INTERVIEW. Gérard Cadic, SNSM de Guadeloupe : « Dans les Outre-mer, on manque de dispositifs de surveillance des plages »

©CNSM Basse-Terre

INTERVIEW. Gérard Cadic, SNSM de Guadeloupe : « Dans les Outre-mer, on manque de dispositifs de surveillance des plages »

La noyade est la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans en France. Les territoires d’Outre-mer ne sont pas épargnés, malgré la proximité avec la mer et une familiarisation avec l’eau, des accidents mortels ont lieu tous les ans. Pour Gérard Cadic, président de la SNSM de Basse-Terre en Guadeloupe, il est urgent de mettre en place une surveillance des plages.

Par Marion Durand.

Plus de 1300 noyades ont été recensées au cours de l’été 2023 en France. Près de 30 % d’entre-elles ont entraîné un décès selon les chiffres de Santé publique France. La mer est le lieu où le nombre de noyades suivies de décès est le plus important (45 % des décès), suivi par les cours d’eau (23 %), les piscines privées (15 %) et les plans d’eau (14 %).

Dans l’ensemble des Outre-mer (il n’existe pas de chiffres spécifiques pour chacun des territoires), 58 noyades ont été recensées entre le 1er juin au 30 septembre 2023 et parmi elles, 22 ont entraîné la mort. Santé publique France relève que la proportion de noyades suivies de décès en mer a été plus importante dans les régions côtières du nord-ouest de l’Hexagone et en outre-mer par rapport aux autres régions. La noyade reste la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans en France.

©Gérard Cadic

En cette journée mondiale de la prévention des noyades, le 25 juillet 2024, Outremers360 donne la parole à Gérard Cadic, président de la station de sauvetage de Basse-Terre en Guadeloupe.

Marion Durand : La noyade est la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans en France. Les territoires d’Outre-mer sont-ils autant concernés que l’Hexagone ?

Gérard Cadic : Tous les ans, on recense quelques noyades, sur le littoral mais aussi par imprudence dans des piscines chez des particuliers, cela concerne souvent des enfants en bas âge. Dans les Outre-mer, la température de l’eau et les conditions d’utilisation du littoral sont plus tranquilles que dans l’Hexagone, l’eau est plus chaude donc il y a moins de risque inhérent à l’hydrocution dans les Caraïbes. Mais la différence majeure c’est que sur le territoire national, la période à risque pour les baignades correspond à la période estivale, c’est-à-dire deux ou trois mois dans l’année. Alors que dans les Outre-mer, la période où les noyades sont possibles est beaucoup plus longue, souvent douze mois sur douze.

Le fait d'être dans des îles, de vivre à proximité de la mer a-t-il un impact favorable sur le nombre de noyade ?

Il est vrai que dans les Outre-mer, les enfants voient la mer tous les jours. Il y a un réel effort qui est fait pour apprendre à nager aux scolaires et pour amener les enfants à la plage du fait d’un accès facile dans nos communes. Mais les noyades concernent aussi les personnes de passage, dans les Antilles françaises la période touristique s’étend de novembre à avril avec une clientèle essentiellement hexagonale. Aujourd’hui, la saison touristique s’allonge, les Guadeloupéens d’origine reviennent quant à eux en vacances durant la période de juillet août.

La période est donc plus longue dans les Outre-mer, les noyades y sont-elles plus nombreuses ?

Je n’ai pas de chiffres en ce sens mais le vrai sujet dans les Outre-mer c’est l’absence de surveillance des plages. Dans l’Hexagone, différents acteurs surveillent les zones de baignades : les pompiers, les CRS ou la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) qui couvre un tiers des plages avec plus de deux cents postes de secours et 1 300 surveillants de plage. Dans les Outre-mer, on manque de dispositif de surveillance des plages. La Réunion compte quelques postes de surveillance équipés car la municipalité a pris le sujet à bras-le-corps mais dans les Antilles ce n’est pas le cas. En Martinique, il y a des postes de surveillance mais sans moyen humain, en Guadeloupe il n’y a aucun poste sur les plages. On note toutefois que deux communes font de la surveillance de manière sporadique : Sainte-Anne et Le Moule. Pour le reste, c’est le néant.

