Un cycle de conférences et une revue consacrés aux sociétés, cultures et politiques en Outre-mer

Un cycle de conférences et une revue consacrés aux sociétés, cultures et politiques en Outre-mer

Le programme « Sociétés, cultures et politiques », dirigé par Florence Faberon, Professeure de droit public à l’Université de Guyane, membre du Laboratoire Migrations, interculturalité et éducation en Amazonie, a pour ambition de traiter des sujets de manière plurielle et de confronter différents éclairages afin de nourrir, stimuler les débats autour de nos sociétés. Le premier numéro, paru aux Editions Recherches sur la Cohésion Sociale en décembre 2020, propose de s’intérroger sur la Guyane à travers le principe d’autochtonie, de décolonisation, ou encore le régime de cultes en Guyane. Florence Faberon vous propose un avant-goût de ce nouveau programme et la nouvelle revue.

Un cycle de conférences : une dynamique de débats entreprenante

Sociétés, cultures et politiques est un programme de recherches et de débats basé sur un cycle de conférences, à distance ou en mode hybride, pluridisciplinaire et appliqué portée par l’Université de Guyane, son département Sciences juridiques et économiques et son laboratoire Migrations, interculturalité et éducation en Amazonie (MINEA). Le programme, par l’organisation de temps scientifiques et culturels, a vocation à interroger ce qui concerne la vie de la cité et à contribuer à dynamiser la vie de campus, en associant la communauté universitaire et des représentants du monde socio-économique. Ce dispositif implique également des études sur le handicap, en lien avec le programme « Handicap et citoyenneté » que portent les Universités Clermont Auvergne et de Saint-Boniface (Manitoba, Canada) et dont l’Université de Guyane est partenaire. Six ouvrages viennent de paraître au titre de ce programme dont cinq sont téléchargeables gratuitement : https://handicap-citoyennete.uca.fr/version-francaise/actualites/publications-de-6-nouveaux-ouvrages.

Une revue : Sociétés, cultures et politiques. Les cahiers des débats de l’Université

Une revue à comité de lecture, accessible en version papier et numérique, à vocation à accueillir annuellement notamment une sélection des conférences qui se sont tenues au cours de la précédente année universitaire. Née dans le contexte imprévisible de toutes les contraintes d’une grave pandémie, elle est le reflet, comme le souligne son éditorial, « des débats universitaires » et « elle apparaît, en 2020, comme la manifestation résolue que notre liberté de penser, notre soif de débats, notre goût des échanges, notre volonté de l’expression de la vie de nos sociétés, dans tous leurs aspects, leurs cultures plurielles, leurs politiques imaginatives et diverses, trouveront toujours comment s’organiser en résistance et pour notre résilience ».

Son premier numéro se saisit de questions liées au droit de la santé et à l’urgence sanitaire et sociale que nous subissons (1) , de la question de l’esclavage (2) , des femmes artistes (3) , du Parlement européen (4) autant que de problèmes interrogeant les Outre-mer : autochtonie, décolonisation, régime des cultes en Guyane, les préambules des accords de Nouméa et de Guyane ou encore une approche spécifique des outre-mer hors Union européenne (5) … Les sujets abordés le sont par des communications scientifiques et pour le thème de la décolonisation, par un dossier de documents (textes internationaux et textes constitutionnels français). Le cas particulier de la Guyane est étudié, cette collectivité à nulle autre pareille.

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Les outre-mer dans la revue

Au-delà de communications propres, deux dossiers traitent particulièrement des Outre-mer et plus encore de la Guyane.
Autochtonie. Ce premier numéro s’ouvre sur l’autochtonie. Il s’agit de la définir, d’identifier des critères objectifs et subjectifs, de la saisir entre identité et enjeux. Les enjeux multiples tiennent à l’identité, la langue, l’économie, les modes de vie et évidemment le droit à la terre, aux territoires et aux ressources territoriales… (6) La terre est consubstantiellement identitaire et un élément de vie. Il s’agit également pour les contributeurs de remonter à l’origine de la question autochtone au sein du système des Nations unies mais aussi dans le cadre particulier de la Guyane. Les auteurs cherchent à saisir les tumultes entre les peuples amérindiens et les colons et plus encore l’intégration du droit à la terre des peuples autochtones dans le  droit français. La Guyane est appréhendée, par exemple par Alexis Tiouka, par le prisme des dispositifs spéciaux d’administration des « primitifs » de 1946 à 1960 (service des populations primitives, commissaire préfectoral aux affaires indigènes…) et par une différence à présent revendiquée. Avec les années 80, cet auteur met en exergue la naissance du mouvement amérindien accompagnée d’une revendication des droits, dont le droit de participer à la prise de décision. Il repose sur une identité à préserver et à transmettre. Il y a une histoire des peuples autochtones à transmettre et une protection à rendre effective, alors que les peuples autochtones se voient désormais théoriquement reconnaître les mêmes droits que toute autre personne.

