Maisons des 1 000 premiers jours en Outre-mer : construire une politique nationale au rythme des territoires ultramarins

Maisons des 1 000 premiers jours en Outre-mer : construire une politique nationale au rythme des territoires ultramarins

Lancée au niveau national, la politique publique des « 1000 premiers jours » vise à offrir un parcours de soutien unifié et cohérent aux futurs et nouveaux parents. Mais comment une telle ambition se décline-t-elle dans les territoires d'Outre-mer, aux réalités démographiques, sociales et géographiques si singulières ? Loin d'un modèle unique imposé depuis Paris, son déploiement repose sur une stratégie d'adaptation fine, confiant aux acteurs locaux le soin de bâtir des réponses sur-mesure. De la Guyane à Mayotte, cette approche pragmatique transforme une politique publique en un levier d'action concret, ancré dans les besoins spécifiques de chaque territoire.

Pour Outremers 360, Marc-David Seligman, délégué aux Outre-mer des ministères sociaux et Pierre Stecker, directeur de projets soutien à la parentalité et 1000 premiers jours de l'enfant à la direction générale de la cohésion sociale, détaillent les contours et les enjeux de ce dispositif dans les Outre-mer.

Des réponses locales à une ambition nationale

La philosophie fondatrice du programme des « 1000 premiers jours » est de décloisonner les approches traditionnelles et de dépasser les logiques institutionnelles.  « Les 1 000 premiers jours, ce n’est pas une politique sectorielle, c’est une politique de parcours. » rappelle Marc-David Seligman. En raisonnant en termes de « parcours » unifié, le dispositif place le point de vue des familles au centre de l'action publique. Le nom même du programme a été choisi pour sa clarté et sa capacité à parler aussi bien aux familles qu'aux multiples professionnels concernés, du médecin à l'éducateur de jeunes enfants.

Pour le déploiement en Outre-mer, la méthode choisie a sciemment évité d'imposer un modèle rigide, comme le précisent d’une même voix Marc-David Seligman et Pierre Stecker : « L’idée, ce n’est pas d’imposer un modèle unique depuis Paris, mais de laisser chaque territoire inventer sa propre réponse à partir d’un référentiel commun, en fonction de ses besoins et de ses réalités locales. »

Maison des 1 000 premiers jours Macouria ©Mutualité Française Guyane

Une enveloppe financière de 2 millions € a été répartie fin 2024 de façon équitable entre les cinq DROM, soit 400 000 € chacun, laissant aux services de l'État et aux Caisses d'Allocations Familiales (CAF) sur place la latitude de sélectionner les territoires prioritaires et de définir les actions en fonction des diagnostics et des besoins du terrain. Cette approche décentralisée est la réponse directe aux défis uniques auxquels ces territoires sont confrontés notamment un taux de natalité élevé, des situations d'isolement, qu'il soit géographique ou social et une forte prévalence de la monoparentalité. « Dans les Outre-mer, on ne part pas d’une feuille blanche. Chaque territoire a ses priorités démographiques, sociales et sanitaires, et le dispositif s’y adapte. » précise le délégué.

Des projets sur-mesure pour un impact maximal

Chaque territoire conçoit et met en œuvre sa maison des 1 000 premiers jours en fonction de ses priorités et de ses moyens.

En Guyane, le projet se distingue par sa dimension d'« aller vers », une approche essentielle pour toucher les publics les plus éloignés des structures traditionnelles souligne Marc-David Seligman : « L’enjeu, c’est d’aller vers les publics les plus éloignés, sans attendre qu’ils franchissent la porte des institutions. » Concrètement, le projet est porté par un centre de PMI qui élargit ses activités, notamment avec la création d'un lieu d'accueil enfants-parents, stratégiquement positionné entre Cayenne et Kourou. Cette structure combine des espaces d'accueil individuels et collectifs, où les familles peuvent recevoir « un kit des 1000 premiers jours », des conseils pratiques sur le quotidien avec un jeune enfant. « En Guyane, la maison des 1 000 premiers jours est pensée comme un lieu de coordination des professionnels du territoire. Quand une famille arrive, on sait immédiatement vers quel professionnel l’orienter. C’est un outil pour structurer un réseau, pas seulement pour accueillir du public. » souligne Pierre Stecker. En effet, au-delà de ce rôle direct, le lieu assume une fonction de coordination pour les professionnels du territoire, agissant comme un véritable guichet unique pour orienter les parents vers les bons interlocuteurs et renforcer le maillage local.

