Quitter l’industrie pharmaceutique allemande pour devenir nutritionniste holistique, poétesse et entrepreneure en Croatie : c’est le virage audacieux qu’a choisi de faire Anaïssa Ali Mogné-Mali, il y a quelques années. Née à Mayotte, élevée dans l’Hexagone, formée entre la France et l’Allemagne, la Mahoraise aux multiples vies défend aujourd’hui une approche du soin ancrée dans l’océan Indien et ouverte au monde. C’est un parcours fait de ponts entre les disciplines, les continents et les générations que nous retraçons aujourd’hui.
L’histoire d’Anaïssa Ali Mogné-Mali commence à Mayotte, il y a une quarantaine d’années. À l’âge de trois ans, sa famille et elle quittent leur territoire. Son père, militaire, est muté dans l’Hexagone. Elle grandit alors en Lorraine, étudie à Toulouse, puis s’envole pour l’Allemagne dans le cadre d’un programme Erasmus, où elle finalise son DUT. Là, elle fait un choix décisif : rester. « Dès que je suis arrivée en Allemagne, je me suis sentie bien, » se remémore-t-elle. « J’ai compris que je ne voulais pas revenir. Il y avait une forme de rigueur, de professionnalisme dans le monde du travail qui m’a tout de suite parlé. » Elle entame alors une carrière dans l’industrie pharmaceutique, qui durera vingt ans. Derrière cette trajectoire a priori linéaire, un fil rouge : son amour des langues et des cultures. « La première langue étrangère que j’ai apprise, c’est le russe. Ensuite, j’ai fait de l’anglais, puis de l’allemand. J’adorais ça. Je savais que l’Allemagne serait une destination clé, alors j’ai appris la langue en pensant déjà à mon avenir. » Aujourd’hui, Anaïssa Ali Mogné-Mali parle couramment le français, l’allemand, l’anglais, et comprend le croate. « Parler une langue, c’est une manière d’entrer dans la culture d’un pays. Ça permet d’aller au-delà de la surface.»

Identité multiple
« Nutritionniste, entrepreneure et poète. » Voilà comment se définit Anaïssa Ali Mogné-Mali. Avant cette vie d’entrepreneure du mieux-être, la Mahoraise a mené une tout autre vie. Diplômée en chimie, elle devient manager qualité dans une entreprise allemande, où elle occupera ce poste pendant deux décennies. « À l’époque, c’était ce qui me convenait : j’étais structurée, efficace, j’avais besoin de construire quelque chose de solide, » raconte-t-elle. «Mais j’ai toujours eu cette âme de nomade. Ce que je cherche, ce n’est pas la stabilité à tout prix, c’est l’alignement. Là où je suis, c’est là où j’ai besoin d’être à un moment donné. »

Aujourd’hui, c’est donc en Croatie que ses valises sont posées, avec en ligne de mire un projet d’envergure : la création d’un centre de bien-être international inspiré des traditions de l’océan Indien, à la croisée de la nutrition holistique, de la spiritualité et de l’entrepreneuriat féminin. « J’ai toujours été attentive à mon hygiène de vie, en tant que pratiquante de taekwondo. J’avais ce besoin d’être performante, d’être bien dans mon corps. C’est de là qu’est né mon intérêt pour la nutrition. » C’est avec la pratique et l’expérience que ce projet très personnel voit le jour. « L’idée, c’est de réunir des praticiens qui viennent de différents horizons, de Mayotte, de La Réunion, de Zanzibar, mais aussi d’Europe ou d’Amérique latine, et qui partagent cette même vision d’un soin holistique. » Le centre sera implanté à Zagreb.
« Ici, il y a une énergie de renouveau. C’est calme, propice à l’introspection. Et en même temps, on est au carrefour de plusieurs cultures. C’est idéal. » À terme, Anaïssa Ali Mogné-Mali imagine ce centre comme un lieu-pilote, qui pourrait essaimer ailleurs, dans d'autres pays de l’océan Indien. « J’aimerais qu’il y ait un jour des antennes à Mayotte, à La Réunion, à Maurice. Que les femmes de nos territoires puissent y accéder, s’y former, s’y régénérer. On a besoin de lieux qui réconcilient le corps, l’esprit et l’âme. » Le projet est encore en phase de structuration, mais il est pensé comme un lieu à la fois d’accueil, d’écoute, de transformation et d’ancrage. Un espace hybride, où se croiseront la nutrition, l’art-thérapie, le coaching individuel, les savoirs traditionnels ou encore les pratiques contemporaines du bien-être global.
Poésie, expositions et spiritualité
Dans cette quête pour un mieux-vivre, l’écriture a joué un grand rôle dans la vie d’Anaïssa Ali Mogné-Mali. C’est en Croatie que cet exutoire a pris une toute autre dimension.
En 2008, lorsque la Mahoraise découvre le pays pendant des vacances, rien ne la prédestinait, malgré son coup de cœur, à y revenir pour s’y installer plus de dix ans plus tard. « Avec la crise Covid, tout a changé. On pouvait télétravailler de partout. Ce qui semblait jusque-lors impossible ne l’était plus… Je n’aurais jamais pensé, en arrivant ici, que j’allais devenir une artiste exposée à l’international. Et pourtant ! »

En quelques années, elle fonde The Mindful Spoon, un programme de nutrition consciente qui allie coaching personnalisé, rééquilibrage alimentaire et reconnexion à soi ; publie ses poèmes et expose aux quatre coins du monde. « Depuis que je suis arrivée en Croatie, je m’autorise une autre façon de vivre. Ce n’est plus métro-boulot-dodo. C’est vivre en accord avec mes ressentis, avec ce qui me parle vraiment. » Hongrie, Pérou, Brésil… Les expositions s’enchaînent pour la poétesse. Et dans cette trajectoire qu’elle construit à l’international, le territoire d’origine d’Anaïssa Ali Mogné-Mali reste un repère. « Je suis retournée à Mayotte à l’âge de 20 ans. Ça a été une claque, » se souvient-elle. « J’ai compris à ce moment-là qu’il me manquait quelque chose. Depuis, chaque retour est vécu comme un moment de reconnexion. C’est un lieu qui me ressource, où je retrouve ma langue, mes origines, mais aussi mes appuis. » Pour elle, valoriser Mayotte ne signifie pas se figer dans une identité restreinte. « On peut être profondément de Mayotte, et profondément du monde. Ce n’est pas contradictoire. C’est complémentaire. » Pour cette raison, et pour toutes les autres, Anaïssa Ali Mogné-Mali encourage les plus jeunes à voyager. « Bien sûr qu’il faut profiter des programmes comme Erasmus, » s’exclame-t-elle.« C’est grâce à ce dispositif que je suis moi-même partie en Allemagne. » Cependant, pour la poétesse, l’Europe ne doit être qu’une première marche. « Bien sûr qu’il faut ouvrir d’autres voies, vers l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique latine. Il faut voir plus grand. Et il faut se sortir de la tête qu’on renie son territoire lorsqu’on le quitte ! Au contraire, il faut le faire rayonner partout dans le monde. »

Abby Said Adinani