Nouvelle-Calédonie : Que retenir des discours de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher devant le Congrès de l’archipel ?

Nouvelle-Calédonie : Que retenir des discours de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher devant le Congrès de l’archipel ?

Les président(e)s de l'Assemblée nationale et du Sénat ont longuement pris la parole ce mardi matin au Congrès calédonien, devant les élus et bon nombre d'officiels pour rappeler les objectifs de leur mission : faciliter les négociations en vue d'aboutir à « un nouveau projet de société » et de « souveraineté partagée » qui conjuguent désir d'émancipation (pour ne pas dire d'indépendance) et maintien des liens avec la France. Détails de notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes.

C’est la présidente de l’Assemblée nationale qui a d’abord pris la parole, notamment pour souligner le caractère inédit et le but de cette visite : « Ce que la France attend de vous, c’est de construire un avenir apaisé. Tel est le sens de notre mission, qui est à bien des égards historique, car jamais les deux présidents de ces chambres (Assemblée nationale et Sénat) n’avaient réuni leurs forces dans un déplacement conjoint sur cette terre de cicatrices et de lumière […] pour montrer notre attachement et vous témoigner de toute l’attention des institutions », a introduit Yaël Braun-Pivet, qui a rappelé avoir la « Nouvelle-Calédonie chevillée au corps » et s’être déplacée à plusieurs reprises sur le Caillou, notamment à Tiga, en 2017, puis avec Manuel Valls, en 2019. 

C’est pourquoi la parlementaire tient à insister : « La République reconnaît et respecte toutes les voix, toutes les identités », de sorte que « chacun puisse vivre dans une communauté humaine et une communauté de destins », dont les élus locaux sont « les garants » : « C’est à vous de l’écrire, c’est vous qui tenez la plume ». Et ce, même si « le tissu humain de Nouvelle-Calédonie est déchiré » et que son « tissu économique a subi un effondrement sans précédent ».

« Vous pourrez compter sur mon appui pour alléger ce fardeau »

Dans ce contexte, « aujourd’hui, l’urgence est d’abord alimentaire, sanitaire, sociale, lorsque les réfrigérateurs comme les comptes bancaires sont vides. Lorsque même se déplacer relève du défi, comme c’est le cas au Mont-Dore Sud ». Autant de raisons qui poussent la cheffe de l’Assemblée nationale à lancer une promesse : « Vous pourrez compter sur mon appui à chaque fois que les élus calédoniens porteront des amendements qui permettront d’alléger le fardeau de ces milliers d’habitants ».

Yaël Braun-Pivet tient par ailleurs à saluer la « recherche du consensus et de synthèse » qui animent les élus depuis quelque temps, notamment à travers le plan S2R porté par le gouvernement. « Nous ne sommes pas venus pour que vous vous reparliez à nouveau. Vous vous parlez déjà dans cette enceinte (du Congrès). Notre rôle est d’accompagner cette dynamique pour que ces efforts convergent vers un projet commun », poursuit la parlementaire, selon qui cette future « identité plurielle » du pays devra « considérer » les légitimités de chacun : « celle des Kanak qui portent des siècles de mémoires et de souffrances atroces » et « celle des autres communautés qui ont fait de cette terre leur foyer et qui participent depuis longtemps à son destin ».

En clair, le but de cette mission de concertation et de dialogue est donc « d’élaborer une méthode de discussion commune » en vue d’établir une « feuille de route pour les semaines à venir » qui dessinera les « contours d’une future souveraineté dans laquelle chacun trouve sa place ». Sur ce sujet enfin, Yaël Braun-Pivet juge bon de le préciser : « Rien n’est dicté ou dirigé par Paris. Le destin de la Nouvelle-Calédonie est entre vos mains. Nous ne demandons qu’une chose : que ce dialogue se déroule dans cet esprit de responsabilité et de dignité ».

De son côté Gérard Larcher a tout d’abord tenu à l’assurer : « Vous faites partie de la République et vous n’êtes pas abandonnés, même si parfois vous avez pu avoir ce sentiment », lance le président du Sénat, s’adressant bien au-delà de l’hémicycle, à toute la « Calédonie meurtrie » et « qui souffre » : ces « très nombreuses familles précipitées dans le désespoir », ces chefs d’entreprise et personnels de santé « dont le courage et la résilience forcent le respect », sans oublier les forces de l’ordre car « il n’y aura pas d’avenir sans État de droit ».