Amérindiens, Guyane, Journée des Peuples autochtones

©CTG

La Guyane est centrale dans ces contributions relatives à l’autochtonie si l’on excepte un article sur le Groenland (7) . Elle l’est également dans un article consacré à une approche comparée des préambules des accords de Nouméa et de Guyane (8) . Elle l’est dans une contribution plus large, consacrée aux cinq Guyane (9) . Elle l’est dans un dossier spécial relatif au régime des cultes en Guyane entre aspects de droit public et de droit privé (10) .

Régime des cultes en Guyane. Une mais non uniforme, telle est la République française. Et la Guyane fait la démonstration d’une situation exceptionnelle. En effet, la loi du 9 décembre 1905 ne s’y applique pas, tout comme dans d’autres territoires de la République outre-mer (11) ou non (12) . C’est l’ordonnance royale du 27 août 1828 qui continue de s’appliquer en Guyane, engendrant une rémunération publique des ministres du culte catholique (13) . Le Conseil constitutionnel (14) a pu affirmer et démontrer que les principes constitutionnels n’étaient pas en l’état remis en cause, ni le principe de laïcité ni davantage les principes d’égalité, de libre administration ou de compensation financière des charges transférées aux collectivités territoriales. Le droit local des cultes en Guyane fait exception aux principes constitutionnels sans y porter atteinte.

© WT/Franceguyane

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La laïcité, dont le principe constitutionnel est consacré par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, n’est pas d’une application uniforme sur l’ensemble du territoire de la République. D’ailleurs, la proclamation constitutionnelle du caractère laïque de la République, comme le rappelle le Conseil constitutionnel, tant en 2013 (15) qu’en 2017 (16), « n’a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l’entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l’organisation de certains cultes et, notamment la rémunération de ministres du culte ». Quant au principe d’égalité, si une différence de traitement existe entre les cultes, elle repose sur une différence de situations. S’agissant de la libre administration des collectivités territoriales et de la compensation financière des charges transférées aux collectivités territoriales, elles ne sont pas méconnues eu égard au caractère particulier, marginal et préexistant des financements en cause en Guyane (17).

Juge administratif et juge judiciaire sont conduits à réguler ce régime des cultes marqué par le fait que seul le principe constitutionnel de laïcité y est opérant. Le 27 décembre 2018, le tribunal administratif de la Guyane a ainsi rejeté la demande de la collectivité territoriale de Guyane demandant la condamnation de l’État du fait du préjudice subi au regard des sommes versées dans le cadre du régime des cultes en Guyane. Le juge affirme la conformité du régime à la liberté religieuse protégée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (article 9). En revanche, sur le plan de la conformité à l’article 14 de la Convention, le tribunal laisse la question en suspens faute d’allégations suffisantes de la collectivité territoriale de Guyane propres à démontrer le caractère comparable des situations (18) . Le droit privé quant à lui saisit la question religieuse entre droit commun et spécificités. Celles-ci prennent corps dans la forme juridique des institutions religieuses de Guyane avec une place particulière pour la mission catholique – qui relève de l’application des décrets Mandel de 1939 (19) .Capture d’écran 2021-01-17 à 15.24.54

La Guyane, par ces différentes contributions, nous montre s’il est besoin que le droit est ainsi non monolithique et qu’il peut se faire plastique pour répondre aux spécificités territoriales. De nécessité, il ne peut que nous interroger sur les limites d’un droit différencié entre unité et identité.
Ce programme et cette revue portent la conviction que notre responsabilité est toujours de continuer à nous armer intellectuellement pour que se forgent nos pensées propres, de stimuler le débat et de contribuer à l’engagement.

Florence Faberon, Professeure de droit public à l’Université de Guyane, membre du Laboratoire Migrations, interculturalité et éducation en Amazonie (MINEA, EA 7485) et membre associé du Centre Michel de l’Hospital de l’Université Clermont Auvergne (CMH, EA 4232).

Les prochaines conférences :
La laïcité en France – 27 janvier 2021
La prescription hors autorisation de mise sur le marché : le défi de la quadrature du cercle ? –28 janvier 2021
Les séparatismes – 4 février 2021
D’autres suivront : Qu’est-ce que la démocratie ? ; La médecine traditionnelle ; L’histoire des pandémies ; Que signifie « social » ?..

