L’Après en Outre-mer :  Et maintenant par Pascal Thiaw-Kine, PDG de E. Leclerc à La Réunion

L’Après en Outre-mer : Et maintenant par Pascal Thiaw-Kine, PDG de E. Leclerc à La Réunion

Outremers 360 vous donne la parole et partage le sentiment des acteurs socio-économiques des territoires d’outre-mer, à la veille de la période post-pandémie. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Pascal Thiaw Kine, PDG de E. Leclerc à La Réunion et de la marque Talents Réunion

Devant assurer la continuité de notre activité de Grande Distribution et pour permettre aux Réunionnais de s’approvisionner en nourriture, nous avons dû nous organiser pour garantir la sécurité de notre personnel et de nos clients.

Dès le début nous avions mis en place une cellule de crise en impliquant tous les responsables d’activités. Les gestes barrières ont été appliqués dès le début et les protections disponibles installées et mises à disposition ; gel hydroalcoolique pour le personnel et maintenant les clients, plexiglass puis masques et visières. Le télétravail a été déployé pour tous ceux dont la fonction ou le poste était compatible avec ce mode de travail. Les entrées dans les magasins ont été filtrées et contingentées. Nos prestataires en charge du nettoyage ont été mobilisés pour assurer des passages plus fréquents pour les caddies et les paniers et également pour les surfaces de contacts fréquents dans les magasins et les galeries commerciales.

Bien évidemment nous avons échangé de manière régulière avec les instances représentatives du personnel qui ont pris rapidement la pleine mesure de la situation. De longues dates, nous avons instauré un dialogue social dans l’entreprise qui est permanent et constructif. Pendant cette période nous nous réunissons avec les Délégués syndicaux chaque semaine et le CSE une semaine sur deux.

Concernant l’évolution de la grande distribution, elle va connaître des bouleversements profonds. Le Drive, la livraison à domicile, l’organisation des point vente seront pour moi à repenser. Il est encore trop tôt pour tirer toutes les conclusions mais nous devons y travailler.

«Depuis plusieurs années nous disons qu’il nous faut un nouveau modèle et un nouveau contrat économique et social pour la société réunionnaise dans son ensemble. Pour moi c’est maintenant qu’il faut l’élaborer»

Les périodes de crises sont toujours propices à l’introspection et à la réflexion sur notre société, son fonctionnement et son organisation. Le plus grand nombre s’accorde sur le fait que :
● Le monde ne sera plus le même
● Nous ne pourrons plus vivre comme avant….

Au-delà de cette conviction, pour notre île, je suis convaincu que de cette situation, nous devons faire une réelle opportunité. Depuis plusieurs années nous disons qu’il nous faut un nouveau modèle et un nouveau contrat économique et social pour la société réunionnaise dans son ensemble. Pour moi c’est maintenant qu’il faut l’élaborer.

Les questions que je me pose: Quelle solidarité devons-nous attendre du national et comment devons-nous apprendre à nous prendre un peu plus en charge ? Comment devons-nous mieux utiliser l’organisation administrative et politique pour pouvoir appliquer pleinement les principes de subsidiarité ? Quel contrat social, économique et écologique pouvons-nous proposer aux Réunionnais ?

Je n’ai pas la prétention d’apporter des réponses à ces questions, mais je me propose d’y réfléchir avec toutes les bonnes volontés. Pour pouvoir répondre à ces questions, je pense qu’il faut prendre en compte les éléments suivants qui pour certains ont été révélés ou amplifiés avec l’actualité que nous connaissons :

