Nouvelles en Polynésie : « Ma Nouvelle Vie à Paris » de Prudence Suard

Nouvelles en Polynésie : « Ma Nouvelle Vie à Paris » de Prudence Suard

Métro des Abbesses, 18ème arrondissement de Paris ©DR

Prudence Suard a remporté le 4ème Prix du premier Concours littéraire de la Délégation de la Polynésie française à Paris, avec sa nouvelle « Ma Nouvelle Vie à Paris ». Avec simplicité, Prudence Suard décrit les premières heures passées dans la Capitale, que tout oppose à son île natale et son Fenua : le climat, l’absence d’océan, les habitudes quotidiennes, la nourriture et les attitudes. Vite gagnée par le « spleen », Prudence Suard reviendra de ses études dans l’Hexagone « plus débrouillarde et indépendante »

Quand je suis arrivée à Paris, j’étais toute excitée. A la fois excitée et à la fois j’avais peur, peur de l’inconnu. C’était donc un sentiment étrange. C’était étrange, hier encore j’étais à Tahiti avec ma famille, et le lendemain j’étais à l’autre bout du monde, à la Cité Universitaire de Paris. Il y avait des étudiants de tous les pays. J’étais là avec ma valise. C’était comme dans les films américains, où on voit les étudiants sur le campus universitaire américain. J’étais enthousiasmée de voir tous ces gens : des anglais, des espagnols, des réunionnais, des africains, des chinois etc. Toutes ces personnes étaient venues faire leurs études à Paris comme moi. Je me souviens qu’un canadien s’était approché de moi et m’a demandé avec son accent canadien : « tu es perdue ?». Je ne comprenais rien du tout à ce qu’il me disait. C’était la première fois que j’entendais l’accent canadien et ça ressemblait à du charabia ! J’ai eu tout de suite envie d’appeler ma maman, pour lui dire que j’étais bien arrivée à Paris et que le vol s’était bien passé. Mais hélas, il était 13h à Paris, ça veut dire qu’il était une 1h du matin au Fenua[1], car il y a 12 h de décalage horaire. Je ne pouvais pas l’appeler maintenant, il fallait attendre que le jour se lève à Tahiti. Pourquoi y-a-t-il autant de décalage horaire ? Ça m’énervait !

L’excitation du début allait vite passer, et je ne savais pas encore, mais j’allais vite déchanter, et le spleen allait me gagner…

Je m’appelle Heimata, ça veut dire « couronne des yeux » en tahitien, on peut traduire ça par « ouvrir les yeux ». C’est peut-être pour ça que j’aime regarder les gens. Je suis timide et je ne vais pas facilement vers les autres, je suis renfermée et même un peu sauvage. « L’autre » est un inconnu pour moi, je ne sais pas quoi lui dire. Je préfère l’observer attentivement de la tête au pied. Je me souviens les premières fois où j’ai parlé toute timidement aux faranis[2] avec mon accent tahitien. Les faranis trouvaient ça très joli et bizarre à la fois. Nous les tahitiens on « roule les R », mais on ne se rend même pas compte de notre accent. Ils me faisaient répéter plusieurs fois des mots, rien que pour pouvoir entendre mon bel accent tahitien qu’ils adoraient.

Paris est une belle ville, il paraît que c’est la plus belle ville du monde… Mais pour moi, il n’y a pas de plus bel endroit que Tahiti. Je décidai tout de même d’aller explorer Paris à pieds. Je marchais des kilomètres et des kilomètres. Je n’avais jamais autant marché de ma vie. J’avais mal aux pieds. Les avenues étaient interminables, avec des magasins, des commerces et des restaurants à n’en plus finir. A droite, à gauche, tout partout il y avait des choses à regarder. Les bâtiments avaient une belle architecture, surtout les immeubles Haussmanniens. Ils ont une façade imposante, construite en pierre de taille, les fenêtres sont protégées par des petits balcons filants en ferraille, qui donnent beaucoup de charme. Les toits bleu-gris avec leurs petites cheminées orangées font le charme de Paris. La ville est belle, mais pour moi c’était sans plus. Elle ne me suscitait aucune d’excitation particulière. Au contraire, je la trouvais trop grande, immense et stressante. Je me sentais perdue dans cette ville immense.

