pas rentrer dans ce débat. L’exécutif est là pour exécuter les décisions de l’assemblée, ils font leur boulot. Ils représentent institutionnellement le Pays, c’est très bien. Nous, nous sommes issus du parti politique, c’est le Tavini qui est aux affaires du Pays, nous avons 38 élus, c’est nous qui prenons les positions politiques ». « N’essayez pas de trouver une faille quelconque là où elle n’existe pas », conclut Oscar Temaru, qui estime que le gouvernement a pris « au moins une bonne décision », la suppression de la « TVA sociale ».
Une « commission de décolonisation » en préparation à l’Assemblée de la Polynésie
Le président de l’assemblée de la Polynésie française s’est également exprimé, lors de la conférence de presse du Tavini ce vendredi matin, sur la commission de la décolonisation qu’il dit vouloir créer dans le cadre de l’Assemblée. Le Tavini a introduit une modification du règlement intérieur de l’assemblée pour pouvoir créer une 10ème commission. Il ne s’agirait que d’une commission consultative, bicéphale, dont l’autre tête serait le président Moetai Brotherson.
Une entorse à la séparation des pouvoirs ? Dans l’esprit de son concepteur, elle ne va pas « rendre de décisions », mais construire les « éléments de langage » des émissaires qui iront à l’ONU. Pour lui donner plus de poids, elle sera pluraliste, affirme Antony Géros, et rassemblera élus Tavini, Tapura (autonomiste) et non-inscrits. « Je pense que lors de la prochaine réunion de la 4ème commission, la France va accepter d’ouvrir le débat sur la décolonisation », dit-il.
Si Gérald Darmanin ne lui a pas répondu catégoriquement sur le sujet de l’éventuelle présence de la France à la prochaine réunion de la 4ème commission de l’ONU, renvoyant le sujet, comme il l’a fait dès son arrivée, au Président de la République, Antony Géros affirme que le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer l’a encouragé à préparer une proposition de modification de la loi organique, et assuré que l’État se saisirait de la question au 2ème semestre 2024, après les Jeux olympiques.
Les trois députés polynésiens sont chargés de préparer cette proposition de loi, et là aussi la fameuse commission pourrait les aider dans leurs travaux préparatoires. On retrouverait dans ce projet de texte, dit Antony Géros, la citoyenneté Ma’ohi, la protection du foncier et des langues polynésiennes.
Caroline Perdrix pour Radio 1 Tahiti