« Je crois au rayonnement maritime de la France. Et il ne peut se faire qu’à partir des Outre-mer », a déclaré la nouvelle ministre des Outre-mer Annick Girardin, lors de la passation de pouvoir qui a eu lieu ce mercredi 17 mai rue Oudinot. Et pour en apporter la preuve, Outremers360 vous propose, en exclusivité, le dossier spécial du magazine polynésien Dixit: une immersion en cinq chapitres dans le potentiel de l’Economie Bleue en Polynésie française, qui avec ses 5,5 millions de km² de ZEE, représente près de la moitié de la ZEE française.
Suite et fin du dossier spécial « Economie Bleue » en Polynésie française, avec le cas particulier de l’atoll de Hao, ancienne base arrière des essais nucléaires français, destiné à accueillir la future plus grande ferme aquacole du Pacifique sud.
Hao: Dépolluer pour repolluer demain ?
Demain, cet atoll dépotoir, sur terre, comme sous l’eau, va accueillir la plus grande base aquacole du Pacifique. Cet investissement porté par des capitaux chinois fait couler de l’encre ici et ailleurs. Le projet inquiète sur de nombreux aspects, notamment écologiques. Le gouvernement est tiraillé entre les milliers d’emplois promis par les investisseurs chinois et la dégradation inéluctable d’une île déjà sacrifiée…Hao s’apprête-t-elle à revivre une seconde catastrophe écologique ?
Hier, une pollution nucléaire avérée
La première des préoccupations est l’état actuel de l’atoll, utilisé pendant plus de 30 ans comme base arrière du CEP, avec 217 000 tonnes de terres polluées à traiter. La réhabilitation de l’atoll a commencé en 2009 et le nettoyage du lagon s’est poursuivi jusqu’en 2016. En 2012, une étude conduite par Artelia avait mis en garde les habitants contre la pollution au polychlorobiphényles (PCB) et métaux lourds et recommandait de ne pas pêcher ou ramasser de produits de la mer aux abords des zones polluées, de ne consommer ni foies de poissons, ni pahua (bénitiers), et de ne pas manger de poisson du lagon plus d’une fois par mois.
Cette même étude révélait des traces de plutonium, issu de la décontamination des avions qui prélevaient des échantillons lors des tirs aériens, et resté sous les dalles, en bout de piste d’atterrissage. En 2000, l’étude radiologique menée par le ministère de la Défense n’avait pas étudié cet aspect. Une polémique existe : que faire de ce plutonium ? L’IRSN (Institut de radiologie et de sûreté nucléaire) affirme qu’il ne faut pas y toucher alors que la population craint une contamination plus importante en cas de cyclone et soulèvement des dalles.
Une étude dont les conclusions seront rendues en 2017 est en cours pour évaluer l’état sanitaire de la population de Hao. Elle permettra de comparer l’imprégnation par la pollution industrielle des deux populations de Hao et Makemo (600 personnes au total) et de formuler des recommandations le cas échéant.
Sur ce dossier, le Pays renvoie la France à ses responsabilités. Comme le déclarait Teva Rohfritsch avec une pointe de sarcasme : « Si le poisson de Hao avait des relents de plutonium, ce serait surtout le problème de l’État français, car on nous a toujours vendu des essais nucléaires propres et j’espère qu’ils l’étaient vraiment. S’il s’avérait que l’atoll n’est pas préservé de la pollution au plutonium, il faudra que l’État prenne ses responsabilités… ». Pour l’heure, la technique de dépollution par biotertre est en cours d’expérimentation sur Hao : la terre à traiter est isolée du sol dans des fosses de 90 cm de profondeurs avec des bâches composées de membranes et d’enzymes.
Demain, l’élevage intensif et ses risques
Le projet aquacole de Tahiti Nui Ocean Foods installé sur une emprise foncière de 32 hectares, prévoit des salles d’écloserie, des bassins de pré-grossissement en extérieur, des salles de traitement des poissons à commercialiser, une usine de fabrication d’aliments, un laboratoire d’analyses et de recherche appliquée, des hangars de stockage, des installations de production d’énergie durable, de production d’eau potable, de traitement des eaux usées. Les dimensions des différents espaces placent la ferme de Hao parmi les fermes les plus importantes au niveau mondial. Une écloserie qui couvre 1,2 hectare, « c’est une dimension importante que peu d’écloseries au monde peuvent égaler » souligne la Présidence polynésienne. Les bassins extérieurs de pré-grossissement couvrent quant à eux 6 hectares et les différents bâtiments près de 20 hectares.
