Depuis plusieurs années, la France tente d’affiner sa stratégie diplomatique et militaire dans l’immense zone indopacifique. Un nouveau rapport de l’Institut français des relations internationales (Ifri), écrit par deux spécialistes de la question, Jérémy Bachelier et Céline Pajon, fournit un éclairage inédit prenant en compte l’importance géostratégique des territoires français d’Outre-mer.
Pacte de sécurité AUKUS signé entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni en septembre 2021, rivalité sino-américaine montant en intensité et augmentant la probabilité d’un affrontement dans la zone, tensions inter-étatiques régionales, expansion chinoise… Face à ces défis, l’étude de l’Ifri (La France dans l’Indopacifique. Pour une posture stratégique pragmatique) « plaide pour un recalibrage de la posture stratégique de la France dans l’Indopacifique, fondé sur un recadrage réaliste des ambitions et une analyse de ses intérêts fondamentaux et des menaces qui pèsent sur eux ».
Les auteurs identifient quatre zones à haut risque de conflit qui pourraient nuire aux intérêts français et européens : le détroit de Taïwan, la mer de Chine méridionale, le pourtour de la péninsule coréenne et le nord de l’océan Indien (autour de la question iranienne). « Ces crises potentielles en Indopacifique impacteraient fortement le transport maritime, l’approvisionnement énergétique et le flux numérique et poseraient à la France a minima un triple défi : la protection de ses territoires ultramarins et de ses ressortissants, la sécurisation des flux maritimes ainsi que la crédibilité de son rôle de puissance au sein de l’Indopacifique et plus largement la préservation de son statut sur l’échiquier international », souligne le rapport.
Face à ces enjeux, les auteurs préconisent plus de pragmatisme, et en particulier une coordination systématique avec les territoires d’Outre-mer pour la définition et la mise en œuvre de l’approche indopacifique de l’Etat. « Jusqu’alors, la stratégie conçue à Paris était diffusée Outre-mer sans consultation, engendrant confusion et malentendus. Les collectivités disposent aujourd’hui de compétences importantes en matière de gestion de leurs ZEE (gestion environnementale et création de parcs marins notamment). Elles se sont engagées activement dans l’exercice de ces compétences. La stratégie indopacifique de la France doit se construire en concertation étroite avec les collectivités élues », écrivent-ils.
L’étude évoque des pistes comme une intégration plus forte des collectivités territoriales aux actions scientifiques ou humanitaires menées par les forces armées, un renforcement des dispositifs du service militaire adapté en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, à La Réunion et à Mayotte, qui, aujourd’hui exclusivement terrestre, « pourrait gagner à être élargi à l’interarmées pour proposer des formations adaptées aux réalités locales », et une meilleure intégration régionale des collectivités, avec des compétences accrues en matière de coopération régionale voire internationale.
Les auteurs relèvent également que « le gouvernement devrait ‘acclimater’ sa stratégie indopacifique en prenant en compte les préoccupations de sécurité de ses territoires ultramarins, centrées sur l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, plutôt que sur les rivalités de puissance et s’engager dans une démarche de cogestion de cette stratégie avec les collectivités locales ». Il est en effet indispensable d’anticiper ces risques et de mettre en place des mesures d’adaptation, ou d’atténuation, aux bouleversements climatiques dorénavant inéluctables.
L’étude précise par ailleurs que la France devrait aborder son histoire coloniale avec honnêteté et transparence dans la région, « car sa légitimité à agir et sa crédibilité dans l’Indopacifique découlent en grande partie de ses territoires ultramarins ». Ce narratif à destination du « Sud global » permettrait ainsi à Paris de mieux assumer sa position dans l’Indopacifique et enverrait un signal positif à des populations de plus en plus séduites par les rhétoriques anti-occidentales de la Chine et de la Russie. Une stratégie psychologique et culturelle visant à contrebalancer des perceptions parfois négatives de l’influence hexagonale dans la zone.
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Le rapport formule plusieurs recommandations visant à clarifier et rationaliser la position française dans l’Indopacifique. Sur le plan diplomatique, il s’agirait notamment de « renforcer la coordination avec les collectivités d’Outre-mer, en prenant en compte leurs préoccupations et en les intégrant à la définition et la mise en œuvre de la stratégie française en Indopacifique », et de « repenser le mode de représentation des territoires d’Outre-mer dans les organisations régionales et dialogues internationaux ».
Concernant la dimension militaire, les auteurs préconisent entre autre « d’ajuster et simplifier la gouvernance interarmées en Asie Pacifique par une redéfinition des zones de responsabilité des autorités militaires » et « d’améliorer les capacités des forces de souveraineté en positionnant dans les meilleurs délais des bâtiments de surface dotés de capacités accrues, notamment en matière de lutte anti-sous-marine, et en développant une filière drone de surface comme sous-marine, permettant d’améliorer la surveillance de l’immense domaine maritime français en Indopacifique ».
► IFRI : La France dans l’Indopacifique. Pour une posture stratégique pragmatique
PM