Portrait Mouv’Outremer- Guyane: Brice Epailly, « Notre projet, le Centre International des Bioressources Amazoniennes se propose de conserver, multiplier, et valoriser les bioressources amazoniennes».

Portrait Mouv’Outremer- Guyane: Brice Epailly, « Notre projet, le Centre International des Bioressources Amazoniennes se propose de conserver, multiplier, et valoriser les bioressources amazoniennes».

40 porteurs de projets très prometteurs et à impacts visant à accélérer les transitions vers des territoires durables, sur des thématiques très variées répondant aux besoins des territoires, ont été sélectionnés dans le cadre de l’appel à candidatures lancé par l’AFD et le Ministère des Outre-mer. Outremers 360 vous présente l’un de ces porteurs de projets: Brice Epailly, un ingénieur agronome guyanais qui projette de mettre en place un Centre International des Bioressources Amazoniennes, une plateforme multi-sites visant à « conserver, multiplier, et valoriser les bioressources amazoniennes».

Pouvez-vous vous présenter et nous décrire votre parcours ?

Je suis consultant en ingénierie environnementale, Ingénieur agronome de formation, je développe des projets de développement durable en Guyane depuis 2016 avec NovAmazone, Bureau d’étude que j’ai fondé. Né en Guyane, après avoir obtenu mon baccalauréat Scientifique au Lycée Léon Gontran Damas à Remire-Montjoly, j’ai poursuivi mes études en obtenant un BTSA en production agricole LEGTA Federico Garcia Lorca à Perpignan. J’ai ensuite complété avec succès le parcours d’ingénieur agronome de l’Institut national d’Horticulture et de Paysage à Angers. Diplôme à la suite duquel j’ai décidé de revenir en Guyane avec la motivation de contribuer à son développement socio-économique.

Qu’est-ce qui vous a motivé à postuler à Mouv’outremer? Qu’attendez-vous de cette formation ?

Je suis convaincu de l’impact positif qu’un projet comme le mien peut avoir sur le territoire de la Guyane, son caractère innovant et inédit nécessitait pour moi de le confronter à d’autres projets d’envergure afin de l’optimiser pour maximiser ses retombées pour la Guyane et peut-être rayonner sur les autres département d’Outre-mer. La reconnaissance de mon projet dans un parcours organisé par les acteurs institutionnels de premier plan que sont le Ministère de l’outre-mer et l’AFD, était pour moi une opportunité à saisir afin de mettre en avant mon projet et confirmer son adéquation avec les politiques publiques actuelles. C’est également une formidable opportunité d’étendre mon réseau professionnel par les liens créés avec des experts des autres DOM dans des domaines d’activités variées et en lien avec la transition écologique.

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En quoi consiste votre projet ?

La forêt Amazonienne est dotée d’un génie infini qui a été développé et entretenu sur plusieurs millénaires par ses habitants dans un bénéfice mutuel, il est donc important de perpétuer cet héritage pour répondre aux défis de demain. Notre projet, le CIBA, Centre International des Bioressources Amazoniennes se propose de conserver, multiplier, et valoriser les bioressources amazoniennes. En établissant une passerelle entre les acteurs de la recherche et le monde économique, le CIBA adopte une démarche de capitalisation des connaissances et des savoirs acquis qui sont ensuite rendus accessibles au plus grand nombre. Ainsi l’intérêt de la population pour son patrimoine naturel est stimulé, et elle en devient la première gardienne. Situé à Montsinéry-Tonnegrande (à 30 minutes de Cayenne), il se présentera sous la forme d’une plateforme multi-pôle comprenant notamment :
– Arboretum et Serres de conservation,
– Parcelles agroforestières de productions spécialisées
– Pépinières et espaces de ventes
– Ateliers de valorisation éco-industriels
– Laboratoire de Recherche et Développement
– Maison des savoirs
– Centre de production audiovisuel
– Ecolodge
– Boutique spécialisée dédiée