Des exactions qualifiées de « drame » par le chef du Sénat qui martèle une nouvelle fois le soutien indéfectible de la France : « Il faut que l’État soit aux côtés des Calédoniens et de leurs élus et que la solidarité nationale fonctionne pleinement » tant pour la reconstruction que pour les dépenses sociales et pour le redressement des finances des collectivités. Un sujet qui « n’est pas une affaire de quelques mois ».

« L'enjeu prioritaire du nickel »

Pour autant, Gérard Larcher tient à voir plus loin sur les perspectives économiques du pays, intimement liées au secteur de la mine, lui aussi au bord du gouffre. « J’ai conscience qu’aux conséquences du 13 mai, s’ajoutent celles de la crise du nickel qui affecte les trois usines, pièces maîtresses du rééquilibrage. Les efforts conduits par l’État pour réorienter la filière n’ont pas été couronnés de succès. Sans un rebond rapide, cette crise du principal poumon économique risque de faire disparaître l’industrie métallurgique en Nouvelle-Calédonie », avertit le parlementaire, selon qui « toutes les énergies calédoniennes, du Nord et du Sud, doivent converger avec celles de l’État pour donner un nouvel élan et une ambition renouvelée à cette industrie » qu’il juge « être un enjeu prioritaire ».

Toujours est-il, après « trois décennies d’efforts partagés et de concessions mutuelles », les exactions sont un « terrible retour en arrière » où « les camps se radicalisent avec des discours parfois à l’opposé des notions de respect, de partage et de dialogue ». Autrement dit, l’ensemble des responsables politiques « ont failli ». « Je ne parle pas de responsabilité individuelle, mais de responsabilité collective et je n’exonère pas l’État des siennes », lance Gérard Larcher qui insiste sur la nécessité de (re) localiser le dossier de l'avenir institutionnel. « Le temps calédonien ne peut pas se régler dans les bureaux parisiens. C’est ici que doivent se régler les horloges du dialogue. La clé a toujours été en terre calédonienne. »

Et c’est pourquoi le président du Sénat en est convaincu : les « deux visions antagonistes » des élus calédoniens, au vu de la « gravité de la situation » peuvent passer d’une « confrontation stérile » à « une conjugaison vertueuse »« En vertu de quelle absurde vision de l’histoire, ne pourriez-vous pas faire vivre à la fois les valeurs kanak et les valeurs républicaines ? » interpelle Gérard Larcher, « car c’est bien de cela qu’il s’agit, à partir du moment où ceux qui portent ces valeurs se respectent et veulent progresser ensemble ».

« La Nouvelle-Calédonie, un laboratoire de solutions inédites »

Et ce, à condition pour les vainqueurs des prochaines élections provinciales de se montrer à la hauteur des enjeux en vue de faire « respecter les deux légitimités qui s’expriment sur ce territoire », en réfléchissant notamment à la notion de souveraineté partagée, que le parlementaire avait déjà avancé, dès 2016, lors de son déplacement sur le Caillou. « Dans notre monde, du Pacifique à l’Union européenne, il n’existe que des souverainetés partagées. C’est un choix qui n’est pas nécessairement binaire et qui peut passer par une construction imaginative et originale », insiste Gérard Larcher, selon qui « le défi n’est pas insurmontable » d’autant que « la Nouvelle-Calédonie est un laboratoire de solutions inédites » permettant de « trouver le moyen de concilier aspiration à l’émancipation et liens avec la France » en vue d’aboutir à un « nouveau modèle de société ».

Cinq heures de discussions bilatérales à huis clos

À l’issue de leurs allocutions officielles, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher ont quitté l’hémicycle pour rejoindre une autre salle du Congrès au cours de laquelle, ils ont reçu, à tour de rôle, l’ensemble des groupes et composantes politiques qui siègent au sein de l’institution. Et ce, jusqu’à 15 heures ce mardi (heure locale).

Anthony Tejero pour Les Nouvelles Calédoniennes