Membre du Conseil scientifique de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, maîtresse de conférence en études américaines à l’Université de Lille et auteur de deux ouvrages « Une famille française » et plus récemment « La fabrique des identités », revient pour outremers360 au micro de Luc Laventure, sur son engagement et son travail de vulgarisation sur la mémoire de l’esclavage au sein de la Fondation. Une voix opportune en ce mois des mémoires 2020. – Éclairage –
« Faire autre chose que du purement mémoriel »
« C’est dans la mesure où nous saurons transmettre à nos enfants la culture du passé que nous pourrons leur offrir la possibilité d’inventer l’avenir ». Cet apophtegme d’Hannah Arendt a du probablement nourrir la réflexion d’Audrey Célestine lorsqu’il s’est agi de décider d’intégrer le Conseil scientifique de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage car ce qui semble avoir guidé son choix, c’est d’abord « pour faire connaître l’histoire de l’esclavage et tout ce qu’elle est à l’histoire de ce pays ».
Un travail débuté par le CPMHE (Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage) – l’institution prévue par la loi Taubira – et poursuivi aujourd’hui par la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage présidée par l’ancien Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui a choisi de s’appuyer sur des experts et des gens qui connaissent le sujet pour aider à son orientation générale et à la réalisation de ses projets.
Pour la chercheuse, docteure en sciences politiques et maître de conférence à l’université de Lille, qui pose d’emblée le postulat, « l’idée, ce n‘est pas seulement d’être dans le discours et dans la cérémonie, mais d’avancer concrètement, de partager pour faire connaître davantage ensemble cette histoire ». Bref, « faire autre chose que du purement mémoriel ».
Certes, semble par avance s’excuser celle qui a déjà à son actif deux ouvrages, dont « Une famille française » où elle revisite un siècle d’histoire de France à travers l’histoire de sa propre famille, et la « Fabrique des identités », un essai qui jette regard inédit sur deux trajectoires post-coloniales, certains domaines de compétence peuvent être absents et notamment le domaine économique de ce travail de mémoire, même si certains travaux d’histoire sont cependant mobilisés au niveau économique. Mais reprend l’enseignante « ce qui est important aujourd’hui, c’est réunir l’existant et ouvrir la voie à tout ce qui manque ». Il est fondamental s’empresse t-elle d’ajouter de « sortir du réseau confidentiel ».
Un segment assez large de déni de cette histoire
A la question de savoir s’il y a trop de gens empreints de bons sentiments qui oeuvrent autour de l’histoire de l’esclavage, Audrey Célestine estime au contraire qu’il existe un espace public saturé de gens qui n’ont pas de bons sentiments et qu’il y a plutôt un « segment assez large de déni de cette histoire ». Elle en profite pour souligner l’action bénéfique des associatifs qui ont pris une bonne part dans la vulgarisation de cette histoire même si celle-ci doit davantage encore être transmise.
L’historienne qui se définit plus volontiers comme politiste se dit confiante dans la nouvelle génération qui, affirme-t-elle, est « avide de cette histoire et a soif de la faire connaître ». En ce sens, Audrey Célestine voit son travail et celui de ses collègues au sein du Conseil scientifique comme une sorte de vivier où les gens qui se mobilisent avec les moyens du moment viendraient puiser des éléments afin d’irriguer le monde de cette histoire. « L’idée, c’est de leur donner du grain à moudre », veut croire l’universitaire pour qui « si on peut faciliter le travail en leur donnant des éléments et des outils, cela multiplie les perspectives », avant de rappeler qu’un petit groupe de travail a été constitué et s’articule avec le monde de l’art.
Toni Morrison, l’inspiratrice
Pour corroborer ses dires, Audrey Célestine prend l’exemple de Toni Morrison, l’écrivaine noire américaine morte en 2019 qui assurait avoir besoin de connaissances pour pouvoir faire de la littérature. Une vraie inspiratrice pour celle qui espère que son travail nourrira la prochaine Toni Morrison.
Cette passerelle avec l’art et la culture, Audrey Célestine a commencé à la franchir en collaborant avec sa mère, Chantal Defontaine sur un documentaire portant sur des épisodes majeurs de l’histoire de la Martinique. Un documentaire qui arrive avant les travaux des chercheurs semble regretter la sociologue qui espère malgré tout qu’il sera sera suivi de thèses et de travaux car, espère t-elle, « plus ils seront nombreux à lire nos livres et à se les approprier, mieux ce sera ». Un espoir qui résonne comme une volonté de ne pas désespérer de l’histoire, encore moins de l’homme.