Fréquemment surnommé l’avocat du diable, ou de la terreur, l’ombre du Réunionnais Jacques Vergès (1925-2013) a longtemps plané sur la vie politique et juridique internationale. Mais qui était vraiment cet homme, camarade de classe de Raymond Barre, ami de Pol Pot et de Mao Tsé-Toung, défenseur notamment du dignitaire nazi Klaus Barbie, du terroriste Carlos, du meurtrier présumé Omar Raddad, de l'ancien président Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire et du dirigeant Khmer rouge Khieu Samphân ? Morceaux épars d’une vie pleine de complexité.
La vie de Jacques Vergès reste un mystère. Où et à quelle date est vraiment né l’avocat réunionnais ? Certains disent au Laos, en avril 1924, mais la date officielle rapporte sa naissance le 5 mars 1925 à Ubon Ratchathani, en Thaïlande. Incertitude aussi concernant la naissance de son frère Paul, fondateur et ancien président du Parti communiste réunionnais, décédé en novembre 2016. Est-il son jumeau comme souvent affirmé ? Ou est-il né après ? Aucun des deux hommes n’a jamais ouvertement répondu à ces questions. Il est toutefois avéré qu’ils sont les enfants du docteur Raymond Vergès, né à La Réunion et ancien consul en Thaïlande, et de Pham Thi Khang, une institutrice vietnamienne, qui décède alors que le petit Jacques a trois ans. A La Réunion, le PCR célèbre le centenaire de Paul Vergès ce 5 mars.
Son père et ses enfants rentrent à La Réunion en 1932, et s’établissent à Saint-André. Durant ses études secondaires, Jacques Vergès est scolarisé au lycée Leconte de Lisle, dans la même classe que l’ancien Premier ministre Raymond Barre (1924-2007). Après son baccalauréat, suivi d’une première année de droit, il quitte son île en 1942 pour s’engager dans la Résistance. En Angleterre, il rejoint les Forces françaises libres et combat en Italie puis en France, obtenant plusieurs distinctions. À la fin de la guerre, il adhère au Parti communiste français, et devient avocat en 1956.
Son militantisme internationaliste le conduit à défendre des membres du Front de libération nationale (FLN) algérien, alors en lutte armée contre la France coloniale. Il devient notamment l’avocat d’une figure emblématique de la résistance du FLN, Djamila Bouhired, torturée puis condamnée à mort pour attentat à la bombe. Il sauve finalement sa cliente, l’épouse et ont deux enfants. Jacques Vergès prend la nationalité algérienne à l’indépendance du pays en 1962, et devient chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Mais trop « maoïste » aux yeux des autorités, il doit repartir en France pendant deux ans avant qu’un changement de régime lui permette de revenir en Algérie comme avocat jusqu’en 1970.
Et puis, brusquement, Jacques Vergès quitte Alger. Sa dernière intervention publique se déroule lors d’une réunion anticolonialiste à Paris en février 1970, avant qu’il ne disparaisse inexplicablement jusqu’à la fin de l’année 1978. De cette absence mystérieuse, il dira : « J’ai pris comme principe de ne contester aucune des hypothèses. Si quelqu’un me disait qu’il a la preuve que j’ai habité pendant quelques années sur la Lune, je ne démentirais pas. (…) tout ce que je peux vous dire, c’est que je suis revenu de cette aventure mince, bronzé, aguerri… » (Jacques Vergès, ‘Le salaud lumineux’, conversations avec Jean-Louis Remilleux, éditions Michel Lafon, 1990).
Il reprend ses activités d’avocat. Jacques Vergès va alors défendre successivement les personnes les plus controversées ou même haïes de la société : le terroriste vénézuélien Carlos et ses compagnons, jugés pour quatre attentats commis en France ; le Libanais Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la perpétuité en 1984 pour complicité de meurtres de diplomates américains et israéliens à Paris et Strasbourg, toujours en prison actuellement ; le groupe d'extrême gauche Action directe ; le jardinier marocain Omar Raddad, accusé du meurtre de sa patronne à Nice, qui sera finalement gracié ; l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, et le dirigeant Khmer rouge Khieu Samphân, jugé au Cambodge pour crimes contre l'humanité, entre autres.
Mais son procès le plus médiatisé reste celui de l’Allemand Klaus Barbie, l'un des chefs de la Gestapo lyonnaise de 1942 à 1944. Vergès y pratique sa « défense de rupture » consistant à déstabiliser l’adversaire. Il met notamment en parallèle le nazisme et la violence du colonialisme. Sans succès. L’accusé sera reconnu coupable de dix-sept crimes contre l'humanité et condamné à la prison à perpétuité. La carrière du médiatique avocat, qu’il a poursuivie jusqu’au bout de ses forces, s’achève par son décès le 15 août 2013, à l’âge de 88 ans. Il succombe d’une crise cardiaque à l’hôtel particulier de Villette, à Paris, dans la chambre même où s‘est éteint Voltaire…
PM