Et Paris c’est aussi la ville des crottes de chien ! Une fois c’était très cocasse, je me rendais sur le chemin de la fac, à pied. Et l’inéluctable s’est produit, j’ai marché sur une crotte de chien ! On dit que ça porte chance quand on marche sur une crotte, mais moi je ne trouvais pas la situation drôle. J’ai frotté ma chaussure pour enlever toute la crotte que je pouvais mais hélas je ne trouvais pas de robinet d’eau à proximité. Je suis quand même allée à la fac comme ça. Je ne vous raconte pas l’odeur…

Je me souviens la première fois que j’ai pris le métro. Je n’avais jamais pris le métro, car il n’y a pas ça à Tahiti. Je ne savais ni prendre le métro, ni prendre le bus. J’avais seulement pris le truck[3]  à Tahiti. Alors découvrir le métro c’était comme découvrir une autre planète ! Un monde sous-terrain, agité, bruyant et stressant ; ça fourmille de gens pressés qui marchent très très vite. Je me demande où est-ce qu’ils vont comme ça ? Je ne comprenais rien au plan du métro.  Il y avait des intersections partout, avec des lignes de couleurs différentes qui se croisent, et se recroisent. Je ne savais pas où est-ce que j’allais atterrir, et comment j’allais faire pour rentrer ? Heureusement que ma cousine, qui habitait à Paris depuis longtemps, m’a expliqué comment prendre le métro. Elle s’est déplacée avec moi pour me montrer. Les gens dans le métro ont l’air triste, car ils ne sourient pas. Ils ne se parlent pas, pourtant ils sont collés les uns sur les autres, surtout aux heures de pointe, et c’est la bataille pour se frayer un chemin dans le métro.

Une fois, j’ai voulu aller faire les magasins. Alors je me suis levée tôt, à 6h30 du matin (comme à Tahiti), je prends mon petit-déjeuner et je me prépare pour pouvoir être devant les magasins à 7h30. Je prends le métro comme une grande, et quelle déception quand j’arrive devant le magasin ; Il n’ouvrait qu’à 10h ! Et c’est comme ça pour tous les magasins de Paris. Je ne comprenais pas pourquoi ça ouvrait si tard ? J’étais incrédule. J’ai appris par la suite que les faranis se lèvent tard, et commencent à travailler vers 9h. Ils finissent leur travail vers 18h, mangent vers 20h ou 21h et se couchent vers 23h. Quel décalage de vie par rapport aux polynésiens ! Les polynésiens sont des lève-tôt et des couche-tôt, alors que les français sont des lève-tard et des couche-tard.

Plus les jours passaient, et plus je me sentais seule. Ma maman me manquait. J’étais très proche de ma maman. Je me souviens par la suite des longues heures au téléphone. Moi qui était triste et pleurait, et elle qui essayait de me réconforter du mieux qu’elle pouvait. Fa’a’ito’ito[4] qu’elle me disait ! Combien de fois m’a-t-elle répété ce mot ? A l’époque il n’y avait pas encore les nouvelles technologies d’internet d’aujourd’hui, donc on s’appelait avec le téléphone fixe, et la facture de téléphone revenait très cher ! Plusieurs fois je lui disais que je ne pouvais plus rester en France car c’était trop dur, je voulais abandonner mes études et rentrer à Tahiti. Combien de fois elle insistait pour que je continue, et que je sois courageuse quoi qu’il advienne. Fa’a’ito’ito !

Plus les jours passaient, et plus je déprimais. L’hiver est vite arrivé. Il faisait froid, très froid. Je perdais de la couleur et devenais de plus en plus blanche et pâle. Adieu ma belle couleur de peau bronzée caramel ! J’avais l’impression que l’hiver était interminable. Les jours se ressemblaient : gris sans soleil. Ce temps ne m’aidait pas à avoir le moral. Il n’est pas rare en hiver, de voir le thermomètre baisser en dessous du zéro, moins deux ou trois degrés… Il faisait très froid, au point de me geler les mains et de me couper la circulation sanguine. Ma peau devenait sèche et rugueuse. Ce n’était pas un temps adapté pour une fille des îles. Tout me manquait, ma famille me manquait, Tahiti me manquait.

