Économie bleue en Polynésie: Un potentiel abyssal… [1/5]

Économie bleue en Polynésie: Un potentiel abyssal… [1/5]

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« Je crois au rayonnement maritime de la France. Et il ne peut se faire qu’à partir des Outre-mer », a déclaré la nouvelle ministre des Outre-mer Annick Girardin, lors de la passation de pouvoir qui a eu lieu ce mercredi 17 mai rue Oudinot. Et pour en apporter la preuve, Outremers360 vous propose, en partenariat avec le magazine polynésien Dixit, une immersion en cinq chapitres dans le potentiel de l’Economie Bleue en Polynésie française. Pour ce premier acte, zoom sur la pêche hauturière polynésienne, les chiffres de l’économie bleue en Polynésie et ses ressources minérales profondes.

Pour commencer, quelques éléments contextuels. Le terme « économie bleue » regroupe des secteurs très différents en termes de potentiel et de poids dans l’économie polynésienne. L’économie bleue représente 40 % des ressources propres de la Polynésie française. Si certains domaines se noient ou coulent depuis des années (comme la perle), d’autres sortent la tête de l’eau pour surfer une vague prometteuse. C’est sur l’immense ZEE polynésienne de 5,5 millions de km2 que tout se joue désormais : le présent et surtout l’avenir, qui reste à bâtir.

La ZEE de la Polynésie française est la plus vaste de France. Elle représente près de la moitié du total de la ZEE française

La ZEE de la Polynésie française est la plus vaste de France. Elle représente près de la moitié du total de la ZEE française

En août 2016, une note expresse de l’Institut d’Emission d’Outre-Mer (IEOM) présentait un panorama des domaines de l’économie bleue polynésienne : pêche, perle, aquaculture, transformation des produits, mais également construction navale, énergie, câbles sous-marins, nautisme, transport, recherche, aménagement… Si le poids de ces secteurs paraît encore faible en chiffre d’affaires déclaré (39 milliards de Fcfp, soit 7 % du PIB, mais estimé à 47 milliards, l’équivalent des recettes touristiques), ils affichent cependant une croissance importante sur les quinze dernières années (voir encadré).

En 2015, l’économie bleue dans son ensemble a progressé de 8%. Ces données ont été présentées en juin 2016 lors d’une conférence organisée par le CEROM (Comptes économiques rapides de l’Outre-mer) sur l’économie bleue et ses enjeux. Les experts internationaux et locaux ont à l’occasion fait la lumière sur l’opportunité pour la Polynésie française de mettre en place un nouveau modèle économique, basé sur la réduction des inégalités sociales et économiques, mais également la valorisation du patrimoine culturel et naturel.

Pêche hauturière : un doublement de production dans 10 ans

La pêche hauturière représente plus des deux tiers des ventes déclarées du secteur. La pêche côtière, commercialisée essentiellement par les circuits informels (bord de route) atteignait en 2015 près de 3 000 tonnes. Cette même année, l’export a décollé avec +19 % en volume et + 28 % en valeur (1,6 milliard de Fcfp soit 11 % de la valeur totale des exportations polynésiennes). Les États-Unis restent le premier pays exportateur de frais (1 245 tonnes). Pour 2016, les exportations ont été moins bien orientées : – 34 % en valeur en juillet 2016 par rapport à juillet 2015. Par ailleurs, la baisse de la valeur totale des exportations de poissons est principalement due à celle de la valeur des exportations de poissons frais ou réfrigérés (- 38 %). En cumul depuis janvier, la valeur des exportations de poissons décroît de 16 %.

©Tahiti-infos

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En 2016, la pénurie de poisson, habituelle entre janvier et mars et septembre-octobre, s’est fait plus fortement ressentir que les années précédentes et en octobre, le thon blanc franchissait la barre de 2 000 Fcfp/kg. Produit de première nécessité depuis 2007, il est devenu un produit de luxe ! Certains mareyeurs demandent pour leur part à le sortir de la liste PPN à marge bloquée (200 Fcfp par kg).

Un schéma directeur décennal de la pêche est en cours d’élaboration avec l’appui technique de l’Agence française de développement, pour une mise en application dès 2017. L’objectif affiché est de doubler la production hauturière (6 200 tonnes en 2015) en structurant la filière, en exploitant mieux notre ZEE avec des projets dans les archipels, en développant des services pour la flotte hauturière existante (une soixantaine de thoniers en 2015) et en diversifiant et valorisant les prises.

