Deux hommes s’affrontant dans un combat de Danmyé en Martinique © Dalia del Arte
A l’occasion des 36èmes Journées européennes du Patrimoine dont le thème est Arts et Divertissements, Outremers 360 vous propose de découvrir ou redécouvrir l’histoire de deux arts martiaux aux Antilles.
Comme le Bélè (danse traditionnelle de la Martinique) ou le Gwo-ka (danse traditionnelle de la Guadeloupe), le danmyé (en Martinique)u le Maloyé (pratiqué en Guadeloupe) sont des danses de combat héritées des esclaves déportés d’Afrique.
En Martinique, le danmyé, connu aussi sous le nom de ladja ou de kokoyé. provient des danses initiatiques africaines. Dans son ouvrage «Le ladjia – Origine et pratiques», Josy Michalon fait remonter à la lutte KADJIA du peuple Basantché et à la lutte Kokoulé du peuple Kotokoli, tous deux du Bénin, les origines profondes du danmyé. «Outre la parenté au niveau de la terminologie (ladja/kadjia, kokoulé/kokoyé), les ressemblances au niveau de la symbolique, de la fonction et de la technique d’expression corporelle sont manifestes». Le danmyé oppose deux lutteurs qui associent frappes et saisies au rythme du tambour à l’intérieur d’un cercle formé par les spectateurs, le lawonn.
A quelques détails près, on retrouve en Guadeloupe un art de combat d’origine africaine appelé le mayolé. Tout comme le danmyé, deux combattants affrontent, cette fois armés de bâton, au son du tambour. Le mayolè du terme mayombé viendrait de la région du Congo et serait à l’origine un moyen de célébrer les morts et leur passage dans l’au-delà, le mot mayombé signifiant dieu.
Des danses de combats codifiés
Mélangeant danse et techniques de combat, le mayolé est codifié et pratiqué avec un accompagnement musical propre. Sur le rythme endiablé des ka (tambours en créole), du chanteur et des répondeurs (répondé), les danseurs se disputent à tour de rôle la maîtrise du jeu et se lancent des défis à l’aide de grands bâtons. « Au centre d’un cercle, les hommes (les bâtonniers) déploient majestueusement leurs grands bâtons et tentent par des mouvements circulaires entremêlés de gestes saccadés et dansés, d’esquiver ou d’attaquer à tour de rôle leur adversaire dans un incessant tourbillon où l’équilibre est sans cesse mis à l’épreuve».
De par son principe directeur, le danmyé est un art martial dynamique par excellence. Le pratiquant devrait avoir une parfaite maîtrise du «désékilib/ékilib»de son corps (équilibre dynamique). On distingue les mouvements sur place qui se font en équilibre ou en déséquilibre, et les mouvements en déplacement qui entraînent toujours un déséquilibre plus ou moins fort. Le danmyé obéit également à des règles précises. Pour lutter il est nécessaire d’avoir au moins une saisie (tjenbé), une technique de projection et une technique d’immobilisation.
L’Association Mi Mes Manmay Matinik, qui valorise cet art, y distingue deux grandes stratégies de lutte. D’abord le Lité an fòs où le danmyétè utilise sa propre force pour mettre en échec son adversaire. Il s’appuie principalement sur les notions de pousé et rédi accompagnées de dékoupé, koré, krochtaj.
Puis le Lité an déviyasyon où le danmyétè utilise la force de son adversaire pour le projeter ou le déséquilibrer. Il s’appuie principalement sur les notions de pousé et rédi articulée (en accompagnant l’effort et le sens du mouvement de l’adversaire) autour de concepts bay lè et moli bay. On utilise aussi le dékoupé et le koré pour accompagner le rédi et le pousé, le koré aussi pour déséquilibrer.
Ces techniques reposent sur deux principes stratégiques : Alé chèché moun-an (aller chercher l’adversaire) ou Atann ou Mennen moun-lan vini (attendre ou Attirer l’adversaire (selon qu’on appuie sur le premier ou le second verbe, on développe une science du combat différente).
Un art spirituel
Outre son aspect combatif, le mayolé revêt également une véritable dimension spirituelle. «Il y avait un rituel d’avant combat au cours duquel les lutteurs touchaient la terre avec la main, la portaient à la bouche, se frappaient la poitrine et regardaient le ciel. Il y avait une réelle dimension sacrée, religieuse. Ces luttes avaient une symbolique riche et variée, et nécessitaient la maîtrise d’un savoir-faire transmis de génération en génération» souligne Olivier Malo, auteur d’une thèse sur « le Mayolè et les luttes traditionnelles des Antilles françaises à la fin du vingtième siècle».
Selon les dires, les danseurs de mayolé ou plutôt les combattants étaient très craints du reste de la population. Le pouvoir du mayoleur digne de ce nom, réfugié dans la montagne, était de dompter la nature en faisant corps avec son bâton. On appelait cela « monter au bâton », l’occasion de recharger l’énergie vitale car pour le mayoleur, la nature est synonyme d’énergie.
Des associations au coeur de la transmission
Si aujourd’hui le mayolé a été remis au goût du jour par des passionnés, cet art martial guadeloupéen a bien failli disparaître. Jugé trop violent, il fut frappé d’interdiction par les maîtres et la papauté. Très implanté au Moule, la pratique s’étend ensuite à d’autres communes, plus particulièrement sur la Grande-Terre en Guadeloupe (Anse-Bertrand, Port-Louis, Petit-Canal) et Marie-Galante. Au Moule, l’Association des mayoleurs organise des manifestations destinées à replonger dans l’atmosphère d’antan et à mettre les anciens à l’honneur. Les prestations sont pour la plupart festives et s’opèrent au gré des rencontres en suivant le cycle cérémoniel de l’île. Cette association a d’ailleurs tenu en 2005 le premier festival du Mayolé du Moule.
Le danmyé fut aussi un temps proscrit des manifestations publiques. Après la départementalisation en 1947, des décrets municipaux interdirent la pratique du danmyé. La montée en puissance des groupes folkloriques durant les années 60, avec notamment le Ballet Martiniquais, a permis de faire renaître ce sport de combat au cours de joutes chorégraphiées. Avec les années 70 et l’émergence des mouvements indépendantistes, le phénomène prit de l’ampleur au point de devenir de plus en plus concret 30 ans après.
L’association Mi Mes Manmay Matinik structure et développe depuis une trentaine d’années la préservation et la valorisation du danmyé sur l’ensemble de l’île. Elle organise également des rencontres avec des maîtres de capoeira, de mayolè ou de luttes africaines. Chaque année, lors du Samedi Gloria, l’AM4 convie des spécialistes d’autres luttes comme le moringue réunionnais ou la lutte chinoise.