Du jeudi 28 avril au soir au dimanche 1er mai, le Premier ministre Manuel Valls sera en Nouvelle-Calédonie pour une intense visite officielle. Sur le Caillou, il rencontrera les élus politiques, les acteurs de l’économie et particulièrement du secteur minier, ainsi que les instances coutumières propres à la Nouvelle-Calédonie. Il se rendra ensuite en Nouvelle-Zélande, accompagné par les présidents des gouvernements calédonien et polynésien.
« La plupart des Premiers ministres se sont rendus en Nouvelle-Calédonie », confient les membres du cabinet de Manuel Valls, « il est donc tout à fait normal que le Premier ministre s’y rende ». Pour Manuel Valls, ce sera son premier voyage en Nouvelle-Calédonie, mais celui-ci « connait très bien le dossier », nous assure-t-on. En effet, depuis les Accords de Matignon en 1988, il est devenu une tradition républicaine que ce soit le numéro 2 de l’Etat qui suive l’évolution institutionnelle calédonienne de près. Manuel Valls était, dès 1988 et en 1998 lors des Accords de Nouméa, proche du dossier, notamment pour avoir travaillé auprès de Michel Rocard et Lionel Jospin. Le cabinet du Premier ministre a également rappelé l’implication de ce dernier lors des comités des signataires, puisqu’il en a présidé trois depuis sa prise de fonctions à Matignon. Une visite « logique » donc. En Nouvelle-Calédonie, le Premier ministre sera accompagné par George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, Christian Karembeu et trois parlementaires dont René Dosière (PS) et Dominique Bussereau (LR).
Avenir institutionnel et politique, litige électoral et crise du nickel
A l’occasion de ce déplacement, retardé de quelques semaines en raison des débats autour du projet de loi Travail, Manuel Valls devra surtout s’employer à rassurer les calédoniens sur plusieurs enjeux de taille pour cette Collectivité au statut original et complexe. D’abord, les questions institutionnelles et politiques avec notamment le litige autour des listes électorales. Face au désaccord qui règne autour du périmètre des Calédoniens admis à voter en 2018, le Premier ministre devrait rappeler le compromis politique établi lors des comités des signataires de juin 2015 et février 2016, « qui paraît être le plus sage et le plus équilibré ». Mais cet accord conclu entre les différents signataires lors du dernier Comité de Suivi provoque toujours de nombreux recours de « citoyens calédoniens » se considérant exclus du corps électoral restreint appelé à s’exprimer d’ici novembre 2018 sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie. Le Premier ministre se gardera bien de prendre une position différente car l’Etat, rappelle-t-on, ne peut qu’être arbitre sur cette question. Vient ensuite l’épineuse crise du nickel, première ressource économique du territoire intimement liée à son avenir institutionnel. Pour l’heure, pas d’annonces, Manuel Valls en réserve l’exclusivité aux calédoniens. Mais le cabinet du Premier ministre indique déjà que la réflexion portera la part de l’Etat dans le capital d’Eramet, maison mère de la Société Le Nickel, principal pourvoyeur d’emploi privé en Nouvelle-Calédonie. Il plaidera aussi en faveur de la transition d’une économie historiquement dominée par le nickel à une économie mixte assise sur d’autres richesses, pêche, agriculture ou tourisme. En effet, le nickel représente 80 % de l’activité économique privée, 20 à 25% de l’emploi local et 90% des exportations ! Le minerai irrigue toute l’économie calédonienne, avec beaucoup de sous-traitance et d’emplois indirects.
Hommage à Jean-Marie Tjibaou, figure historique de la revendication indépendantiste Kanak
Dès vendredi matin, Manuel Valls entamera ses visites aux institutions calédoniennes ; gouvernement, Congrès, Sénat coutumier et autorités de la Province sud. Il rencontrera les jeunes chercheurs de l’Université de la Nouvelle-Calédonie mais surtout, une étape est prévue à l’usine historique de Doniambo, située à l’entrée de Nouméa. C’est là qu’il prononcera son discours sur le nickel et tentera de rassurer les professionnels du secteur. Il abordera enfin, dans la soirée de vendredi, les questions institutionnelles. Il y sera accompagné par Alain Christnacht, pivot des Accords de Matignon avec Michel Rocard, puis des Accords de Nouméa 10 ans plus tard, ancien Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et chargé par Manuel Valls d’une « mission d’écoute, d’analyse et de conseil » dans le volet institutionnel en 2014. Le lendemain, samedi, le Premier ministre visitera une exploitation agricole de La Foa, sur la Côte Ouest de la Grande Terre, « une autre facette peu connue » de la Nouvelle-Calédonie, nous assure-t-on du côté du cabinet. Cette visite appuiera notamment la réflexion sur le développement d’autres secteurs économiques pour pallier la crise du nickel. Il se rendra par la suite à Koné où il prononcera un discours devant l’Assemblée de la Province nord. Tradition oblige, le Premier ministre y prendra part à une cérémonie coutumière. L’après-midi, Manuel Valls est attendu dans la tribu de Tiendanite, sur la Côte Est, où il déposera une gerbe sur la tombe de Jean-Marie Tjibaou, leader historique des indépendantistes Kanak et artisan des Accords de Matignon avec son alter ego « loyaliste » Jacques Lafleur. Le cabinet du Premier ministre prévoit également un moment réservé à la mémoire de ce dernier dans la nouvelle mouture de ce programme intense en Nouvelle-Calédonie. Pour clôturer cette deuxième journée, Manuel Valls rencontrera lors d’un dîner les élus de Wallis et Futuna. La Nouvelle-Calédonie abrite une très forte communauté wallisienne et futunienne, plus importante ici qu’à Wallis et Futuna.
