Les "verrous" sont partiellement levés sur la portion de route bordant le fief indépendantiste de Saint-Louis, en Nouvelle-Calédonie. Mais pas toutes les inquiétudes, malgré le soulagement qui accompagne la reprise de la circulation sur cet axe stratégique, devenu le symbole d'un archipel divisé.
"Je n'ai pas d'appréhension, j'y vais cool", assure Morgan (il n'a pas donné son nom de famille, comme tous les Calédoniens interrogés), 54 ans, qui s'élance au volant de son camion sur cette route rouverte samedi après deux mois de fermeture en raison de l'insécurité qui y règne.
L'habitant du Mont-Dore, commune de l'extrême sud qui était depuis la fermeture coupée du reste de l'île, voit comme une "libération" la reprise de la circulation, encadrée par un important dispositif sécuritaire. Depuis des semaines, les Montdoriens dépendaient de navettes maritimes s'ils voulaient rallier la capitale, Nouméa.
Fin juillet, l'axe avait été fermé par les forces de l'ordre: en un mois, 56 automobilistes y avaient été victimes de car-jacking le long de la tribu de Saint-Louis, dernier point chaud depuis le soulèvement indépendantiste de mai. Les gendarmes ont eux essuyé plus de 300 coups de feu depuis les émeutes, qui avaient culminé avec la mort sur cette route d'un gendarme de 22 ans le 15 mai.
Depuis, les quelque 15.000 habitants du Mont-Dore et Yaté étaient isolés du reste de la Grande Terre."Nous sommes soulagées que la circulation puisse reprendre. Le bateau, ça va un moment...", se félicitent Magali, 32 ans et Shadia, 33 ans, toutes deux habitantes de la Coulée, un quartier du Mont-Dore sud.
Les deux femmes, qui s'estiment en parfaite sécurité, déplorent néanmoins des temps d'attente qui peuvent dépasser l'heure. Par convoi de 13 voitures, sous l'étroite surveillance de la gendarmerie, la circulation a repris de manière très progressive.
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Construire "l'avenir"
Environ 350 véhicules ont emprunté la route lundi, 700 mardi, contre plusieurs milliers d'ordinaire. "Il y a un très gros dispositif ostensible pour que tous les gens du Mont-Dore sud reprennent confiance et retrouvent une vie normale", explique à l'AFP le colonel Pierre Baillargeat, commandant en second de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie, précisant que le travail de médiation avec les autorités coutumières de la tribu se poursuit.
Dès la réouverture de l'axe samedi, un nouveau car-jacking a forcé les autorités à renforcer le dispositif sécuritaire. Près de 150 gendarmes sont mobilisés pour assurer les convois, de 6H00 à 9H00 puis de 15H00 à 18H00, ainsi que des membres du GIGN, unité d'élite de la gendarmerie.
La route est jalonnée de forces de l'ordre et, environ tous les 200 mètres, de Centaures, les nouveaux véhicules blindés de la gendarmerie.
Au débarcadère des navettes maritimes, l'affluence n'a diminué que très légèrement, estime Marie, qui accueille les Montdoriens avant l'embarquement.
"Je ne m'aventurerais pas sur la route. Il y a un mois, nous avons été caillassés alors que nous étions dans un convoi sécurisé. Les vidéos des gens qui traversent sont anxiogènes", juge-t-elle, résumant un avis encore largement partagé. "J'irai quand les témoignages sur les réseaux sociaux diront que c'est sécurisé et quand le haut-commissaire (de la République, représentant de l'Etat dans l'archipel, NDLR) dira que tout est réglé".
Pour un autre Montdorien, qui s'exprime sous couvert d'anonymat, la réouverture de la route ne doit pas faire oublier que "la seule solution, c'est le viaduc": une référence au projet de route qui doit contourner la tribu de Saint-Louis. Les convois, dit-il, "donnent l'impression que la guerre est finie, mais c'est loin d'être le cas !"
Dans le fief indépendantiste, certains considèrent également cette reprise prématurée. "C'est trop tôt", témoigne Brigitte, une mère de 29 ans. Même si le "verrou" des forces de l'ordre, qui forçait les habitants à circuler à pied sur plusieurs kilomètres "complique beaucoup notre organisation", elle "comprend pourquoi les jeunes font ça". "C'est une lutte que je partage alors je ne suis pas contre eux".
La réouverture est une "nécessité" pour "retrouver une vie normale", juge Louis, un sexagénaire vivant à la tribu. Pour lui, le temps est désormais à la "construction de l'avenir".
Avec AFP