PORTRAIT. La Martiniquaise Rébecca Assouline-Béra, magistrate à la Cour des Comptes souhaite créer des ponts entre les Outre-mer et les Grandes Écoles

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PORTRAIT. La Martiniquaise Rébecca Assouline-Béra, magistrate à la Cour des Comptes souhaite créer des ponts entre les Outre-mer et les Grandes Écoles

Depuis qu’elle a quitté sa Martinique natale après l’obtention de son baccalauréat, Rébecca Assouline-Béra s’est tracé un chemin jusqu’aux plus hautes sphères de l’administration française. Après être passée par Sciences Po, puis avoir intégré l’ENA, elle est désormais magistrate à la Cour des Comptes, à Paris, depuis un an et demi. Depuis, elle s’engage, à travers divers organismes pour plus de représentativité des Outre-mer dans les appareils administratifs et politiques de l’État mais aussi pour mieux accompagner les jeunes ultramarins qui souhaitent suivre des parcours d’excellence.

Rébecca Assouline-Béra a grandi en Martinique. Très tôt, des questionnements sur la société dans laquelle elle a grandi la taraudent. Son attachement à sa terre, une soif d’apprendre et un désir de justice sociale la poussent très tôt vers des filières d’excellence. 

« Je suis partie d'abord pour Sciences Po sur le campus euro-américain à Reims, pendant 2 ans. J'étais probablement influencée par le modèle américain que l'on regarde souvent chez nous comme un grand voisin et un modèle alternatif à l’ancienne métropole. Ensuite, j'ai passé 2 ans à l'université de Columbia à New York ». 

Cérémonie de remise des prix des Talents d'Outre-mer 

Après une première expérience dans un cabinet de Conseil aux États-Unis, elle décide de revenir en France, pour intégrer L'École nationale d'administration (ENA). Elle effectue, durant ces deux ans, des stages à la préfecture de Corrèze, puis à l'ambassade de France au Rwanda, qui renforceront son engagement envers l'État. Diplômée, elle devient magistrate financière à la Cour des Comptes où elle étudie des sujets tels que la lutte contre la corruption. 

Accompagner les jeunes talents

Durant ses années de scolarité, Rébecca Assouline-Béra fait la dure expérience du déracinement, mais c’est une autre problématique qui retiendra son attention pour la rédaction de son rapport de fin d’études. Intitulé « Peur du rien » et « Rêves d’ailleurs : le non-retour des jeunes Martiniquais diplômés », ce rapport analysait déjà en 2022 cette fuite des cerveaux et ses conséquences en termes de démographie, de développement et d’inégalités sur le territoire. 

« J'ai choisi ce sujet parce que je pense que c'est un vrai sujet de politique publique qui apparaissait sur la scène sans que les décideurs publics s’y intéressent forcément. Maintenant, ce n’est plus le cas, mais à l’époque, cela émergeait à peine. L'idée était de sortir des clichés et de comprendre pourquoi les jeunes diplômés ne rentrent pas. Est-ce seulement des freins à l'emploi comme on le pense ? Et la réponse est non. Il y a d'autres freins qui existent. À partir de ceux que j'avais identifiés, j'ai proposé des recommandations pour répondre à ces questions ».

Son engagement auprès de son île se traduit également par la fondation d’une association avec d'autres jeunes Martiniquais : De la Martinique aux Grandes Écoles, qui lutte pour l'égalité des chances et le développement de l’île. « C’est une déclinaison locale d'une association qui existe au niveau national. Nous avons vraiment cet objectif d'encourager les jeunes à rejoindre des grandes écoles s'ils le souhaitent, que cela s’inscrive dans un projet de mobilité ou pas. Nous intervenons régulièrement dans des lycées en Martinique pour proposer aux jeunes des modèles de personnes qui leur ressemblent et qui ont suivi des parcours variés : sciences politiques, ingénierie, culture, commerce, etc. ». 

Rébecca Assouline-Béra intervenant dans un lycée 

Cette envie de contribuer à son échelle à accompagner les jeunes de demain se traduit aussi par son engagement auprès du réseau des Talents de l'Outre-Mer depuis maintenant 6 mois. L’institution, qui rassemble et valorise l’excellence des ultramarins, est pour elle une opportunité de partager les difficultés et les succès, tout en promouvant une réflexion collective sur le développement des territoires d'outre-mer. « Nous avons eu, récemment, un symposium sur les atouts des Outre-mer lors duquel je suis intervenue. C'est aussi important de réfléchir à comment nos talents et nos atouts peuvent être mis à disposition d'une réflexion sur les Outre-mer. »

« Réflexe Outre-mer »

Une meilleure intégration des spécificités des territoires dans les politiques publiques nationales ; une plus large représentation des ultramarins dans les postes à responsabilité ; une approche plus transversale et inclusive des territoires ultramarins… Rébecca Assouline-Béra se bat pour que se développe un « réflexe outre-mer ». 

« J’ai vraiment conscience du fait que si nous, ultramarins ou personnes sensibilisées aux Outre-mer, ne sommes pas mobilisés, lorsque l’on écrit des lois, nous arrivons dans une situation où nous sommes oubliés, où on nous raccroche à la fin dans une loi déjà construite et qui, par définition, n'est pas pensée pour nous. Aujourd'hui, au sein de l'appareil d'État, une direction générale des Outre-mer existe et cela exonère trop souvent les autres administrations de penser aux Outre-mer, se disant que c'est pris en charge par cette direction ». 

Si les prochaines missions de Rébecca l’emmèneront bientôt aux Antilles, cela ne l’empêche pas de continuer à vouloir accompagner les plus jeunes. « J’ai vécu le déracinement de manière douloureuse, comme beaucoup de jeunes autour de moi. J’en ai fait un sujet personnel. Avant même de penser au retour, nous essayons de réfléchir à comment construire et accompagner des parcours en Martinique ou ailleurs. Cela soulève des enjeux de politiques publiques, sur la continuité territoriale par exemple, mais surtout, c’est un sujet que l’on devrait avoir au sein de la société ».

Abby Saïd Adinani