La place des Outre-mer au coeur de leurs régions respectives
Le troisième et dernier jour sera consacré à la visite du Centre culturel Tjibaou et aux Îles Loyauté, Province calédonienne à part entière. A Lifou, Manuel Valls sera reçu à la grande chefferie de Hnatalo, à l’Assemblée de la Province des Îles Loyauté et se rendra sur le site touristique d’Easo, le tourisme figurant comme un des secteurs clés de développement économique, toujours en réponse à la crise du nickel. Le Premier ministre regagnera directement l’aéroport international de La Tontouta afin de se rendre en Nouvelle-Zélande pour le second temps de sa tournée océanienne. Cette visite en terre Maori revêt un caractère historique. Aucun Président de la République ne s’est rendu, jusqu’ici en Nouvelle-Zélande. Le dernier homme d’Etat français à s’y être rendu était Michel Rocard, en 1991. A l’époque, les relations entre la Nouvelle-Zélande et la France n’étaient pas au beau fixe, une crispation due à l’incident du Rainbow Warrior et aux essais nucléaires en Polynésie française auxquels la Nouvelle-Zélande était implicitement opposée. Aujourd’hui, les relations entre la France et cette puissance dynamique du Pacifique se décrispent. Manuel Valls sera accompagné sur place par Edouard Fritch, Président de la Polynésie française et Philippe Germain, Président de la Nouvelle-Calédonie. Lors du dernier Sommet France-Océanie, l’Etat a formulé le souhaite de voir rentrer, en tant que membre à part entière, les deux Collectivités d’Outre-mer au sein de la Communauté du Pacifique sud (CPS), et Wallis et Futuna en tant que membre observateur. La tâche n’est pas aisée puisque la CPS ne compte dans ses rangs que des Etats insulaires indépendants, un des critères d’admission à la communauté. Mais depuis le Sommet France-Océanie et la COP 21, l’Etat semble vouloir offrir aux Outre-mer davantage de poids diplomatique et économique dans leurs régions respectives. Durant ces deux derniers mois, deux conférences de Coopérations régionales ont été également crées, l’une aux Antilles et l’autre dans l’Océan Indien pour la Réunion et Mayotte.
Vers un soutien de la candidature d’Helen Clark ?
La Nouvelle-Zélande et l’Australie jouent un rôle particulier vis à vis des Etats insulaires du Pacifique, tant sur des sujets économiques, politiques, diplomatiques et même démographiques. La Nouvelle-Zélande est particulièrement attentive à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et nul doute que le Premier ministre développera la question avec son homologue John Key. Il est fort possible que ce dernier demande l’appui de la France à la candidature d’Helen Clark, ancienne première ministre néo-zélandaise qui brigue la succession de Ban Ki-moon au Secrétariat général des Nations Unies. Diplomate la plus haut placée dans la hiérarchie onusienne, elle figure parmi les favoris mais face à elle se dresse d’autres candidatures de poids comme celle d’Irina Bokova, directrice de l’Unesco. Quoiqu’il en soit, la Nouvelle-Zélande compte très certainement défendre cette candidature auprès de Manuel Valls. Cependant, l’Etat se gardera de livrer sa position sur le sujet. Étant membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, la France fait partie du quinté final qui aura le dernier mot sur la succession de Ban Ki-moon. Dans un volet plus culturel, Manuel Valls décorera Peter Jackson, réalisateur du Seigneur des Anneaux, de la médaille d’Officier des Arts et des Lettres. Le Premier ministre quittera la Nouvelle-Zélande le lundi 2 mai au soir.