Depuis la crise sanitaire de 2020, la filière du melon aux Antilles peine à se relever. Malgré une saison 2025 encourageante, l’avenir de la troisième filière agricole exportatrice des Antilles reste incertain, les producteurs n’ayant toujours pas reçu de réponse à « une part importante de » leurs demandes d’aides publiques dans un contexte budgétaire contraint. Pour Victor Nannette, président, et Charles Leclere, directeur de Caraïbes Melonniers, la survie de 250 emplois est en jeu. « Si les aides ne viennent pas, c’est l’existence même de la filière qui est menacée », alertent-ils, dans cette interview accordée pour Outremers 360.
Un niveau d’aides publiques insuffisant
Depuis 2020, la filière du melon en Guadeloupe et en Martinique accumule une succession d’aléas qui a vidé les trésoreries, fragilisé les structures et fait exploser les coûts de production. Après la pandémie de Covid-19, ce sont des sécheresses historiques en Guadeloupe, de 2021 et 2022, qui ont frappé les exploitations, suivies d’une crise de l’eau agricole toujours non résolue.
Et comme si cela ne suffisait pas, l’année 2024 a été marquée par des inondations exceptionnelles. « En trente ans, nous n’avions jamais connu de telles précipitations pendant le carême. Plus de 1 000 tonnes de fruits ont dû être détruites, entraînant une réduction de 50% du chiffre d’affaires des producteurs en Guadeloupe, à hauteur de 2,3 millions d’euros de pertes », confie Victor Nannette.
« Les aides ont couvert à peine 10 % des pertes », rappelle-t-il. « Au total, les producteurs n’ont reçu que 310 000 euros de compensation, tous dispositifs confondus. C’est dérisoire », déplore-t-il.
Charles Leclere poursuit : « Ce niveau d’aide est clairement insuffisant, même si les acteurs continuent de porter et d’assumer l’effort de relance. Les équilibres économiques au sein de la filière restent fragiles, et ce, malgré une campagne 2025 encourageante, caractérisée par un haut niveau de rendement, de la qualité et des résultats prometteurs. »
Une reprise fragile de la production en 2025
La saison 2025 offre, en effet, un répit. Avec 3 730 tonnes récoltées (Guadeloupe et Martinique), les exploitants retrouvent un niveau de production encourageant, et un chiffre d’affaires prévisionnel de 9 220 000 €. « Cette campagne prouve que la filière peut être rentable et performante. Mais il faudrait trois ou quatre années consécutives comme celle-ci pour retrouver un équilibre économique », analyse Victor Nannette.
En tout, 30 producteurs (24 en Guadeloupe occupent 110 hectares, 6 en Martinique sur 100 hectares) et près de 250 salariés dépendent directement de la filière, sans compter les emplois indirects. Un écosystème complet, producteurs, prestataires, transporteurs, distributeurs, qui reste sous tension.


Des demandes d’aides sans réponse, des appels à projets inadaptés
Pour Victor Nannette, le principal point de blocage reste l’absence de réponses de l’État sur les dispositifs d’aides : « sollicités depuis de longs mois sur la possibilité de mobiliser des aides du régime des minimis agricole, les ministères restent muets sur le sujet, laissant la filière sans visibilité durable sur les moyens d’une reprise.»
« Nous sommes sans nouvelles sur les dossiers FEADER déposés en 2024 et quand des appels à projets nationaux sortent, ils se clôturent en quinze minutes ! », s’indigne Charles Leclere, qui compare cette situation à une véritable course à l’échalote. « En 25 ans de métier, je n’ai jamais vu ça. On nous demande de bâtir des projets solides, d’assurer la structuration des filières, mais dans des délais impossibles : quinze à vingt minutes d’écoute, un ou deux devis à déposer en urgence… Peut-on réellement parler, dans ces conditions, d’un véritable appui à la structuration et d’un soutien durable aux filières ? »
Un contexte structurel fragilisé, un avenir incertain
À cela s’ajoute une série de difficultés structurelles qui fragilisent la filière. La maîtrise sanitaire des cultures reste complexe, en raison des nombreux retraits d’autorisations de mise sur le marché (AMM), entraînant l’émergence de nouvelles problématiques sanitaires (cécidomyies, mouches mineuses, maladies fongiques, aleurodes, etc.). Ces contraintes imposent des réorganisations techniques rapides.
Malgré une réponse favorable de l’Office de Développement de l’Économie Agricole d’Outre-Mer (ODEADOM) sur l’intégration des volumes destinés aux marchés Hors Région de Production (HRP) aux dispositifs circonstance exceptionnelle du POSEI, avec le soutien de l'État, Victor Nannette et Charles Leclere ne cachent pas leurs inquiétudes concernant l’avenir de ce programme européen, à l’approche du Cadre Financier Pluriannuel (CFP) 2028-2034 de la Commission européenne. « Une remise en question de ces soutiens, acquis de longue date au sein de l'ODEADOM, mettrait en péril la structuration des filières locales et affaiblirait leurs effets positifs sur la souveraineté alimentaire des territoires ».
Les tensions persistantes sur le foncier, la hausse continue des coûts de production et les difficultés d’accès à l’eau agricole accentuent la vulnérabilité des exploitations. Enfin, le renouvellement des générations d’agriculteurs constitue un enjeu central pour garantir la continuité et la pérennité de la filière, dans un contexte marqué par le vieillissement de la population antillaise.