Vendeur de poisson au marché de Papeete ©DR

Vendeur de poisson au marché de Papeete ©DR

Lors du 3e Forum de l’économie bleue en septembre 2016, les professionnels ont réfléchi ensemble au développement des infrastructures de la pêche hauturière, adaptées à ce doublement du chiffre d’affaires dans dix ans. Parmi les actions incontournables, il est prévu de mettre en œuvre des infrastructures portuaires dans les archipels avec des bases avancées (un port de pêche sur Nuku Hiva, un centre de mareyage sur Hiva Oa et une base avancée sur Hao), avitaillées en carburants. Il a également été évoqué le réaménagement du Port de pêche avec l’augmentation du stockage en frais, la mise en place d’un tunnel de congélation, des ateliers mécaniques et de stockage et la dynamisation de la criée.

La construction de thoniers avec le label Marine Stewardship Council pourrait ouvrir de nouveaux marchés et ouvrir à la transformation et au conditionnement de produits finis, donc mieux valorisés (notamment le thon découpé et surgelé pour le marché japonais). Les mécanismes de défiscalisation locaux et nationaux devraient permettre de construire de nouveaux bateaux pour renforcer la flotte. Le projet de grande aire marine gérée, Tainui Tea, a été présenté en septembre 2016 aux armateurs. Son mode de gestion et de fonctionnement fera l’objet d’une consultation. Cette zone sera un atout à terme pour les clients étrangers qui exigent le respect des normes environnementales et de protection des ressources.

Quel scénario pour la pêche hauturière demain ?

Quatre scénarios de développement ont été identifiés et vont être étudiés afin d’aboutir à une stratégie qui pourrait en associer plusieurs.
– Consolider le modèle actuel de la flotte polynésienne de pêche fraîche ciblant le germon. Il s’agit notamment d’optimiser la flotte et de sécuriser les débouchés à l’exportation.
– Diversifier les prises par le ciblage saisonnier de l’espadon au sud de la ZEE, avec une conservation réfrigérée sous glace ou des navires plus autonomes (conservation en congélation).
– Reprendre la congélation de longes de thon à bord (qui ne représente plus aujourd’hui que 2 % des ventes), à travers un effort de rééquipement des anciens thoniers‐congélateurs qui pourraient alors étendre leur zone de pêche dans l’ensemble de la ZEE et des eaux internationales à proximité.
– Développer une filière en hyperfroid négatif, notamment pour le thon obèse avec des palangriers, afin d’atteindre de nouveaux débouchés tels que le marché des sushi-bars en surgélation à sec (-50 à ‐60°C) ou du top‐grade sashimi japonais en hypersurgélation (inférieur à ‐60°C).

Le ou les scénarios retenus seront ensuite déclinés en plans d’actions dans le nouveau schéma directeur, en identifiant les coûts de développement (infrastructure, foncier, moyens humains) pour chaque acteur, et des solutions d’accompagnement financier, mais aussi technique, réglementaire ou organisationnel à mettre en parallèle.

Thoniers du Port autonome de Papeete ©Tahiti News

Thoniers du Port autonome de Papeete ©Tahiti News

 

Les chiffres clés de l’économie bleue

Capture

 

Ressources minérales profondes : du cobalt un jour exploitable ?

En juin 2016, les résultats d’une étude sur les ressources minières réalisée par des experts pluridisciplinaires, cofinancée par l’État et le Pays ont été présentés lors de la conférence du CEROM. Même si les connaissances sur la composition des fonds marins de notre ZEE sont encore peu précises, nous savons cependant qu’il existe des encroûtements cobaltifères en quantités intéressantes en termes de potentiel mondial. La rentabilité économique d’une filière d’extraction minière dépend cependant de nombreux paramètres. Les investissements nécessaires à l’exploration des fonds marins sont très lourds et le contexte administratif et fiscal polynésien doit être aménagé. La mise en place d’une telle filière ne s’envisage que sur le très long terme et devra s’inscrire dans une logique de dynamique régionale, avec un appui technique et financier français et européen.

Isa Ozan, Dixit Magazine