Alors que l’épidémie de chikungunya progresse à Mayotte, après avoir sévi à La Réunion, les actions de prévention se multiplient, notamment dans les quartiers informels. Propices à la propagation du virus, les bidonvilles mahorais sont toutefois encore sous le choc du cyclone Chido, et prennent le risque avec recul.
Sur les hauteurs du quartier de Coconi, à Longoni, dans le nord de Mayotte, Tayfina Noa baisse la musique en entendant frapper à la porte de son logement en tôle. Un enfant dans les bras, un autre accroché à sa jupe, elle ouvre avec le sourire. Face à elle, quatre membres de l'ONG Médecins du Monde sont venus parler du chikungunya, virus transmis par le moustique tigre et désormais bien installé sur le territoire français de l'océan Indien.
Avant chaque tournée, les bénévoles sont briefés. « L'idée est de parler du chikungunya, des symptômes et de ce qu'on peut faire pour éviter la maladie », explique Caroline Codet, superviseuse santé chez Médecins du Monde.
Mayotte est entrée en phase épidémique le 27 mai, avec plus de 740 cas confirmés depuis le début de l'année. Un chiffre sans doute « sous-estimé », estime Hassani Youssouf, épidémiologiste à la cellule régionale de Santé publique France (SPF). « Les tests biologiques sont suspendus aux urgences pour éviter la surcharge du labo, et l'accès aux soins reste difficile dans les zones précaires. Ces éléments contribuent à une sous-déclaration probable », notait d'ailleurs SPF dans son rapport du 27 mai.
Mais dans ce quartier informel, la menace sanitaire ne suscite guère d'inquiétude apparente. « On en a entendu parler », lâche Tayfina Noa, 24 ans. « Mais ici, on est en hauteur, il y a du vent. J'ai eu la dengue en 2019, ça ne me fait pas peur ».
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Son voisinage partage ce détachement. Mahadali Hidaïa, 20 ans, parle plutôt du cyclone Chido qui a balayé Mayotte le 14 décembre. « On a perdu tous nos habits, les passeports des enfants, on a dormi dehors longtemps », rappelle-t-elle. Lors des passages de Médecins du Monde, les habitants réclament surtout des préservatifs ou des « aqua tabs » pour rendre potable l'eau de la rivière, qu'ils boivent faute d'alternative.
La plupart adoptent tout de même des gestes de prévention. « Les plus précaires sont aussi ceux qui ont le plus l'habitude de se protéger », souligne Julie Durand, directrice adjointe de la santé publique à Mayotte. Vêtements longs, sprays répulsifs... Des gestes simples, généralement respectés.
Des feuilles de papaye contre le virus
Seule Majani Baraka, installée en bas du bidonville, dit avoir attrapé le virus avec son mari et ses enfants. « On s'est soignés avec des feuilles de papaye et de citron », raconte-t-elle en se faisant tresser, visiblement peu impressionnée par la maladie. Le chikungunya provoque de fortes fièvres, des douleurs articulaires parfois durables et une fatigue intense. Mais à Mayotte, il est souvent perçu comme un moindre mal face aux autres urgences du quotidien.
Sur l'île de La Réunion, l'épidémie a frappé plus tôt, tuant au moins 20 personnes et touchant près du quart de la population, selon des estimations. Là aussi, la maladie n'avait pas provoqué de vague d'angoisse jusqu'à une flambée de cas en mars. Et certains malades n'en sortent pas indemnes. « Ma femme est toujours sous cortisone plusieurs semaines après avoir attrapé la maladie », dit Jérôme, 57 ans, qui habite l'ouest de l'île. Elena, 27 ans, souffre toujours « de douleurs aux poignets et aux chevilles » qui l'empêchent de courir, deux mois après l'infection.
À Mayotte, la campagne vaccinale a repris après une suspension fin avril liée à trois effets indésirables graves - dont un décès à La Réunion. Désormais, seules les personnes de 18 à 64 ans avec comorbidité sont éligibles. Les plus de 65 ans ont été exclus du dispositif.
Mais la reprise est timide à Mayotte. « Moins d'une dizaine de doses ont été administrées » en une semaine, constate Hassani Youssouf. L'épidémiologiste redoute désormais que le virus ne continue à circuler pendant la saison sèche. Et surtout, qu'il explose avec le retour des pluies, en novembre. « C'est ce qu'il s'est passé en 2005-2006, lors de la dernière grosse épidémie », rappelle-t-il.
Avec AFP