L’export, levier de développement économique du territoire et pilier de la souveraineté alimentaire
Malgré les crises et les incertitudes, Caraïbes Melonniers s’appuie sur un modèle mixte alliant export et ancrage local, visant à la fois la pérennité économique de la filière et le renforcement de la souveraineté alimentaire dans les territoires caribéens. Ainsi, pour 2025, la coopérative vise 3 130 tonnes à l’export et 1 200 tonnes destinées aux marchés locaux, représentant environ 73 % du chiffre d’affaires sur l’export et 27 % sur le marché local. Aujourd’hui, 60 à 70 % du chiffre d’affaires provient des marchés intra-nationaux, principalement vers l’Hexagone, représentant 50 à 60 % des volumes produits. Parallèlement, le groupement explore de nouveaux débouchés pour diversifier ses revenus et sécuriser ses équilibres financiers.
Pour autant, le marché local reste un levier essentiel : il garantit aux populations un approvisionnement régulier en produits frais, sains et issus du territoire. « L’export structure notre production et nous permet de maintenir un niveau d’activité suffisant pour approvisionner le marché local », explique Charles Leclere. « Sans ce modèle équilibré, c’est toute la souveraineté alimentaire de nos territoires qui serait fragilisée, et il est important de souligner que l’assise économique générée par les activités de la filière melon permet également de soutenir la diversification des producteurs vers des Fruits et légumes autres que le Melon, fondamentaux pour la souveraineté alimentaire de nos Iles .»
Mais la filière ne se contente pas de produire : elle innove, se diversifie et anticipe. Caraïbes Melonniers investit dans la recherche agronomique et l’expérimentation variétale, le développement de solutions durables de protection des cultures, l’accompagnement technique des producteurs et la valorisation des savoir-faire et des circuits régionaux.

Une filière proactive mais victime collatérale des nouvelles orientations budgétaires
Plutôt que de rester les bras croisés, Caraïbes Melonniers se positionne dans une dynamique active, proposant des actions concrètes pour soutenir ses producteurs et renforcer la qualité et la durabilité de la filière. La coopérative investit dans le renouvellement des équipes, le dialogue permanent avec les producteurs, le renforcement des démarches qualité et environnementales, et des initiatives quotidiennes sur le terrain pour améliorer les pratiques agricoles, protéger les ressources et anticiper les défis de demain.
Mais sans visibilité ni soutien durable, la dynamique reste fragile. « Nous avons une dynamique très volontaire. Mais nous ressentons cruellement un manque de soutien. Même si nous comprenons le contexte européen et international », déplore Charles Leclere. « Aujourd’hui, nous avons clairement le sentiment d’être des victimes collatérales de ces changements d’orientation », conclut-il.
À la veille d’échéances politiques majeures, leur appel sonne comme un avertissement : sans visibilité, moyens et volonté politique, la filière pourrait être profondément fragilisée, compromettant les efforts de structuration engagés depuis plus de 40 ans.