Mayotte : Le « Mawlida shenge » classé au Patrimoine culturel immatériel (PCI) national

Mayotte : Le « Mawlida shenge » classé au Patrimoine culturel immatériel (PCI) national

Le 27 juin dernier, la direction générale des patrimoines et de l’architecture du ministère de la Culture a inscrit le « Mawlida shenge » (une pratique sociale et spirituelle de tradition soufie comprenant toute une organisation sociale, du chant, de la musique, de la danse pouvant aller jusqu’à la transe) à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Une grande première pour le 101ème département et surtout une immense fierté pour ceux qui ont porté cette reconnaissance à l’échelle nationale. Notre partenaire Mayotte Hebdo / Flash Info s’est entretenu avec Zouhourya Mouayad Ben, la quatrième vice-présidente du conseil départemental en charge des sports, de la culture et de la jeunesse, et Abdoul Karim Saïd, le directeur du Muma (Musée de Mayotte).

Mayotte Hebdo / Flash Infos : Le « mawlida shenge » a rejoint fin juin la liste du patrimoine culturel immatériel. Comment s’est déroulée cette démarche ? Et pourquoi avoir proposé cette pratique sociale et spirituelle de tradition soufie ?

Abdoul Karim Saïd : Tout a commencé en 2019 sur une idée de Thomas Mouzard, chargé de mission pour le patrimoine culturel immatériel au ministère de la Culture, qui est venu en mission à Mayotte dans le but de nous sensibiliser les principaux intéressés à cet enjeu et à l’inscription. Il a alors formé une quinzaine de personnes. Une semaine plus tard, il a contacté Éric Alendroit qui a l’habitude de travailler avec La Réunion et qui a déjà inscrit « le maloya » par le passé, pour lui proposer d’inclure dans ses formations des agents de Mayotte. Il est ensuite venu deux fois sur le territoire pour la rédaction des fiches. Celle du « mawlida shenge », rédigée par Achoura Boinaïdi, la cheffe de service en charge de la recherche et de la conservation au MuMA, a duré un an et demi en comptant une dizaine d’aller-retour entre nous et les personnes filtres et a été déposée en novembre 2021. Puis, nous avons reçu un avis favorable au début de l’année 2022.

Zouhourya Mouayad Ben : Cette nomination est une très bonne nouvelle pour Mayotte dans son ensemble. Les Mahorais l’attendaient depuis longtemps puisque c’est une manière d’honorer nos anciens. En recevant la notification, j’ai immédiatement pensé à nos parents et à nos grands-parents qui ont pratiqué ce chant et cette danse religieux. Je suis très émue rien qu’en en parlant, c’est magnifique… C’est tout simplement une chance énorme dans le sens où cela permet de parler de l’île autrement que sous la coupe de la violence et de l’immigration clandestine.

Il s’agit ici du premier élément du patrimoine de l’île à figurer dans la liste du PCI du ministère de la culture. Concrètement, qu’est-ce que cela peut changer pour Mayotte ?

Z. M. B. : Il y a cette reconnaissance aussi bien à l’échelle nationale que régionale dans le sens où nous apportons notre richesse culturelle à la France. Il y aura un peu plus de visibilité pour notre territoire. Les potentiels touristes qui chercheront notre destination sur Internet apprendront que le « mawlida shenge » est une pratique culturelle et spirituelle de Mayotte qui rassemble des hommes et des femmes, même s’il y a une petite séparation entre les deux groupes. Assurément, cela va nous apporter une ouverture vers l’internationale !

Plus largement, le département a-t-il l’ambition de présenter d’autres dossiers dans un avenir plus ou moins proche ?

Z. M. B. : Nous avons au sein du Département d’autres dossiers en cours, notamment celui concernant le lagon qui est l’un des plus beaux du monde. Même si nous rencontrons quelques difficultés, il se trouve déjà entre les mains du ministère de la culture.

