Nouvelle-Calédonie : Violents affrontements à Nouméa, la situation autour du dossier Vale NC dégénère, les réactions

Nouvelle-Calédonie : Violents affrontements à Nouméa, la situation autour du dossier Vale NC dégénère, les réactions

© Caledonia

Les tensions sont encore montées d’un cran en Nouvelle-Calédonie, installée dans une rapide escalade de violence depuis 48 heures. Tôt ce matin du lundi 7 décembre, des groupes de manifestants issus de l’ICAN et du Collectif Usine du Sud = Usine Pays, se sont attaqués à plusieurs lieux et infrastructures de Nouméa. Des barrages ont coupé plusieurs accès à la ville, des voitures incendiées, un bateau affrété par Vale NC désamarré, des heurts avec les forces de l’ordre émaillent la journée.

Le dialogue semble définitivement rompu. Alors que la table ronde du jeudi 3 décembre laissait entrevoir une sortie de crise, la journée de vendredi a laissé place aux inquiétudes, celle de samedi à la rupture du dialogue par l’ICAN et le Collectif, les premiers heurts et barrages s’en sont suivsi dimanche. Ce lundi, une étape est franchie, de nombreux heurts ont éclaté dans un regain de violence, des barrages, des voitures incendiées, des actes de sabotages ont été constatés. Le dossier de Vale NC, devenu éminemment politique, prend des allures de revendications indépendantistes et la situation semble chaque jour échapper un peu plus au contrôle des institutions.

Une journée marquée par les affrontements

Les violences entre manifestants et force de l’ordre ont commencé tôt dans la matinée aux abords du quai Ferry, où le Vale Grand Sud, bateau qui effectue les rotations vers l’usine de Goro a été désamarré par les manifestants, nécessitant une opération de secours afin d’éviter qu’il ne s’échoue sur les rochers.
S’ensuivent des heurts avec les forces de l’ordre, les manifestants armés de barres de fer ou de bouts de bois, répliquant par le caillassage aux lancers de gaz lacrymogènes. Des escarmouches ont eu lieu dans différents points de la ville, où de nombreuses dégradations ont été constatées, et plusieurs voitures incendiées. De nombreux axes routiers ont été coupés, notamment les accès à Nouméa, Saint-Louis, Mont-Dore et Bourail. Au-delà des points de blocages, des rassemblements de membres du Collectif et de l’ICAN ont été observés à Koné et à La Foa.

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Un contre-mouvement a également été constaté. Jusqu’ici l’apanage du Collectif et de l’ICAN, des manifestations et des barrages organisés par les loyalistes ont émergé dans la journée. Situation ubuesque à Bourail notamment, ou l’accès Nord de la ville est freinée par un barrage des indépendantistes, l’accès Sud, par les loyalistes. A Nouméa, c’est à Port-Moselle que les loyalistes se sont regroupés, mobilisés devant la Province Sud afin de dire stop aux blocages.

En réaction à une situation devenue explosive, la clinique de Nouville a demandé à ses patients de rester chez eux, plusieurs écoles ont demandé aux parents de récupérer leurs enfants, et l’Université de Nouvelle-Calédonie a demandé aux étudiants de ne pas se rendre sur le campus. Des épreuves du baccalauréat devant avoir lieu ce jour au lycée Jules-Garnier ont été annulées. Les transports en commun dans le Grand Nouméa ont été mis à l’arrêt dans la matinée, avant de reprendre aux alentours de 15 heures malgré quelques perturbations pour le secteur de Nouville.

A la mi-journée, le haut-commissariat annonçait que les barrages vers Nouméa avaient été enlevés, même si une opération de maintien de l’ordre se poursuivait à Nouville.
Les affrontements dureront jusqu’en début d’après-midi, où la situation sur Nouméa semble s’être apaisée, après l’intervention des forces de l’ordre et de nombreuses interpellations.
Et en fin de journée, la police nationale faisait état de 80 personnels engagés, renforcés par trois pelotons de gendarmes mobiles. 47 interpellations et huit blessés légers sont à déplorer, précisant qu’il s’agit de trois manifestants, quatre policiers et un gendarme.

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Après une journée de violence, les réactions

Par voie de communiqué de presse, les institutions, partis politiques et aires coutumières se sont exprimées tout au long de la journée, condamnant unanimement les violences et appelant au dialogue.