À Mayotte, dans un contexte post-Chido, le projet, soutenu par l’ARS, conduit « à réorienter le dispositif vers la lutte contre la malnutrition infantile. Ce n’est pas un lieu d’accueil, mais une interprétation du dispositif, adaptée à la réalité du territoire. On n’est pas sur un modèle figé, mais sur une réponse pragmatique à une situation d’urgence. » précise Marc-David Seligman. Le dispositif ne prend pas la forme d'une structure physique mais d’une « maison itinérante et virtuelle » dans un premier temps, une sorte de « parcours d'accompagnement » organisé pour diagnostiquer les situations à risque, orienter efficacement les familles vers les soins appropriés (centre hospitalier, etc.) et mobiliser le réseau associatif. La création de structures physiques est envisagée, mais seulement dans un second temps, une fois cette première réponse d'urgence consolidée.

À La Réunion, le projet phare, situé sur la commune du Port, est porté par une clinique privée, qui la déploie en partenariat avec la PMI. La maison doit ouvrir au premier semestre 2026. En Martinique, l'action, soutenue également par la CAF, est portée par une association locale, Gaiacs Providence (Gaiacs Providence - Gaiacs Ptce), elle s'adresse aux parents d'enfants de la période périnatale jusqu'à l'âge de deux ans, mais aussi aux professionnels du secteur, y compris les préfets du territoire, pour une sensibilisation plus large. L’inauguration a eu lieu le 15 décembre avec une ouverture prévue entre janvier et mars 2026. En Guadeloupe, le projet est également porté par une association, mysweethome971 (Bienvenue à My Sweet Home La Maison des 1000 Premiers Jours®), qui a déjà permis d’accompagner près de 500 femmes isolées avec l’aide de la CAF, de l’ARS et de la collectivité.

Derrière la singularité de ces exemples se dessine un modèle de gouvernance et de collaboration qui constitue la véritable clé de la réussite du dispositif.

Les clés du succès : partenariat et coordination

L'efficacité du dispositif des Maisons des 1000 premiers jours en Outre-mer réside dans l'instauration d'une nouvelle méthode de travail. Cette approche collaborative explique à la fois les succès enregistrés et les rythmes de déploiement parfois variables d'un territoire à l'autre.

Le projet repose fondamentalement sur une « dimension partenariale » solide. Il s'agit d'une alliance stratégique entre les différents acteurs de la périnatalité et de la petite enfance : les services de l'État, la Caisse d'Allocations Familiales (CAF), les collectivités, notamment les départements, compétents en matière de protection maternelle et infantile, et le tissu associatif local.

Pour accompagner la mise en œuvre du programme, le ministère anime des réunions trimestrielles avec les cinq territoires. Ces rencontres permettent des retours d'expérience essentiels, à la fois horizontaux entre les territoires ultramarins et verticaux du local vers le niveau national pour nourrir la stratégie globale. Pierre Stecker revient sur la nécessité d’une gouvernance et d’un pilotage sûr : « Pour que ça fonctionne, il faut que quelqu’un prenne le lead sur le territoire. L’un des premiers effets positifs du dispositif, c’est d’avoir remis tous les acteurs autour de la table. » et précise que « Les 1 000 premiers jours parlent autant aux familles qu’aux professionnels. »

Enseignements et perspectives d'avenir

Loin d'être une simple déclinaison locale, l'expérimentation menée en Outre-mer constitue un laboratoire précieux qui enrichit et influence la stratégie nationale des « 1000 premiers jours ». Les retours d'expérience de ces territoires « nourrissent la réflexion sur le cadre de référence au plan national ». Cette confrontation au terrain, avec ses contraintes et ses innovations, est fondamentale pour faire évoluer la politique publique dans son ensemble et garantir qu'elle reste adaptable et pertinente. Depuis son lancement en 2021, le dispositif a permis la création d’une centaine de Maisons des 1 000 premiers jours. 

EG