©CNSM Guadeloupe

Pourquoi les plages ne sont-elles pas surveillées ?

Il y a plusieurs causes, d’abord la durée d’obligation de surveillance s’étale sur toute l’année dans les territoires ultramarins du fait qu’on se baigne tout le temps alors que dans l’Hexagone la période est plus courte. Le second sujet c’est le financement de ces opérations. En France continentale, ce sont les communes qui recrutent des gens formés pendant la période estivale pour surveiller les plages, les communes ont beaucoup plus de moyens et ils sont concentrés sur une courte période. En Guadeloupe, nous n’avons à ce jour pas les moyens de mettre en place ces surveillances.

À qui revient la responsabilité de la mettre en place ?

La responsabilité de la surveillance des plages dans la zone des 300 mètres revient aux maires des communes. Cette surveillance est selon nous essentielle car c’est un des moyens de prévenir les accidents, s’il n’y a pas de surveillance c’est une loterie !

Quelles sont les missions de la SNSM ?

En Guadeloupe, on compte trois stations SNSM, notre mission est d’intervenir en mer. On fait entre 80 et 100 interventions chaque année. On intervient exclusivement sur demande du Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) Antilles Guyane. On aide des bateaux en difficulté en mer, mais aussi des kitesurfeurs ou des véliplanchistes en difficulté au large des côtes. À l’année, on secourt environ 150 personnes. Nous n’avons jamais été appelés pour faire de la surveillance plage, car ce n’est pas notre mission et nous n’avons pas la formation requise.

Si dans l’Hexagone la SNSM peut participer à des missions de surveillance de plage, pourquoi ce n’est pas le cas des stations ultramarines ?

Dans l’Hexagone, la SNSM met à disposition des communes du personnel formé et participe aussi à des formations de surveillants de plage. La problématique chez nous reste la même : les communes n’ont pas les moyens de recruter. Nos équipes sont constituées de bénévoles, nos marins n’ont pas les compétences pour être surveillants de plage mais on peut être impliqué dans des projets via le conseil, la formation, la logistique mais pour cela, il faut une volonté politique et des moyens qui vont avec. Mais nous avons quelques éléments qui nous font espérer !

Lesquels ?

Depuis plusieurs années, la SNSM est sollicitée par la région pour apporter des solutions à la problématique des noyades et à la surveillance des plages. Une nouvelle idée a émergé : plutôt que de recruter du personnel, nous réfléchissions à la possibilité de former du personnel déjà existant dans les communes. Ce serait des personnes volontaires à qui on apporterait une formation complémentaire pour être surveillant de plage sur des périodes données.

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On travaille avec une commune pilote, celle de Port-Louis, pour mettre en place ce projet. On pourrait aussi cibler des personnes qui ont déjà des diplômes équivalents, comme des surveillants de piscines pour les scolaires. On complète ensuite la formation par un permis bateau et côtier ainsi qu’un permis radio. Travailler avec des employés communaux est un des moyens privilégié aujourd’hui pour débloquer la situation malgré le manque de moyens.

Qui porte ce projet ?

Ce dossier est une initiative de la région Guadeloupe et du département mais c’est l’organisme Guadeloupe Formation qui pilote le projet. La SNSM apporte quant à elle un appui logistique sur ce sujet et on accompagne aussi une formation complémentaire dédiée à l’environnement marin.

Quels sont les conseils et les recommandations que vous pouvez donner aux usagers de la mer en cette période estivale ?

C’est très important d’écouter attentivement la météo avant de partir en mer. Avant le départ, il faut aussi prévenir un proche et lui indiquer son heure théorique de retour, grâce à cela, la personne sera en capacité de donner l’alerte si on ne revient pas, ce qui permet de raccourcir les délais d’intervention. Nous conseillons aussi d’avoir du matériel en bon état, de respecter les règles de sécurité comme le port du gilet. Le maître-mot c’est prudence !