Dans une lettre à Emmanuel Macron, l’indépendantiste Oscar Temaru demande la rétrocession de l’aéroport de Tahiti-Faa’a à sa commune et assimile l’Accord de l’Elysée à « un pacte colonial »

Dans une lettre à Emmanuel Macron, l’indépendantiste Oscar Temaru demande la rétrocession de l’aéroport de Tahiti-Faa’a à sa commune et assimile l’Accord de l’Elysée à « un pacte colonial »

Oscar Temaru en février dernier à Paris, alors qu’il recherchait des parrainages pour sa candidature à la Présidentielles ©Outremers360

Dans une lettre ouverte de trois pages adressée au Président de la République Emmanuel Macron, le leader indépendantiste polynésien et maire de la commune de Faa’a, Oscar Temaru, demande le « transfert de propriété et d’exploitation de l’aéroport international de Tahiti-Faa’a » au profit de sa commune. Il demande également que l’Etat prenne part aux discussions sur la « décolonisation » et « l’autodétermination » de la Polynésie à l’ONU et étrille en passant l’Accord de l’Elysée, signé en mars dernier par François Hollande et le Président polynésien Edouard Fritch.

C’est au bout d’un long cheminement que le leader indépendantiste vient, dans sa lettre ouverte à Emmanuel Macron, à sa demande principale : « le transfert de la propriété et de l’exploitation de l’aéroport international à la commune de Faa’a ». Pour précision, cet aéroport d’Etat, a été officiellement inauguré en 1961. Construit sur un motu (îlot), il devait notamment répondre aux besoins de ressources matérielles et humaines dans le cadre des essais nucléaires et longe la quasi-totalité du littoral de la commune de Faa’a. « Selon le principe constitutionnel stipulant qu’une collectivité territoriale ne peut exercer de hiérarchie sur une autre collectivité, la commune de Faa’a est tout à fait habilitée à demander ledit transfert », indique Oscar Temaru, « de plus, le Pays (gouvernement de la Polynésie, ndlr) refuse d’assumer pleinement l’exploitation de ce formidable outil de développement ».

L’aéroport de Tahiti-Faa’a est aujourd’hui géré par ADT-Aéroports, une filiale du Groupe Egis France, dont Oscar Temaru doute des intentions « d’investir dans le développement de la Polynésie ». « Cette filiale est-elle réellement au service de notre population ? », interpelle le maire indépendantiste. « De telles entreprises ne sont là que pour leurs propres bénéfices ». Pour étayer sa demande, Oscar Temaru rappelle le rôle de l’aéroport lors des essais nucléaires, une « base arrière » du Centre d’expérimentation du Pacifique. A cela s’ajoute, « les inondations régulières de la zone jouxtant la piste » et les « nuisances subies par la population de Faa’a depuis 50 ans ».

Long de 3km, l'aéroport international de Tahiti-Faa'a longe la quasi totalité de la commune du maire indépendantiste, privant la population d'un accès direct au lagon ©Tahiti Héritage

Long de 3km, l’aéroport international de Tahiti-Faa’a longe la quasi totalité de la commune du maire indépendantiste, privant la population d’un accès direct au lagon ©Tahiti Héritage

Oscar Temaru s’appuie enfin sur une décision du Conseil d’Etat, datant du 18 novembre 2015, reconnaissant que la structure aéroportuaire « affecte » de façon « directe et certaine (…), les intérêts propres de la commune » de Faa’a. « Mon gouvernement a (…) eu l’honneur de gérer avec dignité et professionnalisme ce grand outil de développement économique », souligne Oscar Temaru, qui a plusieurs fois occupé la fonction de Président de la Polynésie française entre 2004 et 2013.

Accord de l’Elysée : « une circulaire éditée par des techniciens »

La semaine dernière, le Président de la Polynésie française Edouard Fritch recevait la garantie du Président de la République de la mise en œuvre de l’Accord de l’Elysée, à l’issue des Assises des Outre-mer. Cet accord « ressemble à une directive, une circulaire édictée par des techniciens de l’Elysée » estime Oscar Temaru. « Il n’est rien de plus qu’un énième pacte colonial rappelant les plus sombres heures de l’Annexion de notre pays en 1880 », poursuit-il. « A-t-on compris que l’heure n’était plus au strict respect du cadre réglementaire et statutaire qui a paralysé ce pays depuis plus d’un siècle ? » s’interroge encore le leader indépendantiste, qui ne semble pas plus enthousiaste et réceptif aux Assises des Outre-mer.

Cet Accord de l’Elysée, annoncé en février 2016 par François Hollande sous le nom d’Accord de Papeete et signé en mars dernier, se veut être « un cadre » politique pour le développement économique de la Collectivité « au sein de la République », avec un volet sur la réparation des conséquences des essais nucléaires. « Comment, à l’heure même où les représentants du Pays ont les mains liées, pourrait-on parler de développement économique ? », lance Oscar Temaru.

La Polynésie, la France et l’ONU

« La colonisation est un crime contre l’Humanité », avait déclaré Emmanuel Macron, le 27 février dernier, alors qu’il était candidat à l’Elysée. « C’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes », poursuivait-il. En « infatigable combattant de la paix », Oscar Temaru « voyait là un signe de renouveau ». Au même moment, le maire de la commune la plus peuplée de Polynésie était d’ailleurs à la recherche de parrainages pour la course à la Présidence de la République, souhaitant faire de ce scrutin à suffrage direct un référendum et un argument de poids aux Nations Unies. S’il n’y ait pas parvenu, un de ces plus proches conseiller a toutefois été élu député de la 3ème circonscription de Polynésie lors des Législatives. Moetai Brotherson est d’ailleurs membre de la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale, une position stratégique pour la cause indépendantiste.

Depuis 2013, Oscar Temaru est auditionné par la Quatrième commission spéciale de l'ONU, chargée de la décolonisation. Depuis peu, le gouvernement polynésien (autonomiste) a pris part au débat, mais pas l'Etat ©DR / Facebook

Depuis 2013, Oscar Temaru est auditionné par la Quatrième commission spéciale de l’ONU, chargée de la décolonisation. Depuis peu, le gouvernement polynésien (autonomiste) a pris part au débat, mais pas l’Etat ©DR / Facebook

Pour rappel, la Polynésie française est réinscrite depuis le 17 mai 2013 sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU, comme la Nouvelle-Calédonie depuis 1986. Néanmoins, Oscar Temaru reproche à « la représentation française sise aux Nations Unies (…) sa politique de la chaise-vide » depuis cette réinscription, appelant à un « dialogue », « à la mode océanienne ». « Puis-je rappeler à la mémoire de tous que le processus de décolonisation (…) dans lequel nous sommes inscrits commande et exige que la République française mette en place tous les moyens de décolonisation ? », interpelle Oscar Temaru. Pour lui, « cette dernière passe (…) par l’éducation », et « l’octroi de compétences à même de favoriser un développement économique (…) choisi en vertu de nos ressources naturelles et nos compétences intellectuelles propres (océanisation des cadres) ».