Signature d’un accord entre les ministres des Affaires étrangères français et comorien, en juillet 2019 ©MEAE / Judith Litvine / Actualités diplomatiques (archives)
Aujourd’hui se tient une réunion bilatérale entre le France et les Comores en visioconférence depuis le Quai d’Orsay et le Palais de Beit Salam. Il s’agissait au départ d’une réunion de type Comité de Haut Niveau, elle devait se tenir en présence des élus mahorais qui ont refusé la semaine dernière d’y assister. Depuis leur position fait couler beaucoup d’encre. Un sujet de notre partenaire France Mayotte Matin.
Alors faut-il y aller ou ne faut-il pas ? Les avis sont partagés. Du côté des élus, la position est assez claire et elle tombe comme un couperet par la bouche du sénateur Thani Mohamed Soilihi : « nous étions tous très contents de l’Accord Cadre de juillet 2019, c’était un bon accord, nous l’avions encouragé en participant notamment à sa rédaction. Les contreparties prévues étaient fortes, ça pouvait marcher. Mais là, Les Comores n’en font qu’à leur tête et ne respectent rien ; ne pas y aller c’est ne pas être complice de cet irrespect flagrant de ce qui a été signé » explique le Sénateur, très remonté, avant de poursuivre « à plusieurs reprises j’ai dit qu’il fallait dénoncer cet accord car il n’est pas respecté et n’a plus de sens. Ce n’est pas ce qui est en train de se passer donc stop ».
Il est vrai que tous les jours les kwassas continuent d’arriver sur nos plages transportant, personnes valides, malades et produits de contrebande. Même si l’État a mis des moyens nouveaux pour tenter d’arrêter les embarcations, certains parviennent quand même à passer ce qui prouve que la pression en provenance d’Anjouan est énorme. Le Sénateur Thani rappelle que les conséquences de l’immigration clandestine sont importantes pour Mayotte, ne pas assister à cette réunion c’est montrer aux Affaires étrangères que le compte n’y est pas.
Les kwassas qui arrivent ces derniers jours comptent la plupart du temps des personnes malades selon les témoins, la situation sanitaire de Mayotte est en partie liée à ces traversées illégales, les conséquences économiques de ce nouveau confinement devront être assumées par Mayotte … les grands élus de notre île ont décidé de ne plus cautionner la situation. Les positions des deux collectifs des citoyens de Mayotte ne sont pas tout à fait les mêmes quant à la situation. D’un côté Estelle Youssouffa dénonce la politique de la chaise vide et demande à ce que les élus défendent Mayotte. De l’autre côté, Mahamoud Azihary, soutient la position des élus de Mayotte : marquer les esprits pour faire changer les choses.
Les diplomates du quai d’Orsay seront donc tout seul au micro de la négociation, un vrai retournement de situation à assumer… Le Comité de Haut Niveau s’est transformé en réunion bilatérale, la réunion avec les honneurs au quai d’Orsay s’est transformée en visio. Selon le Ministère des Outre-Mer, deux points principaux sont inscrits à l’ordre du jour de cette réunion : le prolongement des reconduites à la frontière coûte que coûte pendant cette période de crise sanitaire, elles sont, en effet, indispensables à la sécurité à Mayotte.
On se souvient des conséquences pour notre département de la suspension de la possibilité pour les bateaux de la SGTM d’accoster à Anjouan au premier semestre dernier : un sentiment d’impunité pour les délinquants qui se sont autorisés des passages à l’acte que la peur de la reconduite freinait jusque-là. Le GAO avait déserté les rues et les quartiers, laissant les voyous en prendre possession avec détermination. Le quai d’Orsay devra composer avec cette attente de bon sens pour Mayotte et aura des comptes à rendre au MOM et au Ministère de l’Intérieur s’il n’obtient pas gain de cause.
L’autre sujet à l’ordre du jour c’est la situation sanitaire sur les trois îles de l’Union des Comores qui semble selon les témoignages sur les réseaux sociaux hors de contrôle avec un système de santé qui peine à prodiguer des soins à une population très touchée par le Covid-19. Accompagner l’Union des Comores à gérer la pandémie c’est aussi réduire les risques de l’introduction quotidienne de nouveaux cas de personnes fuyant leur pays via Anjouan pour tenter de trouver des soins.
Enfin, les deux ministères des Affaires étrangères et des Outre-Mer attendent des excuses plus officielles du Gouvernement comorien suite aux agissements du Gouverneur d’Anjouan. Anissi Chamsidine avait en fin de semaine dernière pris un arrêté pour interrompre la possibilité aux bateaux en provenance de Mayotte d’accoster avant d’appeler les comoriens à envahir Mayotte. Beit Salam n’a pas suffisamment pris ses distances avec le gouverneur anjouanais selon les autorités françaises.
De coopération régionale dans cette réunion, il n’en sera pas question puisqu’il ne s’agit pas d’un Comité de Haut Niveau de suivi de l’accord cadre, mais plutôt une réunion pour rappeler à Moroni de respecter les engagements pris et de les tenir dans la durée. En effet, dès l’automne 2019, les autorités françaises reconnaissaient un effort des Comoriens pour empêcher les Africains de venir à Mayotte via l’Union des Comores, l’effort n’aura été que de courte durée ; les autorités comoriennes reconnaissant qu’elles ne parviennent plus à réguler les flux et qu’elles font face, elles aussi, à une pression migratoire conséquente.
Les élus mahorais chercheraient donc par ce tour de force à recadrer Moroni sur ses engagements et la nécessité de les respecter avant de reparler plus avant de coopération régionale. C’est une position claire et qui est soutenue par l’ensemble des élus mahorais sans dissonance politique. Le vrai risque c’est l’adhésion du Quai d’Orsay à cette position sur laquelle le Ministère des Outre-Mer et les élus se retrouvent : la diplomatie française n’en faisant quelque fois qu’à sa tête. Le second risque, c’est la volonté de l’Union des Comores d’agir … Là encore les voltefaces aussi fréquentes qu’inexplicables laissent planer le doute sur ce qui sortira de cette réunion…
Anne Constance Onghéna pour France Mayotte Matin