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© Merwen

Plus qu’un projet, c’est déjà une réalité qui a commencé avant la formation par une première phase de démonstration démarrée en 2016 avec la création d’une filiale agricole qui a commencé le développement d’itinéraires agroforestiers. Sur notre premier site de 68 ha nous avions démarré nos essais avec la mise en culture d’une quinzaine d’espèces végétales que j’avais identifié avec un fort potentiel de valorisation. L’objectif de cette première phase était de pouvoir tester des associations de cultures et différents types de travaux du sol et amendement pour vérifier leur adéquation avec le terrain naturel d’implantation du projet. En Mars 2018 avec l’institut de la formation continue de l’Université de Guyane nous avons co-organisé la venue du Dr. Godfrey Nzamujo, fondateur des centres Songhaï au Bénin, dans la continuité du cycle de conférence qu’il a donné en Guyane nous avions organisé une journée d’échange sur notre site ouvert pour l’occasion au grand public et aux agriculteurs pour échanger sur les pratiques agroécologiques. La reconnaissance du travail accompli et les encouragements reçus par le Professeur Nzamujo qui est une de mes sources d’inspiration m’a conforté dans l’idée de poursuivre ce projet malgré les difficultés que je pouvais rencontrer à ce moment-là.

Notre expertise et volonté d’agir étant maintenant reconnues, fin 2019, nous sommes passés à une nouvelle phase avec la sélection de notre site pour accueillir une expérimentation du CIRAD sur le comportement en condition de mise en culture d’une sélection de cacaoyers endémiques de Guyane dit « Guiana ». Cet essai fait partie d’un programme plus large porté par le CIRAD visant la capacitation et l’émergence de la filière Cacao Guiana de Guyane (C2G2), piloté par la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) et financé sur des fonds FEADER. Nous avons intégré cet essai à une nouvelle parcelle agroforestière développée sur la base de nos premiers retours d’expérience, elle intègre sur une surface de 15 000m2 une combinaison d’espèces pouvant être valorisées pour des usages alimentaires, aromatiques, médicinales, cosmétiques ou qui contribue à rendre des services aux autres plantes installées.

La démonstration de la faisabilité technique des processus de production de ces matières premières biosourcées est maintenant acquise, il nous faut passer à une phase d’accélération pour répliquer notre démonstration à une échelle intermédiaire pour développer une production de base permettant une rentabilité des unités de valorisation éco-industrielles pilotes qui seront installées.

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Sur quelles problématiques d’objectifs de développement durable repose votre projet ?

Mon projet se trouve au carrefour des différentes filières économiques majeures pour le développement d’un territoire que sont l’agriculture, la forêt, la production d’énergie. Il s’insère naturellement dans le dispositif Mouv’outremer et les 5 grands ODD retenus comme champs d’application pour la mise en œuvre des projets car en effet il contribue aux objectifs de :
– Zéro Carbone, par le développement d’itinéraires techniques de mise en valeur agricole optimisée dans la gestion du carbone et notamment en favorisant les solutions visant l’augmentation du pouvoir de séquestration du carbone par le sol et les plantes. Il contribue également à la reforestation et à la réhabilitation d’habitats naturels dégradés par l’activité d’une ancienne exploitation agricole.
– Zéro Déchet, par le fait de développer un modèle économique basé sur une économie circulaire locale. En réunissant l’ensemble des processus de production et de valorisation sur un même site nous réduisons la production de déchets. De même nous adopterons pour les produits à
commercialiser des éco-emballages recyclables ou compostables.
– Zero polluant, par l’adoption d’un principe fondateur d’utilisation de O produits phytosanitaires de synthèse sur nos cultures, une gestion de la fertilisation organique et minérale raisonnée.
– Zero exclusion, par le souhait de développer des services de formation contribuant à l’insertion professionnelle de personnes éloignées du monde de l’emploi. De même l’ensemble des activités développées favorise les échanges entre les générations et les classes sociales par la valorisation du patrimoine culturel amazonien, socle de notre identité et condition d’un bien vivre ensemble.
– Zero vulnérabilité, par sa démarche globale qui vise à développer des solutions qui permettent de lutter contre le réchauffement climatique, à titre d’exemple nous avons contractualisé des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) depuis le démarrage de notre activité. Aujourd’hui nous en sommes à plus de 4 Km de ripisylves que nous nous engageons à préserver pour la rivière qui borde nos sites et les criques qui les parcourent.

Je suis également sensible à l’appel du Président de la République d’ajouter un sixième 0 qui est celui du 0 déni de responsabilité, il est donc le bienvenu en Guyane pour constater qu’à titre personnel je prends ma part de responsabilités et que je continuerais de les prendre car je souhaite offrir un avenir dans un monde soutenable à ma famille et plus largement aux habitants de notre territoire. Le défi d’atteindre les objectifs du développement durable fixé par l’ONU relève bien de notre responsabilité collective et nul ne doit s’en exonérer.