Aujourd’hui, les préoccupations sont liées à l’impact futur d’un tel projet sur l’atoll. La technique d’élevage est intensive, similaire au procédé d’élevage des saumons en cage dans les fjords de Norvège. En amont, il faut maîtriser la reproduction des géniteurs en écloserie et capturer des géniteurs. Les larves sont ensuite nourries jusqu’à une certaine taille. Elles grossissent ensuite en bassin avant d’être placées en cages. À ce jour, cette technique bien connue de la crevetticulture, n’a jamais été maîtrisée sur des poissons tropicaux (mérous et napoléons).
En mai 2015, le discours du maire de Hao, Théodore Tuahine, se voulait accueillant et chaleureux envers les investisseurs chinois : « Monsieur Wang Cheng, cher ami, je ne me lasserai pas de vous le dire et vous le savez : vous êtes ici chez vous. Je souhaite que vous considériez Hao comme un petit bout de Chine ». Mais à quel prix pour le petit atoll, qui va connaître un second afflux de population, à l’image de la période du CEP où il y avait près de 5000 habitants sur l’île ? Teva Rohfritsch déclarait pour sa part ne pas vouloir faire de compromis sur le respect des normes environnementales. Le président polynésien Edouard Fritch de retour de Chine en avril 2016, était quant à lui « rassuré » quant aux intentions des investisseurs. « M.Wang Chen veut faire du site aquacole de Hao l’exemple mondial du développement durable de l’économie bleue ».
Les bâtiments du complexe seront en adéquation avec la norme haute qualité environnementale (HQE) tandis que les opérations aquacoles respecteront la norme internationale MSC (Marine Stewardship Council) qui prône une pêche durable. TNOF semble prêt à rejeter les eaux des bassins d’écloserie et de pré-grossissement des poissons à 90 mètres en profondeur de l’océan plutôt que les 60 mètres préconisés dans le plan d’origine. « Les Chinois sont très préoccupés aussi par les problèmes d’environnement. Ils ne viendront pas à Hao pour tout casser et tout détruire. Mais nous resterons vigilants quand même », ajoutait le Président. « M. Wang Cheng est beaucoup plus sensible aux problèmes de l’environnement que nous-mêmes avec notre réglementation ».
Pour les scientifiques, c’est une évidence : le lagon est en danger d’asphyxie. En effet, il faut en moyenne 500 000 tonnes de farine pour produire 50 000 tonnes de poisson. Outre cette pollution et cette saturation du lagon, il existe également les risques de proliférations de microalgues toxiques pour l’homme.
Que veulent vraiment les Chinois ?
Le projet est certes vu comme un « rêve qui se réalise » par le président visionnaire, l’opportunité de développer enfin le secteur de l’aquaculture. Cependant, les chiffres prévisionnels de production avancés évoluent au gré des mois et des sources. Ainsi, après avoir parlé de 1 million de tonnes de poissons exportés, il est question de 50 000 tonnes par an aux dernières déclarations en 2016. Quoi qu’il en soit, économiquement et socialement, les retombées pour le petit atoll seront très conséquentes.
À travers le projet de Hao, plusieurs hypothèses sont avancées quant à l’intérêt porté par les Chinois à la Polynésie. L’une d’elle est que cette ferme pourrait être pour les investisseurs chinois un centre de recherche et développement pour expérimenter de nouvelles techniques de production sur des espèces tropicales. À condition que les cycles d’élevage soient maîtrisés scientifiquement. La rentabilité du projet ne serait donc pas forcément l’objectif immédiat. Les poissons de luxe (mérou et napoléon), élevés dans des lagons polynésiens, font l’objet d’une forte demande sur le marché intérieur chinois. À quand l’appellation d’origine « poisson radioactif du lagon de Hao » ?
Dossier « Economie Bleue » en Polynésie française:
Economie Bleue en Polynésie: Un potentiel abyssal… La pêche hauturière [1/5]
Economie Bleue en Polynésie: Un potentiel abyssal… La filière perlière [2/5]
Economie Bleue en Polynésie: Un potentiel abyssal… Aquaculture à Hao, c’est parti [3/5]
réalisé par Isa Ozan du Dixit Magazine, partenaire d’Outremers360