C’est l’une des conséquences en cascade des exactions qui frappent le pays depuis deux mois. La province Sud annonce suspendre temporairement dès lundi prochain, l’aide médicale qui prenait en charge les consultations pour les personnes aux plus faibles revenus. Et ce, tant que le gouvernement n’aura pas payé ses dettes. Privée de ces ressources, l’institution assure avoir dû trancher entre payer ses agents ou maintenir ce dispositif concernant plusieurs milliers de personnes qui peuvent néanmoins continuer de se rendre dans les centres médico-sociaux. Nos partenaires des Nouvelles Calédoniennes se sont entretenus avec Sonia Backès, présidente de la province Sud.
Pourquoi avoir pris cette décision de suspendre l’aide médicale en province Sud ?
Cela part d’un problème de trésorerie. Aujourd’hui, l’aide médicale coûte à la province 5,4 milliards de francs par an, qu’on a toujours payé dans les temps. Mais la difficulté, c’est que sur un budget de la province de 59 milliards de francs, aujourd’hui, on a 9 milliards dehors. C’est-à-dire que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie nous doit 8 milliards et la Cafat 1 milliard.
Concrètement, sur le compte de la province ce vendredi 12 juillet, il me reste 1,6 milliard et je dois payer les salaires à la fin du mois qui me coûtent 1,8 milliard de francs. J’ai des autorisations de découvert et des lignes de trésorerie que je vais chercher, mais je ne peux pas continuer de payer l’aide médicale et les salaires. Donc j’ai fait un choix. Je priorise de payer les salaires des agents de la province et je suspends les remboursements de l’aide médicale.
À partir de quand cette décision prendra-t-elle effet ?
Dès lundi 15 juillet. Les actes médicaux réalisés dès la semaine prochaine ne seront donc plus remboursés.
Pouvez-vous rappeler en quoi consiste l’aide médicale ?
C’est comme la Cafat ou le Ruamm, mais cette aide s’adresse aux personnes qui ont un faible revenu. Ce dispositif est une prise en charge par le professionnel de santé de tous les actes médicaux qui lui sont ensuite remboursés par la province.
Prenons l’exemple d’une personne qui va en consultation chez le médecin et qui en a pour 4 300 francs. Jusqu’à présent, il y avait un ticket modérateur de 10 %, donc la personne payait 430 francs et le médecin se faisait rembourser le reste. Mais aujourd’hui, on n’a plus la capacité de rembourser le reste.
Comme la province des Îles ne paye déjà plus cette aide depuis plusieurs mois, on a vu qu’il y a alors deux options. Soit le professionnel de santé ne prend plus en charge les personnes bénéficiant de l’aide médicale, soit ils décident de les prendre en charge, en se disant qu’il sera remboursé un jour, mais pas tout de suite.
Cela signifie que cette décision est temporaire…
C’est une suspension, une mesure de trésorerie liée au fait qu’on ne peut plus payer. Et si un jour, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie rembourse ses dettes ou que l’État nous aide, on pourra de nouveau payer.
Justement, l’aide médicale en province Sud et dans les îles fait l’objet d’un vieux bras de fer avec le gouvernement. Pouvez-vous rappeler les raisons de ce conflit ?
Il y a deux problématiques qui se croisent sur l’aide médicale. Tout d’abord un problème de fond, qui est le point de vue qu’on défend avec Jacques Lalié (le président de la province des Loyauté) et qui est soutenu par le Conseil d’État, à savoir que la compétence de la santé revient à la Nouvelle-Calédonie. Les provinces ne l’exercent que pour le compte du gouvernement, mais sans se faire rembourser. Cela ne peut pas continuer comme ça et ce qui est complètement absurde et qu’on dénonce depuis cinq ans, c’est qu’il y ait 4 systèmes de feuilles de maladie.
C’est-à-dire ?
Concrètement, la personne bénéficiant de l’aide médicale va chez son médecin, qui tape sur son ordinateur la feuille de maladie, imprimée, qui arrive ensuite soit à l’une des trois provinces, soit au Ruamm. Et ensuite, les agents saisissent manuellement la feuille de maladie et remboursent ensuite. Or ce système devrait être une boîte unique pour la Nouvelle-Calédonie avec une carte vitale, où le médecin n’a que les données à rentrer numériquement avant ensuite d’être remboursé.
Si on fusionnait ces 4 systèmes, on économiserait 2 milliards et la carte vitale permettrait d’économiser 20 % des dépenses de maladie. Ça fait cinq ans que je le crie au Congrès. J’ai encore échangé sur ce sujet ce jeudi avec le membre du gouvernement Yannick Slamet qui me dit que j’ai raison. Et je pense qu’il faut utiliser la crise pour le faire maintenant car ce n’est pas très compliqué à mettre en place et cela existe partout dans le monde. Cela ferait faire des économies globales à la Nouvelle-Calédonie, mais pas aux provinces.
Quelle est donc l’autre problématique sur l’aide médicale ?
Le problème immédiat, c’est que 92% des Calédoniens payent des impôts en province Sud qui rentrent à la Nouvelle-Calédonie qui est censée nous en reverser 50%, sauf que la Nouvelle-Calédonie ne nous reverse plus d’argent. Donc le mois dernier, nous avons eu 5,6 milliards de dépenses et le gouvernement ne nous a versé que 700 millions de francs de recettes sur ce qu’il nous doit. En clair, qu’est-ce qui pourrait faire qu’on relance l’aide médicale ? Que le gouvernement paye ses dettes.
Combien de bénéficiaires sont concernés en province Sud ?
Cela représente 26 000 personnes au total dans le pays, avec le Nord et les îles.
Certains Calédoniens risquent de voir cette décision comme une punition directement liée aux exactions. Que leur répondez-vous ?
Non, c’est simplement un problème de trésorerie, on ne peut plus payer l’aide médicale. Cela reviendra quand on pourra payer, il n’y a pas de sujet. Les gens concernés peuvent quand même se faire soigner dans les CMS (centres médico-sociaux) qui n’ont pas été brûlés et où la vie des personnels soignants n’est pas menacée comme à l’île des Pins. Les CMS du Grand Nouméa et de Brousse sont ouverts. Ils seront pris en charge s’ils sont malades tout comme les hospitalisations, donc on ne les abandonne pas pour autant.
Propos recueillis par Anthony Tejero pour Les Nouvelles Calédoniennes