Je repense à Tahiti, je me souviens de l’odeur du coprah, de la vanille, de la tiare[5], des bonbons cocos, de la papaye, de la mangue, des goyaves. Je me souviens des petits-déjeuners le dimanche avec cochon rôti, firifiri[6], poisson cru et taro (tubercule de la famille des Aracées). L’odeur du bon café au lait de coco. Je me souviens du son du to’ere[7], des répétitions de danses, des spectacles du Heiva[8]. Je me souviens des pirogues et des surfeurs. Je me souviens des rires des copines. Je me souviens de la gentillesse des tahitiens, toujours souriants, mais aussi des mamas tahitiennes qui crient après leurs maris. La bringue bien arrosée qui se termine toujours très tard. Et le chant du coq qui nous réveille tôt le matin. Que de bons souvenirs qui me paraissent déjà loin… Je repense à la mer, à l’océan qui nous berce. Le bruit des vagues qui s’échouent sur le récif. Le soleil qui brille sur le lagon. Les poissons que l’on voit à travers l’eau. La mer qui m’enlace et me caresse la peau. Le sable chaud sous mes pieds. Ma peau bronzée qui dore au soleil. J’adore la mer, j’ai toujours grandi avec elle, c’est comme si elle fait partie de moi. Le fait d’être à Paris, sans voir la mer fut très dur pour moi ; j’étais comme un poisson hors de l’eau.

J’errai dans la ville et dans le métro, avec une impression de vide intérieur, comme si j’étais un fantôme, avec nulle part où aller. J’étais déconnectée de tout. J’étais seule avec mes pensées. J’entendais le bruit des rails du métro. Je sentais que ça commençait à venir… Je ne voulais pas mais c’était plus fort que moi… Je me suis mise à pleurer. Comme ça, dans le métro, sans raison apparente. Je ne pouvais plus contenir mes larmes, et j’éclatai en sanglot devant tout le monde. Les gens me regardaient d’un air dépité, ils se demandaient qu’est-ce que j’avais ? Mais personne n’est venu me demander ce que j’avais. Les gens étaient soit indifférents, soit ils ne savaient pas comment m’aborder. A Tahiti, on serait venu me parler et me réconforter. On ne laisse pas pleurer les gens comme ça. Mais pas ici, c’était différent, tout était différent… « c’est marche ou crève » ! Tu dois te débrouiller tout seul. Cet épisode de ma vie m’a quand même endurci. J’ai su qu’il fallait que je me relève, et devienne plus forte. « Fa’a’ito’ito ».

Tahiti et Paris sont deux endroits complètement différents, que tout oppose. Je sais que je dois m’adapter à ce changement de vie et qu’un jour je serai de retour au Fenua auprès des miens. Je sais que le fait d’être à Paris me fait déjà grandir. Je deviens plus débrouillarde et indépendante. Je sais qu’un jour je retournerai au Fenua, avec toutes les connaissances et les diplômes que j’aurai acquis. Mais également avec la maturité, la sagesse, et la force d’esprit. On dit que les années étudiantes sont les plus belles, c’est sûrement vrai. Elles nous enrichissent non seulement par les études, mais par les rencontres que nous faisons, les expériences que nous vivons. On se souvient des personnes avec qui on a partagé de bons moments, on a ri, on a fait la fête toute la nuit. Toutes les personnes que nous croisons un jour laissent une trace dans notre vie. Au travers de mon expérience à Paris, je saurai tirer profit du meilleur, et un jour je rigolerai à nouveau sous le soleil de Tahiti.

[1] Fenua : terre natale de Tahiti
[2] Faranis : français de métropole
[3] Truck : transport en commun tahitien
[4] Faaitoito : courage
[5] Tiare : fleur emblématique de tahiti
[6] Firifiri : beignet
[7] Toere : instrument de musique
[8] Heiva : fête de danse tahitenne

Pour (re)voir les premières nouvelles lauréates du COncours Littéraire de la Délégation polynésienne à Paris, publiées par Outremers360, c’est ici: 

Nouvelles de Polynésie : « Au fond de moi une déchirure » de Stéphanie-Poerava Willmann

Nouvelles de Polynésie : « Tina ou le Rêve sans fin » de Dinah Desjardins

Nouvelles de Polynésie : « Ton Cœur qui bat dans le mien » de Mareva Bouchaux

Nouvelles de Polynésie : « La Caresse du Ciel » de Jérémie Vernaudon