A. K. S. : Au niveau du Muma, nous comptons présenter prochainement le « debaa » (un mélange de danse, de musique et de chant traditionnels pratiqué exclusivement par les femmes). Nous sommes actuellement à 80% de la rédaction. C’est un travail de longue haleine, cela ne se fait pas en un claquement de doigts puisqu’il faut répondre à un cahier des charges précis dans lequel nous revenons sur l’historique de la pratique, sur sa fonction, sur son rôle, sur les différentes communautés mobilisées, celles qui la jouent et celles qui en bénéficient. Sans oublier les faiblesses et les risques de disparition. Il y a énormément de rubriques à renseigner, il faut que tout soit cohérent !

Toute personne intéressée peut présenter une fiche, des gens comme vous et moi, des associations, des praticiens… C’est le cas pour le « mbiwi » qui est actuellement en phase d’études et le « shigoma » qui est en cours de rédaction.

Z. M. B. : Nous avons énormément de chants et de danses qui ne demandent qu’à être valorisés et à être reconnus aux yeux de tous !

Propos recueillis par Mayotte Hebdo

Ci-dessous le communiqué du Département :

Le Conseil départemental salue l’inscription, de façon officielle, du mawlida shenge dans la liste du patrimoine culturel immatériel (PCI) national, faisant suite à un dossier soumis et présenté par le MuMA.  

« C’est une vraie reconnaissance de ce travail de qualité » salue le président Ben Issa Ousseni, « heureux de cette bonne nouvelle, qui s’inscrit dans la volonté portée par le Département de mettre en avant les pratiques vivantes dont la mémoire est essentielle ». Le patrimoine culturel immatériel (PCI) est une catégorie de patrimoine issue de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel adoptée par l’UNESCO en 2003.

Il s’agit du 1 er élément du patrimoine de l’île de Mayotte à figurer dans la liste du PCI du ministère de la Culture, une fierté pour Mayotte entière et pour les pratiquants de cet art qui constitue une expression tout aussi culturelle, spirituelle qu’artistique, pour cette tradition qui joue une fonction autant symbolique qu’emblématique. Lancé en mars 2008, l’Inventaire national du Patrimoine culturel immatériel vise à répertorier des pratiques vivantes grâce à l’aide de communautés, de groupes et d’individus. Il a pour objectif de répondre aux obligations de la Convention UNESCO, mais il fournit également un outil de connaissance pour les publics.

L’inclusion à l’Inventaire national se fait par le biais d’enquêtes réalisées avec la collaboration des communautés faisant vivre un Patrimoine culturel immatériel (PCI), en partenariat avec des organismes de recherches et des associations culturelles à la demande des communautés patrimoniales.  La demande d’inclusion en vue de la sauvegarde est soumise au comité du Patrimoine ethnologique et immatériel du ministère de la Culture. Un label national est désormais attribué à cette discipline.

La vice-présidente en charge de la culture Zouhourya Mouayad Ben « se félicite de cette distinction importante pour Mayotte, salue le MuMA en charge de cette candidature et du dépôt de ce dossier. Transmises de bouche à oreille, ces traditions connaissent, selon le contexte et l’artiste, d’importantes variations (imitation, improvisation, création) et sont souvent fragiles » note-t-elle, pour souligner l’importance de cette distinction. Une réception sera programmée pour fêter cette distinction avec les équipes du musée et de la DGA population. D’autre part, le samedi du MuMA du mois du 26 novembre 2022 sera consacré à la célébration de cette inscription, en présence de professionnels et de praticiens du shenge.

Rappelons que le Mawlida shenge est une pratique sociale et spirituelle de tradition soufie. C’est un ensemble indissociable comprenant toute une organisation sociale, du chant, de la musique, de la danse pouvant aller jusqu’à la transe et qui combine différentes esthétiques tant chez les femmes et les hommes. La pratique du Mawlida shenge se fait avec les hommes et les femmes dans le même lieu, le plus souvent sur la place publique. Hommes et femmes ont chacun des espaces et rôles distincts et non interchangeables.

La pratique concerne toutes les générations. La transmission est initiée au sein des écoles coraniques, par l’apprentissage des kaswida. De plus en plus de jeunes pratiquent désormais cette discipline jusqu’alors « réservée » à des gens plus âgés.