  • Notre production locale et la relocalisation de certaines activités. Par exemple, profiter des technologies telles que les imprimantes 3D pour permettre des micro productions locales. Repenser la taille des unités de production pour permettre de faire des séries plus petites…La course aux unités toujours plus grosses avec des capacités de plus en plus grandes est probablement à reconsidérer.
  • Notre autonomie alimentaire, la production agricole et l’utilisation des terres agricoles. Plus d’espace pour produire de la nourriture en privilégiant les circuits- courts. Apprendre à consommer et à valoriser la production agricole réunionnaise. Ceci peut se faire à partir des perspectives d’exportation et de production à forte valeur ajoutée.
  • Le pouvoir d’achat et l’emploi qui restent la préoccupation principale des Réunionnais. Nous devons répondre à ces attentes en augmentant le taux d’emploi et avoir une plus grande transparence sur les prix et leur formation. Nos modes d’approvisionnement et la chaîne de valeur pour l’importation des produits doivent être repensés. Nous ne pourrons pas tout produire à La Réunion, mais nous pouvons importer différemment sans sacrifier ni le choix, ni la qualité au bénéfice des consommateurs.
  • La solidarité économique. C’est essentiel. Aucune économie ne peut être solide pérenne et profitable, si les acteurs de cette économie n’ont pas la conscience que nous sommes tous interdépendants les uns des autres. Cela ne nie pas la concurrence, ni le profit mais permet de créer une émulation ou une coopération avec de la compétition que l’on appelle la coopétition. Cela permet d’éviter la prédation et la mainmise d’un nombre limité d’acteurs sur l’économie et surtout aider à l’émergence d’ETI locales. Cela doit, aussi, générer de l’activité et permettre aux jeunes de trouver un espace où ils pourront exprimer leurs talents et de mettre en œuvre leurs idées.
  • Le principe de subsidiarité. Prenons la définition de Wikipédia : « Le principe de subsidiarité est une maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. » Il semble que les dispositions législatives et réglementaires existent.Profitons-en, prenons-nous en main et assumons nous sans toujours vouloir avoir l’aval d’une centralité qui peut être parfois éloignée de nos réalités.
  • La prise de conscience de notre caractère insulaire et de notre isolement potentiel. Cela doit nous faire réfléchir à notre capacité à être ouvert au monde et sur le monde. Compte tenu des potentiels humains et des savoir-faire dont nous disposons aujourd’hui, les nouvelles technologies doivent nous permettre de répondre à ces 2 objectifs.
Pascal Thiaw Kine et la chef étoilée Kelly Rangama lors du Salon international de l'Agriculture 2020 © Outremers 360

Pascal Thiaw Kine et la chef étoilée Kelly Rangama lors du Salon international de l’Agriculture 2020 © Outremers 360

Au-delà de ces considérations, je reste persuadé que les axes de travail qui vont permettre la construction du modèle économique et social sont :
– L’ancrage territorial (relocalisation, économie circulaire, économie régénératrice, utilisation de déchets….),
– Le développement du potentiel des humains,
– La valorisation de nos patrimoines matériels (nature, environnement) et immatériels (culture, religion, différentes civilisations),
– Au service d’un vivre ensemble pour lequel il faut trouver un nouveau souffle.- (aller au delà de la relation interpersonnel pour intégrer la dimension économique et sociétal)

Pascal Thiaw Kine, est un chef d’entreprise Réunionnais.

© DR

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Après des études au collège Juliette Dodu, puis au lycée Leconte de Lisle à Saint-Denis de la Réunion et l’obtention d’un baccalauréat série C, il effectue une préparation intégrée qui lui permet de poursuivre des études à l’Institut Européen des Affaires à Paris et de côtoyer de grands entrepreneurs français au cours de stages pré professionnels.
De retour à la Réunion après ses études, il reprend l’entreprise familiale dans le commerce et aura su suivre l’émergence des hypermarchés , devenant tout d’abord responsable de la franchise « Leader Price » jusqu’à être depuis 2009 le représentant de Michel Edouard Leclerc à La Réunion.
Il fait partie de ces familles d’entrepreneurs réunionnais originaires de Chine qui ont su non seulement, au fil des décennies, s’intégrer à la société insulaire mais aussi prospérer à force de travail et d’innovation. Parce qu’il a la main franche et qu’il dit les mots justes, il est un patron respecté. Son groupe emploie près d’un millier de Réunionnais dans les différents secteurs de son activité.
« J’estime (…) que plus on monte dans la hiérarchie, plus on a de devoirs envers son environnement » (Pascal Thiaw Kine Journal de l’ile de la Réunion, 23 mai 2005).