Télécharger gratuitement la revue sur le site de la Maison de la Mélanésie – Paul de Deckker (http://www.maison-de-la-melanesie-pauldedeckker.com/publications-recherches-sur-la-cohesion-sociale-rcs) ou sur le site de l’Association des juristes en droit des outre-mer (http://lajdom.fr/index.php/2021/01/04/publication-du-premier-numero-de-la-revue-societes-cultures-et-politiques-les-cahiers-des-debats-de-luniversite/).

Notes : 

(1) Voir Jean-Baptiste Brionnet, « La santé en France. Entre économies et qualité de l’organisation des
soins », SCP, décembre 2020, p. 180-185 ; Vincent Vioujas, « Information et consentement en droit de la santé », SCP, décembre 2020, p. 187-199 ; Guylène Nicolas, « L’égalité d’accès aux soins ou la prise en charge sanitaire des personnes âgées dépendantes en période de pandémie », SCP, décembre 2020, p. 201-216 ; Carole Hasoun, « La responsabilité médicale. Aspects de droit privé », SCP, décembre 2020, p. 217-234 ; François Vialla, « Innovations et relation de soins : non nova, sed nove ? », SCP, décembre 2020, p. 235-250 ; Christian Vallar, « L’État d’urgence sanitaire. Nécessité ou menace ? », SCP, décembre 2020, p. 251-268 ; Morgane Reclus, « Les centres de rétention administrative face à l’état d’urgence sanitaire et aux recours en référé-liberté devant le Conseil d’État », SCP, décembre 2020, p. 269-278 ; Alexia Bessi, « Les entraves à la liberté d’entreprendre et l’état d’urgence sanitaire », SCP, décembre 2020, p. 279-287.

(2) Voir Arnaud Paturet, « La représentation de l’esclave à Rome : entre statut juridique et réalité sociale », SCP, décembre 2020, p. 335-358 ; Marc Pavé, « L’esclavage, fait global », SCP, décembre 2020, p. 359-375.

(3) Voir Norbert Rouland, « La femme exotique chez les peintres et les musiciens », SCP, décembre 2020, p. 377-386 ; Roseman Robinot, « Roseman Robinot : force, émotion, transmission », SCP, décembre 2020, p. 387-393.

(4) Voir Didier Blanc, « L’intégration européenne à la lumière du statut du Parlement européen », SCP, décembre 2020, p. 313-324.

(5) Voir Dominique Breillat, « Les outre-mers hors Union européenne », SCP, décembre 2020, p. 325-333 : l’auteur met en dialogue des éléments géographiques, statutaires, économiques et stratégiques. Des micro-territoires peuvent être ici concernés avec des enjeux stratégiques et économiques de première importance. On remarque aussi une forte diversité de situations et de statuts. 

(6) Voir Florencine Edouard, « Les peuples autochtones : notion, identité, enjeux », SCP, décembre 2020, p. 11-18 ; Alexandre Sommer-Schaechtele, « Droit à la terre, aux territoires et aux ressources territoriales », SCP, décembre 2020, p. 19-24 ; Alexis Tiouka, « L’Autochtonie en Guyane », SCP, décembre 2020, p. 25-42.

(7) Voir Norbert Rouland, « Groenland, autochtones et décolonisation », SCP, décembre 2020, p. 43-56.

(8)Florence Faberon et Maude Elfort, « Les préambules des accords de Nouméa et de Guyane », SCP, décembre 2020, p. 59-62.

(9)Voir Dominique Breillat, « Regard sur les cinq Guyanes », SCP, décembre 2020, p. 291-312. 

(10)Voir Florence Faberon, « Les principes constitutionnels ne prospèrent pas à l’encontre du régime rémanent des cultes en Guyane », SCP, décembre 2020, p. 143-152 ; Thomas Vollot, « L’appréciation du régime des cultes en Guyane par le juge administratif », SCP, décembre 2020, p. 153-164 et Frédéric Bondil, « Le régime des cultes en Guyane française. Aspects de droit privé », SCP, décembre 2020, p. 165-176.

(11) À l’instar de la Polynésie française.

(12) Alsace-Moselle.

(13)Hier par l’État puis par le département et aujourd’hui par la collectivité territoriale de Guyane.

(14)Voir CC, n° 2017-633 QPC du 2 juin 2017.

(15) Décision relative à l’Alsace-Moselle n° 2012-297 QPC du 21 février 2013.

(16)Décision relative à la Guyane précitée.

(17) En 2015, 0,3 % des dépenses de fonctionnement de la collectivité départementale de Guyane.

(18) Voir Thomas Vollot, « L’appréciation du régime des cultes en Guyane par le juge administratif », op. cit.

(19) Voir Frédéric Bondil, « Le régime des cultes en Guyane française. Aspects de droit privé », op. cit.