Lors de ses vœux aux membres du Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec), le président de la Polynésie a annoncé un plan d’urgence doté d’une enveloppe « jamais vue » pour lutter contre la méthamphétamine, appelée « ice » localement, fléau dans la Collectivité du Pacifique.
Le président du gouvernement, Moetai Brotherson, a finalement présenté ses vœux au Cesec ce lundi. Dans son discours, qu’il a commencé en souhaitant aux représentants une « bonne année du serpent de bois et non de la langue de bois », le président du Pays a d’abord salué le travail des membres du conseil, qu’il considère comme « un élément important de notre démocratie ».
Il en a aussi profité pour saluer leur capacité d’auto-saisine avant d’évoquer brièvement les concertations menées ou à compléter sur la réforme de la PSG et la réforme fiscale, qui doivent être mises en œuvre cette année. Mais c’est surtout la lutte contre l’ice qui a été au centre de son discours. Une problématique qui doit être une « urgence nationale », comme l’a répété plusieurs fois l’élu indépendantiste, dont les compétences se limitent plutôt au Pays.
Des crédits conséquents
« Cela va se traduire, lors du prochain collectif budgétaire, par la mise en place de crédits conséquents pour financer des actions de communication et de prévention, apporter de l’aide aux associations, mais aussi étudier l’amélioration des dispositifs de prise en charge médicalisée et explorer certaines possibilités pour le sevrage des personnes addictes », explique le président.
Il s’agirait d’une enveloppe « jamais vue » dans ce domaine, pas directement évoquée dans le discours, mais qui tournerait autour de 100 millions de Fcfp d’après Tahiti infos. Le Président ne s’est pas étendu avec précision sur les leviers d’action qui avaient été choisis, le nom des éventuelles associations qui pourraient bénéficier de ces aides, et n’avance que très peu de détails sur les projets qui seront lancés… Il lance toutefois « un appel à contribution » auprès des représentants de la société civile, réunis au sein du Cesec.
Augmenter le quantum des peines
Le président du Pays parle d’un « effort collectif et sociétal » pour faire face à une « problématique que le gouvernement ne peut pas résoudre seul ». Il a pourtant une partie des clés du problème, au travers de ses compétences en matière de jeunesse, d’éducation, de santé, et plus globalement de prévention.
Des compétences dont beaucoup de spécialistes du sujet, du côté des services de l’État notamment, estiment, même si la diplomatie institutionnelle éloigne souvent ce genre de considérations des micros, qu’elles ne sont pas assez mises en œuvre en ce qui concerne la lutte contre l’ice et les addictions de façon générale.
Moetai Brotherson, lui, n’hésite pas à pointer dans l’autre sens, et en appelle au Haut-commissaire Éric Spitz, à qui il a déjà fait savoir que « ce qui est fait aujourd’hui n’est pas suffisant ». Tout en félicitant les services de l’État pour les saisies réalisées ces derniers jours, il s’interroge sur ce qui passe au travers des mailles du filet.
Le discours s’adressait aussi, en creux, aux magistrats et au ministère de la Justice, puisque le président estime que les trafiquants ne peuvent être dissuadés qu’en augmentant les peines encourues ou réellement fixées par les tribunaux. Une initiative qui risque d’être diversement accueillie par les avocats dont certains ont plusieurs fois dénoncé le fait que les peines prononcées en Polynésie sont déjà plus lourdes qu’au niveau national.
Qu’importe pour le président du pays qui précise qu’un vœu en ce sens sera formulé lors du prochain Conseil des ministres délocalisé, prévu ce mercredi à Raivavae, aux îles Australes. « Je ne sais pas si cela aboutira, mais nous comptons sur l’Assemblée pour relayer cette demande, ainsi que sur nos parlementaires pour porter ce sujet à Paris », affirme-t-il.
Des conseillers séduits
Des annonces imprécises, voire incertaines, qui ont toutefois fait réagir de nombreux représentants, unanimement favorables à ces initiatives. Parmi eux, Maiana Bambridge, responsable sociale de la Croix-Rouge, y voit une opportunité de poursuivre son programme de prévention des addictions, Turumono.
Ce programme, lancé en 2015, mis en sommeil en 2017, puis relancé en 2022, avait été arrêté l’an dernier, un an avant son terme. « On ne va pas gâcher les quelques personnes qui sont allées se former en France pour la prise en charge des addictions alors qu’elles sont là. On cherche des solutions et on essaie d’avancer. Donc, pour moi, c’est une grande satisfaction que des moyens soient consacrés à la guerre contre l’ice », se réjouit-elle.
Mere Trouillet, de la Fédération générale du commerce, Martine Nesa, représentante des pensions de famille, ou encore Christophe Plée, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, ont également exprimé leur soutien aux projets et à la volonté de fermeté du président. Ce dernier va même jusqu’à soupçonner qu’il pourrait « exister des choses ici pour fabriquer » de l’ice, une hypothèse qui -en ce qui concerne la production à grande échelle en tout cas- est régulièrement écartée par les enquêteurs spécialisés.
Tous les conseillers s’accordent à dire que le fléau de l’ice est une problématique de taille, qui nécessitera de gros moyens. Le Pays semble prêt à les mobiliser… mais il faudra attendre l’annonce des mesures concrètes. Moetai Brotherson a d’ailleurs prévenu que le Cesec serait sollicité sur plusieurs projets liés à cette lutte dans les mois à venir.
Vaitiare Pereyre pour Radio 1 Tahiti