Les producteurs de la banane antillaise alertent sur une « crise existentielle » de la filière

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Les producteurs de la banane antillaise alertent sur une « crise existentielle » de la filière

Les producteurs de bananes françaises se sont alarmés mardi au Salon de l'Agriculture de la « crise existentielle » que traverse leur filière, confrontée à des normes jugées trop contraignantes, une chute de la production, en raison notamment de la cercosporiose noire, et un manque d’accompagnement des pouvoirs publics.

C’est avec un sentiment partagé que les producteurs de la banane antillaise regroupés au sein de l’UGPBAN se sont présentés cette année au Salon international de l’Agriculture. D’un côté, la banane est devenue, en 2024, le fruit préféré et le plus consommé par les Français, à près de 810 000 tonnes, devant la pomme. La filière antillaise fête aussi les 10 ans de son concept de « banane française », stratégie réussie pour la différencier de ses concurrentes africaines et sud-américaines.

Mais après les quelques bonnes nouvelles, les producteurs passent aux mauvaises, et elles sont nombreuses. « La banane est irremplaçable sur nos territoires, mais aujourd'hui, elle traverse une crise majeure, existentielle en Martinique et en Guadeloupe », a averti lors d'une conférence de presse Francis Lignières, président des producteurs de Guadeloupe (LPG) et vice-président de l’UGPBAN.

En cause, les normes jugées contraignantes auxquels les bananes concurrentes ne sont pas soumises, le manque d’accompagnement des pouvoirs publics et la maladie de la cercosporiose noire qui touche d’années en années davantage de plantations antillaises. En dix ans, la production locale a chuté de 250 000 à 186 000 tonnes, selon les producteurs. « On est en train de ruiner cette filière. Les planteurs les plus vulnérables vont disparaître », a poursuivi Francis Lignières, se disant « très inquiet de l'avenir ».

« Depuis le début des années 2010, la cercosporiose noire s'est abattue sur nos îles », a expliqué Pierre Monteux, directeur général de l'UGPBAN, également chargé de mettre la banane antillaise sur le marché européen, principalement hexagonal. « Cette maladie foliaire attaque les feuilles et diminue la qualité de la production », a-t-il précisé, regrettant le manque de solutions à disposition des agriculteurs.

« Depuis son introduction, la cercosporiose noire a gagné en force, mais surtout les moyens qui sont à notre disposition pour lutter contre ces maladies ont fortement diminué au cours des dernières années » regrette Pierre Monteux qui pointe du doigt les évolutions règlementaires, « parfois progressives, parfois brutales », comme « l'arrêt du traitement aérien qui était une organisation qui permettait de contrôler cette maladie de manière collective ».

« Lorsque l'aérien s'est arrêté, on a basculé sur des moyens terrestres et individuels. Malheureusement, cette maladie n'est pas circoncise à une parcelle ou à une exploitation, elle se propage sur tout un territoire : Si mon voisin a fait bien le traitement et moi, je ne le fais pas, même s'il fait bien son traitement, je vais le contaminer », détaille le directeur général de l’UGPBAN qui souligne aussi « la diminution très forte des produits (…) curatifs dont on a besoin lorsque la période d'humidité ».

En 2020, la filière disposait de neuf produits curatifs, puis trois depuis 2023. « On doit continuer à faire des miracles avec seulement trois produits qui nous permettent de redresser une situation ». Les producteurs demandent l'autorisation d'utiliser des drones pour les traitements phytosanitaires, en remplacement des épandages aériens interdits depuis 2013. Une technique déjà utilisée dans d’autres pays européens et testée aux Antilles, qui permet un épandage plus précis et efficace.

Deux projets de loi sont actuellement à l’examen au Parlement pour permettre l’utilisation des drones : « un bon début » temporisent les producteurs qui buttent toutefois sur le nombre et le type de produits qui pourront être pulvérisés par drones, jugés insuffisants.  « Le drone n'est pas utilisable que pour faire des traitements. Il est aussi utilisable pour mettre de l'engrais. Il est aussi utilisable pour transporter les régimes de banane » pointe aussi Alexis Gouyé, président du groupement de producteurs de banane de Martinique, Banamart, et vice-président de l’UGPBAN.

L'autre solution serait l'introduction de bananiers résistants à la cercosporiose grâce aux « nouvelles techniques génomiques » (NGT), en attente du feu vert de l'Union européenne. « La maladie nous coûte 30 millions d'euros par an », insiste Philippe Aliane, directeur général de LPG. Mais sur tous ces sujets, les producteurs regrettent un manque de réponse de la ministre de l’Agriculture, venue lundi au Salon pour échanger avec les agriculteurs ultramarins.

Avec un coût de production de 1,50 euro le kilo, contre 50 à 60 centimes pour la banane en provenance d'Amérique latine ou d'Afrique, la filière française souffre d'un « manque de compétitivité dû aux normes », selon Philippe Aliane. Pierre Monteux espère que la révision de la directive européenne sur ces nouvelles variétés interviendra d'ici 2026 et que leur commercialisation pourra commencer en 2028. « On a une solution court terme avec les drones et une solution à moyen terme avec les NGT », affirme-t-il.

Les bananes produites en Guadeloupe et en Martinique représentent environ 22% du marché français de la banane mais sont une goutte d'eau à l'échelle de la production mondiale, estimée à environ 135,5 millions de tonnes en 2022. Surtout, cette part de marché a baissé ces trente années, puisque la banane antillaise en représentait deux tiers avant sa libéralisation. « Dans l'absolu, ce n'est pas là le problème » assure Pierre Monteux. « Ce qu'on veut, c'est d'avoir une production correcte, avec des rendements qui soient bons et qui permettent d'assurer des revenus décents à nos producteurs ».

L’enjeux est aussi d’abaisser la pénibilité d’une filière qui peine à attirer les jeunes, dans des territoires démographiquement vieillissants. « Il n'y a pas de métier plus difficile que de transporter des régimes de banane ou alors d'avoir un appareil qui pèse 50 kilos pour pouvoir faire un traitement tous les 15 jours par 30-35 degrés avec une EPI (…). C'est germinal au XXIᵉ siècle ! », lance Alexis Gouyé.

Malgré ces difficultés, l’UGPBAN fête cette année les 10 ans de sa stratégie markéting « banane française ». « On s'était fixé comme règle : rupture, différenciation, innovation pour pouvoir valoriser notre produit », rappelle Jean-Claude Marraud des Grottes, instigateur de cette stratégie markéting. « C'était une clarification de l'offre », passant par le fameux ruban bleu-blanc-rouge, le prix à la pièce, le rangement dans les rayons ou encore la promotion du produit.

« La banane n'est pas condamnée, au contraire. Elle a un avenir assez prometteur si on s'empare de ces nouvelles technologies et qu'on a envie, qu'on a le courage de pouvoir aller vers ces solutions » assure Alexis Gouyé. « On a les solutions, la volonté, le courage aussi. Les producteurs sont des gens extrêmement courageux. On ne baisse pas les bras comme ça, mais on a besoin de l'aide de l'État », martèle-t-il.