Des drapeaux azerbaïdjanais dans des cortèges à Nouméa, un groupe lié à Bakou soutenant les indépendantistes ultramarins... La Nouvelle-Calédonie, en proie à des émeutes, devient une nouvelle zone de tension entre France et Azerbaïdjan.
Au terme d'une troisième nuit de violences dans le territoire du Pacifique sud, Paris a accusé jeudi Bakou d'ingérence, ce que l'Azerbaïdjan a aussitôt dénoncé. Mercredi, dans un reportage sur la chaîne TF1, certains indépendantistes de l'archipel arboraient des t-shirts floqués de la bannière azerbaïdjanaise. Un signe de l'apparente influence du pays, pourtant très éloigné du Caillou.
En mars, des médias azerbaïdjanais montraient des manifestants néo-calédoniens tenant des photos du président azerbaïdjanais Ilham Aliev à Nouméa. Alors que les relations sont mauvaises entre la France et l'Azerbaïdjan, en raison du soutien de Paris à l'Arménie dans son conflit territorial avec Bakou dans le Haut-Karabakh, la Nouvelle-Calédonie s'annonce comme une nouvelle zone de turbulence bilatérale.
Interrogé jeudi sur d'éventuelles ingérences étrangères en Nouvelle-Calédonie, le ministre français de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a désigné Bakou. « L'Azerbaïdjan, ce n'est pas un fantasme, c'est une réalité », a-t-il déclaré sur France 2, regrettant « qu'une partie des indépendantistes aient fait un deal » avec ce pays. Mais la France, malgré « les tentatives d'ingérences », reste « souveraine chez elle ».
Mémorandum
« Nous démentons tout lien entre les leaders de la lutte pour la liberté calédonienne et l'Azerbaïdjan », a répondu Bakou, fustigeant des « déclarations insultantes », « infondées » et « une campagne de calomnie ». L'ex-colonie française, devenue territoire de la République en 1946, est secouée par de violentes émeutes qui ont fait cinq morts, dont deux gendarmes, et des centaines de blessés.
Paris a instauré l'état d'urgence, déployé l'armée et interdit le réseau social TikTok, dont la maison mère est chinoise, largement utilisé par les émeutiers. Les interrogations de Paris sur l'influence de l'Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie datent de plusieurs mois, mais n'avaient jusqu'ici pas été rendues publiques.
Elles ont été renforcées depuis la signature en avril d'un mémorandum de coopération entre le Congrès de Nouvelle-Calédonie et l'Assemblée nationale azerbaïdjanaise. « Il y a des liens établis, documentés depuis plusieurs mois entre des élus indépendantistes et les autorités azerbaïdjanaises », affirme à l'AFP Bastien Vandendyck, conseiller en communication politique et analyste en relations internationales, résident en Nouvelle-Calédonie.
Depuis Caracas, où il se trouve actuellement pour assister au Comité spécial onusien de la décolonisation (C-24), ce conseiller spécial de Sonia Backès, présidente non indépendantiste de la Province sud de l'archipel, affirme que « pour la première fois depuis la création du C-24, l'Azerbaïdjan est venu y siéger ». Son représentant a selon lui « pris la parole pour critiquer ouvertement la politique française dans les Outre-mer et a été rappelé à l'ordre ».
Le C-24 considère encore la Nouvelle-Calédonie comme l'un des 17 « territoires non autonomes dans le monde », « dont les populations ne s'administrent pas encore complètement par elles-mêmes ». C’est aussi le cas de la Polynésie française, réinscrite sur cette liste depuis mai 2013. Le parti indépendantiste polynésien a par ailleurs également signé un mémorandum avec l’Assemblée azérie, tout en se défendant de soutenir l’Azerbaïdjan dans ses affaires intérieures ou extérieures.
« On en retient uniquement la possibilité pour nous de se faire entendre à l’international », avait assuré une responsable du parti indépendantiste polynésien, aujourd’hui aux affaires de la collectivité. Même discours pour Roch Wamytan, président indépendantiste du Congrès calédonien, qui justifiait ce rapprochement avec l’Azerbaïdjan comme une réponse à la proximité du gouvernement avec une partie des non indépendantistes calédoniens.
La république du Caucase pousse aussi le mouvement indépendantiste kanak via le Groupe d'initiative de Bakou (GIB), un groupe de réflexion et d'influence qui entend notamment « soutenir le combat contre le colonialisme et le néo-colonialisme ». Ce groupe est né en juillet 2023 à Bakou, lors d'une conférence avec les indépendantistes des territoires français de Martinique, Guyane, Nouvelle-Calédonie et Polynésie. Mardi, le GIB condamnait « l'arrestation des Kanak et les actes de violence des autorités françaises contre les civils en Nouvelle-Calédonie ».
« Sel sur les plaies »
L'eurodéputé français Raphaël Glucksmann, qui a présidé une commission du Parlement européen sur les ingérences étrangères, a dénoncé « une tentative d'ingérence » de l'Azerbaïdjan « depuis des mois déjà ». « Ce ne sont pas les acteurs étrangers qui créent la tension (...). Mais ils se saisissent des problèmes internes pour mettre du sel sur les plaies ».
Interrogé jeudi par franceinfo, l’anthropologue au CNRS et spécialiste de l’archipel calédonien Benoît Trépied a estimé que les « discours sur la Chine, l'Azerbaïdjan, ce sont des éléments de langage politico-médiatiques (…), mais c'est évidemment une façon de détourner l'attention sur la responsabilité du gouvernement ». « L’État français s'est tiré une balle dans le pied et ses adversaires politiques en profitent », a-t-il ajouté, dénonçant le « réflexe impérialiste » derrière les propos du locataire de la Place Beauvau.
« La France soutient fortement l’Arménie (…) » dans le conflit dans le Haut-Karabagh, rappelle le spécialiste des questions de défense et de sécurité Alain Bauer, interrogé, lui, par BFMTV. « L’Azerbaïdjan a décidé que, puisque nous nous occupions des affaires arméniennes et donc des affaires azéries de leur point de vue, il n’y avait pas de raison qu’ils n’utilisent pas des moyens de représailles », a-t-il ajouté, sans nier la volonté de l’Azerbaïdjan d’être « une puissance ingérante » dans les « affaires de la France et de territoires d’Outre-mer ».
Une source gouvernementale a fait état à l'AFP d'une « manœuvre » lancée mercredi par Bakou, avec la diffusion d' « un montage montrant successivement deux policiers blancs avec des fusils (...) puis des Kanaks morts ». « C'est une campagne assez massive, avec environ 4 000 publications générées par (ces) comptes », a ajouté cette source. « Ils réutilisent les codes déjà employés lors d'une précédente campagne de dénigrement baptisée Olympia ».
En novembre, la France avait déjà accusé des acteurs liés à l'Azerbaïdjan d'avoir mené une campagne de désinformation visant à discréditer sa capacité à accueillir les Jeux olympiques à Paris. Bakou avait aussi rejeté ces accusations.
Avec AFP