Quels sont les défis que vous rencontrez aujourd’hui et de quelle manière la formation vous aide à y répondre ?

Le principal défi est d’ordre organisationnel et financier, au delà des levées de fonds à obtenir pour la mise en oeuvre du projet, il y a un travail préalable pour finaliser la stratégie de développement du projet (étude techniques, études de marchés, business plan consolidé) qui nécessite un volume d’ingénierie conséquent que j’autofinance seul pour l’instant et qui me limite dans l’accélération de la mise en route du projet. Il faudrait que je puisse faire appel à d’autres prestataires (ingénieurs, architectes, financiers, juristes, marketing manager). Idéalement , que je puisse me rémunérer sur le développement de mon propre projet (esprit de la Start up qui réalise une levée de fond pour poursuivre son développement avant de rentrer en phase de production) car il nécessite théoriquement 100% de mon attention pour passer à l’action véritablement. Une des solutions serait de trouver des business angels ou attribuer des participations à une société de capital risque tout en ayant recours à l’emprunt.

La formation m’aide à répondre à ces défis dans la mesure où mon projet gagne en visibilité vis-à-vis des potentiels financeurs. Elle participe également au développement de mes compétences personnelles, c’est peut être là, le plus important de se former soi-même avant de vouloir faire changer les autres. La transition écologique est un sujet sérieux qui implique de bouleverser des habitudes auprès de millions de personnes. Avec l’émergence de « leaders du changement», les territoires ultramarins peuvent en être une formidable vitrine sur le monde de la transition écologique puisque présents sur tous les océans. Parmi nous certains ont un «leadership naturel» dans leur domaine d’activité et de compétences néanmoins nous avons chacun encore à apprendre des uns et des autres et sur nous même pour passer à l’action durablement.

Sur le volet organisationnel, le fait de pouvoir découvrir de nouveaux outils et méthodes de travail me permet également d’adapter ma façon de travailler et d’améliorer mon fonctionnement interne.
Mais on ne va pas se mentir, un projet comme celui-là par son ampleur nécessite maintenant de pouvoir recruter une équipe projet dédiée à sa mise en œuvre. J’ai déjà une partie de mon équipe opérationnelle qui est en Guyane, d’autres sont encore en formation et je les conseille justement dans leurs orientations. La matière grise doit se rémunérer à sa juste valeur, le volet financier reste donc le principal défi. La Guyane est une terre de talents et je compte bien mettre tout en œuvre pour réussir à capter ceux qui s’inscrivent dans la dynamique. L’urgence climatique, sociale et économique est là, nous sommes condamnés à réussir !

Nous sommes presque à la moitié du parcours de formation. Quelles sont les retombées/apports majeurs du parcours sur votre projet et pour vous personnellement ?

La première retombée est que du fait de ma sélection je peux m’appuyer sur cette étape franchie : quand je présente mon projet à des futurs partenaires et j’ai bien entendu remarqué que l’attention de mes interlocuteurs est de suite retenue lorsque j’annonce le fait d’avoir été retenu dans un concours organisé par le Ministère des Outre-mer et l’AFD. La motivation que j’avais pour le concours m’a poussé à faire réaliser une vidéo de présentation que j’ai ensuite postée sur LinkedIn et en 2 semaines elle est passée à plus de 1900 vues, avec beaucoup de message de soutien et de contacts qui en ont découlé, cela veut dire que les gens attendent de moi quelques choses de dynamique et d’innovant comme le CIBA.

Je compte sur Mouv’Outremer pour jouer ce rôle d’accélérateur de projet que j’attends. Parce qu’en effet il ne faut pas en rester à une énième énumération de nos potentiels, il faut maintenant mobiliser autour de nous les acteurs de la finance, du droit et les institutions pour mettre en place les conditions administratives, juridiques et financières de la réussite de nos projets.

Si je devais résumer en 3 mots le parcours Mouv’Outremer aujourd’hui je dirais : Partage, Entraide, Développement. En effet la communauté Mouv’Outremer représente pour moi une véritable Task force d’experts qui pourrait être mobilisée au service de nos territoires, que ce soit par les collectivités, les administrations ou les privés pour les appuyer dans le développement de leurs projets.