Avant d'explorer les Fonds marins des Outre-mer, il faut les connaître

Photo- Campagne FUTUNA 2012/IFREMER-NAUTILE

Avant d'explorer les Fonds marins des Outre-mer, il faut les connaître

Entre 200 et 5 000 m de profondeur, ils restent une terra incognita d’ombre et de froid. Une des dernières zones du globe à explorer. 80% environ sont à cartographier et très peu d’espèces les habitant nous sont connues.

L’Outre-mer est directement concerné puisque les îles et territoires répartis sur tout le globe permettent à la France de tenir le 2° rang des puissances maritimes mondiales. D’où l’intérêt porté aux Outre-mer au moment où il faut définir la stratégie maritime nationale, avant le « One summit Ocean » qui se déroulera à Brest en Février 2022.

Et c’est pourquoi la commission outre-mer sénatoriale tenait à entendre le 9 décembre Jean Marc Daniel de l’IFREMER, Laurent Kerlèguer du SHOM et Jean-Louis Levet, Secrétaire général de la mer. Car il s’agit bien de définir une stratégie nationale à partir des immenses ZEE, et de leur continuité en zones profondes notamment dans le Pacifique avec la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, au moment où des pays, privés d’importantes zones marines, se lancent dans une exploration en prévision de l’exploitation comme la Chine, le Japon, la Corée ou même l’Allemagne…

En France, pour l’instant, malgré la création du Ministère de la Mer, on compte sept ministères concernés. Un énorme travail d’approches systémiques, de stratégies, de liens entre la mer et le climat, de définition de nouveaux modes de développement, d’exploration sont nécessaires. La réforme d’une partie du code minier connue depuis août dernier, nécessite que soient rediscutés les droits des collectivités territoriales concernées et le droit de la France. Pour l’instant aucune réglementation internationale n’existe.

Une course s’est engagée entre scientifiques et exploitants

Pour les scientifiques, il s’agit de connaître avant d’explorer car comme le dit Jean-Marc Daniel directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer, de l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) « on ne protège bien que ce que l’on connaît » d’où son scepticisme à l’égard de tous ceux qui se sont rassemblés pour réclamer un moratoire, un arrêt des campagnes en eaux profondes.  

Effectivement pour les ONG de l’environnement, derrière l’exploration se cache la possible exploitation et lors du Congrès mondial de la nature, qui s'est tenu en septembre dernier à Marseille, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a adopté une motion demandant un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins et "des évaluations d'impact" pour garantir la protection du milieu.

La France a rejeté ce moratoire et le président de la République assure que les 2 milliards d’euros dédiés dans France 2030 ne seront consacrés qu’à « l’exploration ». De toute façon, « déjà les grands fonds sont impactés par les activités humaines et ils recèlent des trésors pour l’innovation biologique. Les tests PCR par exemple sont constitués de molécules récupérées d’écosystème des grands fonds » rappelle Jean-Marc Daniel.  Mais on sait que toute exploitation aura un impact. La difficulté est de savoir lequel et de le quantifier. 

© NOAA Office of Ocean Exploration

Les 90 ONG rassemblées dans le moratoire estiment que derrière ces annonces d’intérêt commun se cachent des appétits pour les amas sulfuriques, les nodules polymétalliques, les gisements de ces terres rares dont on aura de plus en plus besoin. « On oublie souvent aussi que les fonds sont déjà le lit des câbles qui permettent au monde de communiquer, des pipelines, qu’il faut surveiller, protéger. C’est l’objectif de l’armée qui doit détecter tous types de systèmes malveillants », a précisé Laurent Kerléguer, directeur général, (service hydrographique et océanique de la Marine SHOM).

La France a conduit un référentiel géographique du littoral, des submersions, mais pas assez de travaux sur les grands fonds. Elle ne dispose pas comme les américains d’engins autonomes pour les explorations et elle ne bénéficie que de deux permis d’exploration qui lui ont été délivrés par l’Autorité Internationale des fonds marins : Clipperton et l’Atlantique Nord. Jean Louis Levet conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins, Secrétariat général de la mer exhorte le gouvernement à aller plus loin. 

Une nouvelle gouvernance de l’Océan est en marche

Il convient de redéfinir les droits des Collectivités territoriales et des populations locales, et les droits régaliens et géopolitiques mais aussi de finaliser le code minier. L’expérience de l’exploration malheureuse à Wallis et Futuna entre 2010 et 2012 ne peut se renouveler. Chefferies et autorités coutumières avaient manifesté leur opposition ferme à toute nouvelle opération par manque de concertation alors que le domaine volcanique s’annonce très riche. Cette expérience malheureuse ajoute aux difficultés techniques, aux manques de connaissance, à la supposée rentabilité économique, l’obligation de l’acceptabilité sociétale. 

On retiendra un conseil à l’issue de cette audition : être attentif à la gouvernance et engager le débat avec le public des zones concernées. 

Dominique Martin Ferrari