Sonia Lagarde, maire de Nouméa, « condamne avec la plus grande fermeté les violences urbaines qui ont touché indifféremment ce matin des équipements publics et des propriétés privées, dans la ville (…) voitures brûlées, dégradation de commerces, caillassage de la mairie de Nouméa, destruction de mobilier urbain… Ces actes inqualifiables ne permettent pas la nécessaire reprise du dialogue dans le dossier de l’usine du Sud. Ils ne permettront pas non plus d’engager sereinement les discussions quant à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.» Elle précise saluer et remercier « les forces de l’ordre qui sont engagées depuis ce matin pour ramener le calme et la sécurité, et […] partage l’émotion et l’exaspération de tous ceux qui ont pu être victimes ou témoins de ces actions violentes ».

Nouméa-CP

La Province Sud a réagi, appelant «au calme, à la responsabilité et au dialogue pour que cessent rapidement les violences et les dégradations (…) Depuis hier, des barrages et des actes de violence touchant la province Sud et plus particulièrement Nouméa, le Mont-Dore et Goro se sont multipliés, avec une escalade ce lundi (…) Nous saluons le courage des forces de l’ordre qui a permis de sécuriser la ville de Nouméa et les salariés de l’usine du Sud.»

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Le président du gouvernement, Thierry Santa, a également appelé au calme et à la reprise du dialogue, et « invite la population à faire preuve de responsabilité (…) La violence ne règle rien et ne constitue en aucun cas un cadre de discussion constructive », précisant apporter « son total soutien aux forces de l’ordre mobilisées pour garantir la libre circulation des marchandises et des personnes sur tout le territoire et assurer la sécurité de tous les Calédoniens ».
Dans la journée, le gouvernement instaurera une cellule d’urgence économique dirigée par Christopher Gygès, chargé de l’économie.

Le parti Calédonie Ensemble, dans un communiqué signé par les députés Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, et le sénateur Gérard Poadja, déplore que « depuis hier, de très graves troubles à l’ordre public se sont succédés partout dans le pays. Nous condamnons, avec la plus grande fermeté, ces atteintes intolérables à la sécurité des biens et des personnes. Elles nous renvoient aux heures les plus sombres de notre histoire (…) Nous appelons à nouveau l’Etat à prendre la main au plus haut niveau pour construire un règlement pacifique de ce conflit, dont la dimension politique est désormais patente […] Il en va de l’avenir de l’usine du Sud et des 3 000 familles qui en vivent. Il en va du maintien de la paix dans notre pays. Il en va aussi de notre capacité collective à construire, par le dialogue, un futur apaisé pour tous les Calédoniens.»

CalédonieEnsemble

Daniel Goa, président de l’Union Calédonienne, expliquait : « Il n’y a pas d’ordre public possible sans volonté de concertation ni respect de la parole donnée (…) Alors qu’un accord avait été trouvé, certains des participants ont délibérément choisi de mentir sur son contenu et sur les modalités concrètes de sa mise en œuvre (…) Non, Madame la présidente de la province Sud, il n’a pas été question de reculer la vente de l’usine de Goro de quelques jours, mais bien de laisser suffisamment de temps à Sofinor et Korea Zinc pour effectuer la due diligence qu’ils demandaient et être à même d’élaborer leur offre définitive d’achat ». Il s’exprime ensuite au sujet des manifestations, de son point de vu, « le scandale, ce ne sont pas les barrages érigés par les militants de l’Ican et des partis indépendantistes qui soutiennent le mouvement de contestation contre votre projet inepte de reprise (…) la présidente de la province Sud et la secrétaire générale du Rassemblement-les Républicains jouent un jeu indigne et dangereux ».

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Les Conseils des aires coutumières partagent le constat, et «appellent l’ensemble des manifestants et acteurs de mobilisation sur l’ensemble du territoire au calme et à l’apaisement des tensions, et condamnent fermement les dégradations commises à l’encontre des biens et de personnes (…) Nous appelons l’ensemble des parties concernées à prendre les dispositions nécessaires afin de permettre à nouveau de réunir les conditions favorables à la réouverture du dialogue, et l’État à réorganiser dans les plus brefs délais une autre table ronde».
Ils ajoutent que l’État a « rôle à tenir en tant que puissance administrative (…) Nous nous engageons à saisir le Comité spécial de décolonisation de l’Onu afin de l’informer de la situation actuelle ».

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Damien CHAILLOT