Quelques semaines après le lancement de la campagne et la signature de la charte de l’engagement à lutter contre les violences sexuelles sur mineurs à Mayotte par 10 personnalités locales et 20 représentants d’associations, le collectif dresse un premier bilan à mi-parcours. Parmi les enseignements obtenus grâce à son questionnaire en ligne : 37,2% des personnes interrogées affirment avoir déjà été victimes d’une agression ou d’une tentative d’agression sexuelle. Un sujet de notre partenaire Mayotte Hebdo.
Statistiquement parlant, on ne sait rien, ou presque, de l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants à Mayotte. Mais la campagne #wamitoo, lancée le 8 septembre dernier et qui court jusqu’au 20 novembre, est doucement en train de lever le voile sur le phénomène. À mi-parcours, le collectif CIDE a publié mercredi un premier bilan de cette « mobilisation thématique trans-partenariale sans précédent sur l’île », écrivent ses membres dans un communiqué.
« C’est inédit du fait que c’est la première fois qu’un collectif de 25 associations, soutenu par six institutions, se mobilise depuis huit mois sur un thème très peu abordé, en tout cas jamais abordé de front, ensemble, dans cette société », note Lydia Barneoud, la représentante du collectif CIDE (convention internationale des droits de l’enfant). Signe que ces efforts conjoints paient, « nous avons même dépassé d’autres départements en termes de sensibilisation et de cohésion sur cette thématique. Ils nous demandent à présent des conseils ainsi que nos outils, en particulier la charte, le questionnaire, la bande-dessinée, et la campagne graphique-audiovisuelle ! », se réjouit l’enseignante, déjà investie depuis de nombreuses années dans cette sphère, notamment au travers de l’association Haki Za Wanatsa.
Un quart a souhaité témoigner après l’enquête
Le questionnaire mis en ligne sur le site wamitoo.yt a ainsi récolté 495 premières contributions depuis le lancement officiel de la campagne. Il en ressort notamment plusieurs données clé, sur lesquelles les équipes de bénévoles bûchent sans relâche. Preuve de la difficulté à briser le tabou sur ces questions sensibles, 69% des répondant.e.s ont entre 20 et 50 ans et seuls ¼ ont souhaité témoigner à l’issue de l’enquête. Les moins de 15 ans ne constituent que 7,9% des répondant.e.s. Par ailleurs, une très grande majorité sont des femmes (75,9%), lesquelles « sont hautement concernées par les violences sexuelles sur le territoire », précise encore le rapport.
Sur les violences en elles-mêmes, les résultats de l’enquête sont, là encore, édifiants. La part des victimes, en premier lieu, qui est non négligeable : 37,2% des personnes interrogées ont répondu par l’affirmative à la question, « Avez-vous déjà été victime d’une agression ou d’une tentative d’agression sexuelle ? ». Et si 51,9% ont coché « non », 10,9% disent ne pas savoir si ce qu’ils/elles ont subi est une agression sexuelle – soit peut-être le signe potentiel d’une méconnaissance de ce qui constitue la nature même d’une violence sexuelle. Parmi eux, 82,05% n’ont jamais parlé ou très difficilement de sexualité avec leurs parents pendant leur enfance.
L’auteur des faits est connu dans la majorité des cas
Parmi les autres données importantes, il faut aussi mentionner les liens de la victime avec le mis en cause. Seuls 16,7% des répondant.e.s affirment qu’il s’agissait d’un inconnu. Un résultat qui colle à peu près avec les statistiques connues au niveau national. Une enquête de l’Ined (institut national d’études démographiques) menée en 2015 montrait ainsi que dans plus de 87% des cas, le/la mineur.e connaissait son agresseur, et qu’il existait même un lien d’amitié ou de connaissance dans 65% des viols. Au niveau de l’enquête #wamitoo, 22,2% ont affirmé connaître l’auteur des faits, 11,3% le désignait comme un membre de la famille proche et un tiers des répondant.e.s (la plus grosse part) évoquent un membre de la famille éloignée.
Il ne s’agit bien sûr là que de données préliminaires, mais qui donnent déjà un aperçu du phénomène des violences sexuelles faites aux enfants à Mayotte. « Nous sommes en train de traiter toutes les occurrences pour chaque question, avec l’aide d’un expert psy. On a déjà fait environ 4/5ème du travail », explique la porte-parole. « C’est très intéressant, il y a des choses qui se dégagent, qui rejoignent les statistiques nationales, et d’autres qui dénotent de spécificités locales. Ce qu’on voit aussi, c’est que dès que l’on crée un espace de parole, il est investi », se satisfait-elle. Même si les bénévoles à l’œuvre doivent alors supporter des témoignages particulièrement durs… « Quand on lit ça, on a envie de pleurer pendant trois jours », résume Lydia Barneoud.
« Un très bon début »
D’autres données quantitatives et qualitatives seront dévoilées à l’occasion du colloque du 20 novembre au CUFR, qui doit clôturer ces deux mois de mobilisation inédite pour le 101ème département. Au total, 92 acteurs associatifs et plusieurs milliers d’enfants et parents se sont mobilisés pour cette campagne, aux côtés des différents acteurs institutionnels tels que le rectorat, la préfecture, le Département, et la justice. « Nous avons atteint, voire même dépassé, nos objectifs dans certains domaines, par exemple dans l’Éducation nationale, avoir recueilli 28 fiches actions mobilisant 7 000 enfants, parents et collègues, c’est un très très bon début », souligne-t-elle.
60 000 euros ont par ailleurs été investis dans cette mobilisation, pour financer notamment les 10 affiches grand format placardées sur les panneaux extérieurs aux abords des grands axes routiers, 40 passages du clip shimaoré et kibushi aux heures de grande écoute et tous les autres supports de communication. Sans compter les 2 500 heures fournies par les bénévoles engagés pour l’émergence et la fabrication de la campagne #wamitoo. « C’est une période charnière, on sent qu’il y a cette volonté de pousser le mur de silence. C’est, qui plus est vraiment porté par les femmes mahoraises qui sont à nos côtés depuis le début, et aussi celles qui nous rejoignent chaque jour depuis le lancement », salue Lydia Barneoud.
Mayotte Hebdo